Transitions de sable dans le Sahel

Gentil compatriote, on vous recommande aussi pour aujourd’hui d’éviter tout déplacement non nécessaire et d’éviter tout type de rassemblement. Cette recommandation vaut aussi pour tout le week end. Depuis quelque jour le gouvernement a décrété la coupure de la connexion au net. La raison non déclarée est celle de minimiser la communication entre les personnes et les groupes de l’opposition susceptibles d’organiser des manifestations post électorales en ville. En effet, après avoir annoncé, avec un remarquable élan de vitesse, les résultats provisoires du second tour des élections présidentielles, on a enregistré des désordres dans la capitale et dans d’autres villes du Pays. L’annoncée victoire du candidat du pouvoir, Mohammed Bazoum, a été contestée par l’opposition qui dénonce la validité des élections du 21 février 2021.

Nous pouvons mieux comprendre, maintenant, le message de l’Ambassade d’Italie à ses ressortissants en ouverture de cet article.  Le refus d’accepter des chiffres présentées par la Commission Electorale Nationale Indépendante a été suivi par une invitation à manifester le malaise par la ‘trahison’ de la vérité des urnes. On a enregistré des échauffourées avec des forces de l’ordre, des pneumatiques en flammes et des blocs de ciment pour couper les routes, des scènes de pillage, des stations de service, des maisons vandalisées et deux personnes qui ont perdu la vie. Il y a eu des arrestations et un certain nombre d’accusés envoyés en prison.

Un des chefs de file de l’opposition a été accusé d’avoir fomenté les désordres par certaines déclarations ‘incendiaires’. C’est le bilan provisoire des heures et des jours qui ont suivi l’épilogue des élections tant craintes et attendues depuis longtemps. Il s’agissait, en effet, de la première transition démocratique du pays depuis son indépendance, conquise auprès de la France qui a néanmoins gardé assez de liens et d’intérêts néocoloniaux dans le Pays. Entre coups d’états militaires et régimes d’exception on est arrivés au choix démocratique entre deux candidats ‘librement’ élus. Il s’agissait d’une transition, il fallait s’y attendre, de’ sable’.

La démocratie est trop importante pour la laisser dans les mains des politiciens. Sans tomber dans la bien connue et citée rhétorique de la démocratie comme pouvoir du peuple, pour le peuple et avec le peuple, il faudrait se demander se demander d’abord où se trouve et qui est le peuple dont il est question. Mais c’est surtout sur le sens même de la démocratie qu’on devrait s’interroger quand, et pas seulement dans cette partie du monde, les compétitions électorales ressemblent étonnement à des ‘campagnes militaires’.

Le pouvoir politique, vidé de la politique entendue comme une humble recherche du bien commun, c’est à dire des droits des pauvres, révèle un visage violent et cynique qui nous renvoi l’image, comme dans un miroir, d’un monde divisée. Les communs citoyens, par choix ou par nonchalance, acceptent d’être traités comme une marchandise, rien qu’un objet d’échange électoral entre politiciens. Ce faisant ils acceptent que leur dignité humaine, qui n’est pas négociable, soit confisquée, ouvrant ainsi la possibilité à ce qu’un noyau de personnes puisse accaparer la gestion exclusive et criminelle de la République, en toute impunité. Argent, pouvoir et violence ont vidé de sens notre politique.

Au Niger tout comme dans d’autres Pays du Sahel et de l’Afrique Occidentale, nous gardons les mêmes personnes qui, pendant des décennies et avec la bienveillance de la ‘Communauté Internationale’, accaparent la scène publique. La Cote d’Ivoire, le Togo, la Guinée, le Tchad, le Nigeria et le Niger imposent les mêmes figures politiques conseillées, revues et corrigées et, en définitive, imposées avec l’assourdissant silence des citoyens. Ces derniers sont, en bonne partie, ténus en otage par la misère et trop occupés avec la survie quotidienne pour participer activement à la vie publique.

Nous sommes, au Niger, un Pays en croissance démographique, avec un âge moyen estimé à 16 ans, il est le plus jeune Pays de la planète. Nous ne devrions pas permettre que se perpétue une ‘vieille’ politique basée sur le marchandage du consensus des citoyens. La construction du tissu politique du Pays se fera en même temps que l’affirmation d’une société qui, ayant comme référence la Constitution et ses principes de souveraineté populaire, sacralité de la vie et justice sociale, puisse offrir aux jeunes des espaces et des raisons d’espérer. Le risque que nous courrons, si l’on ne suivra cette piste ou d’autres semblables, sera celui de passer d’une démocratie ‘Autoritaire’, ainsi nous a classé la revue The Economist récemment, à une démocratie ‘Bananière’ ou ‘Tropicalisée’, dans laquelle les coups d’état militaires sont le prétexte pour ‘régénérer’ la politique. Cela aussi n’est que du sable. 

                                                                                                Mauro Armanino, Niamey, 28 février 2021 



Articles Par : Mauro Armanino

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