Tripoli, Akkar : affaiblir l’armée pour édifier un émirat islamique

Tendances de l’Orient : La tendance au Liban

Les récents incidents du Liban-Nord visent à « confessionnaliser » la sécurité, en présentant l’armée comme une institution proche des chrétiens et du 8-Mars, la Sûreté générale comme une institution sous le contrôle du Hezbollah, et les Forces de sécurité intérieure (FSI) aux mains du Courant du futur, et donc des sunnites. Les développements qui ont secoué le Nord prouvent l’existence d’une plan secret destiné à vider cette région du pays de toute force de sécurité non sunnite, pour laisser la voie libre aux courants extrémistes, alliés à l’opposition syrienne, elle-même noyauté et manipulée par Al-Qaïda, comme le reconnait le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon.

Diverses sources de sécurité libanaises précisent que les derniers événements se préparaient depuis quelque temps, et ne peuvent être séparés de l’installation de la tente du sit-in, place al-Nour, offerte par le prédicateur salafiste Omar Bacri avant l’arrestation de Chadi Mawlaoui. Les salafistes prévoyaient donc d’organiser ce sit-in en soutien aux 350 islamistes emprisonnés sans jugement. Ces groupes extrémistes ont poussé leurs partisans à se déployer à Tripoli et à édifier des barricades, créant ainsi une sorte de nouvelle ligne de démarcation.

En quelques heures, le chef-lieu du Nord a failli s’embraser, car des forces hostiles au courant islamiste, toutes proches du 8-Mars et hostiles à l’opposition syrienne, ont à leur tour menacé de se déployer dans la ville. Il s’agit notamment des membres du Parti de la libération arabe (partisans du ministre Fayçal Karamé), ceux du Mouvement de l’Unification islamique, du Parti syrien national social et du Front d’action islamique, dont les principales figures à Tripoli sont les cheikhs Bilal Chaabane et Hicham Minkara.

La remise en liberté de Chadi Mawlaoui est sans doute un signal négatif. Elle prouve que pour préserver le calme, il a fallu sacrifier le prestige de l’Etat, qui ne ressort pas grandi de cette affaire.

Entre l’arrestation de Mawlaoui et la mort de cheikh Ahmed Abdel Wahed et de son compagnon, tués car ils refusaient de s’arrêter à un barrage de l’armée dans le Akkar, et la réaction violente des islamistes du Liban-Nord, proches de l’opposition syrienne, l’Armée libanaise et la Sûreté générale ne pourront plus accomplir la moindre mission dans cette région. C’est tout le prestige de l’Etat qui en pâtit.

Leur objectif est de livrer le Nord aux forces proches de l’opposition syrienne qui ne prennent plus la peine de cacher leurs armes. L’Armée libanaise, qui continuait à arrêter des voitures bourrées d’armes ou même des navires, ne peut plus agir dans toute cette zone avec autant d’efficacité si elle n’obtient pas une couverture politique totale.

L’équation qu’ils (l’alliance obscure 14-Mars/ASL/wahhabites) tentent d’instituer est basée sur le postulat suivant : les sunnites ont leur région forte, le Liban-Nord, face à la banlieue sud des chiites. Et tout comme les services de sécurité n’ont pas pu arrêter les personnes réclamées par le Tribunal international, les islamistes arrêtés doivent aussi être relâchés et Mawlaoui n’est que le début de la série.

Mais la comparaison n’a pas lieu d’être, car les armes de la banlieue sud sont dirigés contre Israël, qui a goûté à la défaite grâce à elles. Alors que l’arsenal du Nord n’a aucune cause à part celle du fanatisme religieux et de l’extrémisme, et n’a aucun projet à part l’édification d’un émirat islamique.

Tendances de l’Orient

New Orient News (Liban) Rédacteur en chef : Pierre Khalaf (*) Tendances de l’Orient No 85, 28 mai 2012.

Bulletin hebdomadaire d’information et d’analyse, spécialisé dans les affaires de l’Orient arabe.

Source : http://www.neworientnews.com/news/fullnews.php ?news_id=63270

Déclarations et prises de positions

Michel Sleiman, président de la République libanaise

« Je compte adresser à toutes les parties des messages écrits en vue d’une reprise du dialogue national au cours de la deuxième semaine de juin prochain. Ceux qui ont des observations à ce sujet sont appelés à me les communiquer. Les composantes du dialogue ne sont pas celles du gouvernement. Et si d’aucuns ont une réserve au sujet du gouvernement, ils auront une compensation à la table de dialogue. C’est pourquoi il ne faut pas lier ces deux choses et je souhaite que le 14 Mars prenne part au dialogue sans conditions. Le gouvernement ne peut pas être démis ipso facto. Ou son président démissionne, ou il s’effrite ou alors la confiance parlementaire lui est retirée. Les points qui doivent être débattus lors des réunions du dialogue sont la stratégie défensive et le statut des armes en trois volets : premièrement, il s’agira de répondre à la question de savoir où, quand, pourquoi et comment utiliser les armes de la Résistance ; deuxièmement, la question des armes palestiniennes à l’intérieur et à l’extérieur des camps ; et troisièmement, le retrait des armes qui prolifèrent dans les villes et les villages. Le peuple ne désire-t-il pas que ces points soient discutés ?

Si oui, il faut qu’il fasse pression sur ses leaders politiques. Il ne saurait être question de modifier la position officielle du Liban consistant à rester à l’écart de la crise syrienne. Le roi Abdallah d’Arabie saoudite n’est nullement opposé à ce positionnement du Liban. Je vais visiter prochainement les pays du Golfe pour discuter avec leurs dirigeants des appels lancés à leurs ressortissants à ne pas venir au Liban. La crise syrienne ne sera pas exportée au Liban et certaines retombées n’ont pas d’horizon politique. L’avenir du Liban est prometteur. Je suis certain que le prestige de l’armée ne sera pas touché quoi qu’il arrive. Ce qui garantit ce prestige, c’est comment se comportent l’armée, les services de sécurité et la justice. Al-Qaïda ne dispose pas d’un environnement propice au Liban. Je souhaite la rentrée à Beyrouth du chef de Saad Hariri, parce qu’il a un rôle efficace à jouer dans la rue libanaise. Il a parlé avec tout le monde lors des derniers événements et a joué un rôle positif. »

Béchara Raï, patriarche de l’Eglise maronite

« Les responsables libanais doivent se réunir à la table de dialogue, loin du langage des armes. Les Libanais sont invités à placer leur confiance dans l’État, dans l’armée, dans les institutions et les forces de l’ordre. Je joins ma voix à tous ceux qui appellent à la tenue d’un dialogue responsable. Personne d’autre que l’Armée libanaise ne peut nous protéger et sauvegarder l’État. Ce n’est pas à chaque fois que nous polémiquons sur un sujet donné qu’il faut revendiquer la démission du gouvernement, ou prendre d’assaut les rues pour y brûler des pneus. »

Michel Aoun, principal leader chrétien libanais (allié du Hezbollah)

« Il y a tentative de jumelage des événements en Syrie avec certains incidents au Liban afin de généraliser le chaos dans le pays et de pousser les Libanais au désespoir. Il ne fait pas de doute qu’Israël convoite notre terre et nos eaux. Ses visées s’étendent à la Syrie aussi. C’est ça le cœur du conflit. Le gouvernement est censé écarter tout danger du Liban mais l’équipe actuelle est défaillante. Il y a une implication libanaise dans les événements en Syrie, à travers les trafics d’armes et l’accueil d’hors-la-loi syriens au Liban (…) Lors du meeting du CPL le 5 mai, j’avais dit que la visite de Joseph Lieberman et de Jeffrey Feltman ensemble visait à transformer le Liban-Nord en zone tampon avec la Syrie. Ils cherchent à saper le prestige de l’armée à cette fin, pour instaurer la zone tampon que l’Onu n’arrive pas à imposer en Syrie. Voilà ce qu’ils sont en train de faire. L’incident du Akkar est donc artificiel, planifié à l’avance. Le prestige de l’armée reste entier et la troupe reste la seule force en laquelle nous avons confiance. Quant à ce climat de folie dans le Akkar, ceux qui sont en train de l’instaurer le paieront cher. Ce n’est pas une menace, mais ceux qui sont à l’origine de tout cela le paieront, ainsi que les hommes politiques qui sont avec eux. L’instant viendra, et il viendra bientôt, si ce n’est déjà fait, où tous les hommes politiques qui ont attaqué l’armée et se sont livrés à des provocations contre cette dernière seront bientôt relégués aux oubliettes du passé. Ce genre de mouvement se dégonfle rapidement : que personne ne se sente fort par leur biais. Le mieux qu’ils pourront faire, c’est à peine rester debout. »

Général Jean Kahwaji, commandant en chef de l’Armée libanaise

« Les militaires doivent faire attention à la vie des Libanais en menant leur mission de manière responsable. Les derniers événements survenus au Liban-Nord prouvent une fois de plus que tout le monde compte sur vous pour empêcher la sédition et imposer la stabilité. Les missions de défense et de sécurité sont complémentaires dans la préservation de la souveraineté de la nation et des intérêts du pays. Il n’est pas permis de mettre en danger la sécurité du citoyen, ses propriétés et sa dignité, encore moins d’exploiter le climat de démocratie et les libertés publiques dont jouit le Liban. Je crois que le vent de déstabilisation qui souffle sur la région risque d’ébranler les fondements de l’État et l’unité de la nation en s’en prenant à ses acquis et en remettant en cause son avenir. La troupe doit resserrer les rangs afin de faire face aux difficultés. Le découragement n’a pas sa place au sein de l’institution militaire. »



Articles Par : Pierre Khalaf

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