Transnationales, spéculateurs et agrocombustibles ou comment le Tiers Monde ne contrôle pas ce qu’il produit
Deux journaux, colombien et argentin révèlent comment les transnationales et les fonds d’investissement manipulent en leur faveur les prix et les marchés des matières premières.
L’envolée du prix des grains s’explique par la hausse des prix du transport et la spéculation. La demande accrue de fret maritime de la Chine et d’autres pays émergents a entraîné la pénurie de navires, assure ce mercredi Juan Carlos Dominguez, de la rédaction Économie et Affaires du quotidien colombien El Tiempo, selon ce que rapporte son édition électronique.
La Chine importe des minerais (charbon, acier et fer), demandant ainsi plus d’espace dans les navires, et, par conséquent, faisant s’envoler les prix du transport maritime, dit Carlos Leaño Concha, gérant de Bunge Colombie, une des quatre grandes compagnies qui contrôlent le commerce mondial des grains.
La Colombie a importé en 2006 un total de 6 millions de tonnes de grains, dont 3,21 millions de tonnes de maïs jaune, 93.000 de maïs blanc, 1,36 millions de blé, 370.000 de soja, 705.000 de galette de soja et 222.000 tonnes d’orge, souligne El Tiempo.
À fin août de cette année le chiffre des importations de céréales qui sont effectivement entrées dans les ports colombiens est de 3,97 millions de tonnes.
Parmi les économies émergentes qui ont aussi une croissante demande de fret on trouve l’Inde et la Corée du Sud, destinations qui se transforment en affaires attractives pour les compagnies maritimes, déviant ainsi les flux de transport maritime vers ces destinations de ce fait, négligeant le transport de grains.
Si bien qu’en Colombie -continue l’article reproduit dans cette livraison d’APM- l’indice utilisé correspond au pays avec lequel elle a le plus grand flux commercial dans l’importation de grains (les USA), pour le reste du monde on utilise le « Baltic Dry Index » (BDI), un indicateur pour le fret de grains secs dans trois types de cargos céréaliers.
Cet indice est une moyenne pondérée pour chacune des routes qui sont importantes pour chaque type de navire.
Le BDI a constamment augmenté depuis le premier trimestre 2003, quand il était en moyenne à 1.349 points. A la fin du mois d’août de cette année, l’indice a dépassé les 7.000 points.
Le BDI – explique la note de Juan Carlos Dominguez- se construit avec l’information des contrats de frets de 24 routes maritimes et trois types de navires de grains :
Capesize: ce sont des bateaux destinés principalement au transport de minerais qui ne peuvent transiter par le Canal de Panamá en raison de leur taille, et doivent passer par l’Afrique du Sud ou autres artères ou passages. Quelques « capesize » servent pour le transport de grains.
Panamax: ce sont les bateaux les plus grands qui peuvent transiter actuellement par le Canal de Panamá. Leur longueur est de l’ordre de 275 mètres et le tonnage moyen dépasse les 70.000 tonnes.
Handy: ce sont les plus petits du groupe, avec des tonnages de 25.000 à 50.000 tonnes, utilisés habituellement pour le transport de grains et dérivés.
Mais cette augmentation des coûts de transport est encore plus forte pour tout le fret qui arrive à Buenaventura (Colombie) parce qu’aux tarifs s’ajoute une prime pour les retards dans ce port.
Situé au nord de Cali, sur la côte du Pacifique, Buenaventura est le principal port de Colombie, dont il assure 70% du commerce.
Le coût de l’importation d’une tonne de céréales, de la Nouvelle Orléans, aux USA, jusqu’à Buenaventura est passé de 22,25 dollars par tonne en janvier 2006 à 59,88 dollars soit plus 269 pour cent, alors que pour les ports dans les Caraïbes il est passé de 18,17 dollars à 38,25, soit plus de cent pour cent.
Comme indiqué ci-dessus, le différentiel de 4,08 dollars par tonne en 2006 est passé à 21,63 entre les deux ports, ce qui veut dire que les entreprises maritimes « châtient » ceux qui veulent faire entrer leurs céréales par Buenaventura, car ils rencontrent des surcoûts liés aux péages du canal de Panamá, à la congestion du port et à la pénurie de navires, entre autres.
Les autres acteurs qui font pression sur les prix sont les différents fonds spéculatifs qui sont entrés sur le marché des bourses de grains de Chicago, Kansas et Minneapolis, assure El Tiempo.
« Ces gens négocient en « commodities » (matières premières : maïs, soja et blé entre autres) et mettent un faux niveau au prix mondial des grains; ainsi ils achètent et vendent des contrats de futurs, spéculant sur le prix, dans l’espoir de faire des profits, mais seulement sur le papier ».
« C’est un marché liquide et attractif, avec de grands capitaux dans l’attente de beaucoup de profits » conclut Leaño.
Il faut aussi souligner qu’une autre partie de la contribution à l’augmentation du prix vient des quatre grandes compagnies qui vivent du négoce (Cargill, Bunge, ADM et CHS), qui en plus de disposer de toute la logistique de transport multimodal, depuis les zones de culture jusqu’aux ports de destination, possèdent aussi des zones ensemencées, a conclu l’article du média colombien.
Pendant ce temps, depuis Buenos Aires, un quotidien qui a l’habitude d’exprimer les intérêts des entrepreneurs -Infobae- a affirmé ce mercredi dans sa page électronique qu’ « avec des matières premières dont les prix internationaux augmentent, des récoltes record et un négoce prometteur dans le marché des agrocombustibles, les valeurs et baux des champs augmentent sans frein depuis la dévaluation et il ne semble pas que cette tendance va changer, du moins à court terme ».
Les prix de vente des champs ont connu des taux de croissance jusqu’à 300%. Par exemple la zone centrale du maïs (Nord-Est de Buenos Aires, sud de Santa Fe, sud-est de Cordoba et partie de La Pampa), qui est celle de la plus grande production agricole, a augmenté de 260% depuis 2002: dans cette zone l’hectare qui valait 2.500 dollars en vaut aujourd’hui 9.000, indique Infobae.
Ce qui est arrivé est que la haute valeur internationale des céréales et oléagineux ont revalorisé les champs et attiré l’attention des investisseurs, ajouté aux actuelles recettes record (malgré les retenues et réglementation qui limitent le marché) et au commerce à moyen terme que promettent les agrocombustibles, fait remarquer le périodique argentin.
Cette escalade a été telle que depuis 2005 la valorisation de l’hectare a été supérieure à celle du m2 des propriétés urbaines, en pourcentage de 43% contre 30%.
Selon divers analystes, cette forte demande a été impulsée par de grands groupes économiques et des fonds d’investissement usaméricains, européens et argentins, qui cherchaient des champs sous-exploités pour y produire des grains ou faire de l’élevage. Un exemple est Adecoagro, qui a récemment acquis 18.000 hectares à Bandera (Santiago del Estero), souligne Infobae.
Et on estime que la demande de ces groupes continuera à croître, comme l’a indiqué le fonds Cresud à un quotidien du matin: « Nous prévoyons que de nouvelles entreprises, dont plusieurs internationales, se transformeront en acquéreurs ou locataires de terres ensemencées, ce qui amènera de nouveaux concurrents dans les prochaines années ».
Les motifs qui conduisent certains à entrer dans un business rentable sont similaires à ceux de ceux qui y sont déjà et veulent y rester, souligne Infobae: « Les prix augmentent parce que les propriétaires conservent les champs dans l’attente d’une plus grande demande, ajouté au fait que c’est un investissement rentable de risque bas dont le capital, la terre, se valorise chaque année », affirme l’ingénieur agronome Raul Talento, d’une agence immobilière locale.
Adecoagro, une multinationale appartenant au milliardaire George Soros, a récemment racheté pour 120 millions de $ la laiterie SanCor de Santa Fé, qui regroupait 4000 producteurs organisés en 68 coopératives et avait 200 millions de dettes contractées dans des investissements pour se moderniser. Le gouvernement argentin n’a évidemment pas donné suite aux demandes d’aide émanant des paysans-travailleurs et a laissé jouer les « libres lois du marché ». L’entreprise de Soros, un spéculateur talentueux, possède plus de 225 000 hectares de terres en Amérique du Sud, principalement en Argentine mais aussi au Brésil et en Uruguay, sur lesquels elle produit des céréales, du café, de la canne à sucre destinée à la production d’éthanol, du coton et élève de la viande sur pieds.
Article original, APM, publié le 12 septembre 2007
Traduit par Gérard Jugant, révisé par Fausto Giudice. Gérard Jugant et Fausto Giudice sont membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteur, le réviseur et la source.