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Triste sixième anniversaire du déclenchement de la guerre en Syrie
Par Nabil Antaki
Mondialisation.ca, 16 mars 2017
Les Maristes Bleus 15 mars 2017
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Le 23 décembre 2016, le cauchemar a pris fin pour les habitants d’Alep. Ce jour-là, le dernier convoi de rebelles et de terroristes, qui occupaient les quartiers Est et Sud d’Alep depuis juillet 2012, a quitté la ville pour se rendre, sous supervision neutre, dans une province voisine, Idlib, toujours sous le contrôle des terroristes de Al Nosra. Les Alépins étaient fous de joie de la libération de leur ville. Il n’y avait plus Est ou Ouest, Alep est redevenue, comme elle l’a toujours été, une seule ville sous le contrôle de l’Etat Syrien. Seulement 15,000 habitants des quartiers Est ont été évacués, à leur demande, avec les rebelles vers Idlib.

Les autres, plus de 100,000, qui subissaient l’occupation sans l’avoir choisie – uniquement parce que leurs domiciles se trouvaient là – sont restés à Alep. Ils ont beaucoup souffert mais sont soulagés après 4 ans d’occupation terroriste et 3 mois de siège de leurs quartiers par l’armée syrienne. Pour les 1.5 millions d’habitants des quartiers Ouest, qui étaient sous contrôle gouvernemental, La libération a fourni un sentiment de sécurité qu’ils avaient perdu depuis plus de 4 ans : la sécurité de ne plus recevoir des obus de mortiers, de bonbonnes de gaz utilisées comme bombes et des tirs de snipers. Mais, Optimisme prudent : Des bombes continuent à tomber occasionnellement sur les quartiers périphériques de l ’Ouest d’Alep lancées par les rebelles toujours installés à quelques kilomètres dans la banlieue Ouest.

Comme tous les Alépins, nous sommes allés visiter les ex- lignes de front, le quartier historique de Jdeidé, la vieille ville autour de la citadelle et les quartiers Est et Sud. L’ampleur des destructions dépasse ce que nous avions imaginé. A Midane, quartier arménien, à Jdeidé, quartier historique des chrétiens, à Hanano, à Sukari etc., la réalité dépasse souvent la fiction.

Avec la libération, la ville reprend un aspect plus normal, plus civilisé. Toutes les rues – la plupart avaient été bloquées par des barricades ou des murs de rochers pendant les 4 années de guerre – ont été ouvertes à la circulation. Il y’a énormément de piétons dans les rues. Les gens marchent sereinement sans craindre la mort qui les guettait avant la libération. Le trafic automobile est très dense. Les feux de signalisation et l’illumination des rond-point, alimentés par des panneaux solaires plantées à chaque carrefour, fonctionnent de nouveau. Le ramassage des ordures a repris ; les jardiniers de la municipalité sont de nouveau au travail dans les jardins publics et dans les terre-pleins centraux. Toutes les écoles et l’université fonctionnent normalement.

Mais Optimisme prudent : Les conditions de la vie quotidienne restent, toutefois, très difficiles.

Cet hiver, nous avons eu très froid. Il y avait une pénurie de fioul. Avec l’absence d’électricité, il n’y avait aucun moyen de se chauffer alors que les températures en décembre, janvier et février étaient très basses.

Comme pendant les 2 dernières années et malgré la libération, nous n’avons toujours pas l’électricité. Nous continuons à l’acheter, à un prix élevé, auprès de générateurs privés qui foisonnent sur les trottoirs de notre belle ville, qui est devenue très laide avec les générateurs qui salissent et les câbles électriques qui pendent de partout. Les autorités ont travaillé d’arrache-pied pour relier, de nouveau, par des pylônes de haute tension, Alep au réseau national. Il semble qu’ils aient réussi la jonction puisque depuis une semaine, nous avons l’électricité une heure par jour à tour de rôle.

Quant à l’eau courante, elle est encore coupée. Pendant l’occupation, l’eau arrivait de l’Euphrate aux bassins de traitement de l’eau à Alep, mais n’était pas pompée dans les canalisations parce que la station de pompage était aux mains des rebelles d’Alep Est ; Avec la libération, la station de pompage est de nouveau sous le contrôle du gouvernement syrien, mais Daech ne laisse plus l’eau être pompée à partir de la petite ville de Khafsa sur l’Euphrate. L’armée syrienne est en train de reprendre cette ville. Mais Optimisme prudent : Entretemps, 1.5 millions d’Alépins continuent à utiliser l’eau, souvent non potable, des 300 puits forés dans la ville. Le nombre d’infections intestinales a atteint des records ces derniers temps.

Certaines familles déplacées ont pu regagner leurs domiciles ; D’autres doivent faire des réparations importantes ; d’autres attendent qu’on termine de déminer leurs quartiers et de rétablir les infrastructures détruites et d’autres enfin qui, habitaient des immeubles maintenant complètement détruits, doivent attendre la reconstruction. Justement, les projets de reconstruction de la ville sont nombreux. De multiples organisations internationales ou nationales ont demandé des autorisations pour participer à la reconstruction : qui pour reconstruire dix écoles, une autre pour restaurer 200 appartements, une 3ème pour reconstruire la vielle ville etc…Mais Optimisme prudent : Rien n’a encore démarré. Wait and See.

La crise économique reste très grave. En 6 ans de guerre, les gens se sont appauvris du fait du chômage et de l’augmentation vertigineuse du coût de la vie. Situation paradoxale : les Alepins ne trouvent pas de travail mais d’autre part, les petites entreprises qui commencent à ouvrir timidement ne trouvent pas d’ouvriers qualifiés, la majorité des hommes jeunes sont soit enrôlés dans l’armée pour faire leur service militaire ou comme réservistes, soit ont quitté le pays pour des cieux plus cléments. Les Alepins ont, maintenant plus que jamais, besoin d’être aidés pour survivre.

Entretemps, la guerre continue en Syrie avec l’implication de nombreuses forces étrangères. Beaucoup de territoire et de petites villes ont été libérées du contrôle de Daech. Certaines sont maintenant sous le contrôle de l’Etat Syrien, d’autres sous le contrôle des Kurdes, des Turcs ou des islamistes. Les 2 derniers mois, il y’a eu des négociations inter-syrienne sous l’égide de l’Iran et de la Russie à Astana puis, sous l’égide de l’ONU, à Genève. Aucune avancée n’a été réalisée. Mais, Optimisme prudent, une liste des points à négocier a été établie et acceptée et la date d’un autre round de négociations a été fixée.

Aucune des centaines de familles déplacées bénéficiaires des différents programmes des Maristes Bleus n’a pu regagner son domicile. Nous avons, par contre, admis de nombreuses familles nouvellement déplacées qui habitaient les quartiers Est et qui sont venues loger chez leurs parents, d’anciens déplacés. Nous, les Maristes Bleus, n’avons pas les moyens ni les compétences ni la mission de participer à la reconstruction matérielle de la ville. Par contre, nous pensons que la reconstruction de l’Homme est primordiale et nous y mettons, dans la mesure de nos moyens, tout notre poids. C’est ainsi que nous avons davantage développé nos projets pédagogiques et initié de nouveaux.

Notre centre de formation des adultes, « le M.I.T. », continue à organiser deux séminaires par mois sur des sujets bien déterminés à l’intention des adultes de 20 à 45 ans. En février, Fr Georges a dirigé un Workshop sur le thème « du pardon à la réconciliation » et nous envisageons, vu son importance, de le refaire à d’autres groupes prochainement.

Convaincus de la nécessité d’aider les jeunes adultes à travailler pour vivre et sortir du cercle vicieux, – guerre – situation économique catastrophique – chômage – pauvreté – assistanat ou migration, nous avions organisé, fin 2016, un séminaire de 100 heures sur 2 mois à l’intention des jeunes de 20 à 35 ans sur le thème:

-« comment entreprendre son propre projet ». Vingt participants ont appris des meilleurs experts comment penser, réaliser et faire avancer un projet. A la fin de la session, le jury a sélectionné les 4 meilleurs projets réalisables en terme de rentabilité et de chances de succès et nous les avons en partie financés. Devant le succès du projet, nous venons de démarrer une 2eme version avec 15 participants.

Plusieurs projets éducatifs et de soutien psychologique ont vu le jour récemment.

-« Coupe et couture » permet à une trentaine de dames d’apprendre à coudre et à confectionner des vêtements pour les besoins de la famille et aussi pour trouver un emploi dans les ateliers de confection qui ouvrent et qui demandent des ouvrières. La première promotion va bientôt terminer ses 4 mois d’apprentissage et les demandes de candidates sont nombreuses pour la suite. Nous profitons de leur présence aux cours de couture pour organiser, pour elles, des temps de formation personnelle et de soutien psychologique.

-« Hope » est un projet qui vise à enseigner une langue étrangère, l’anglais ou le français, aux jeunes mamans qui ont des enfants à l’école élémentaire. En effet, dès la 1ère classe élémentaire, le programme impose l’enseignement d’une langue étrangère aux petits enfants. L’enseigner aux mamans permet à celles-ci, en plus d’une satisfaction personnelle, de pouvoir suivre les études de leurs enfants.
« Douroub » accueille les enfants de 10-11 ans qui ont été jusqu’à présent négligés par nos différents projets. Avec une équipe de 3 moniteurs, ils se réunissent pour des activités éducatives et ludiques.

-« Lutte contre l’illettrisme » se poursuit à 2 niveaux. Le niveau supérieur, pour ceux qui ont déjà participé à une 1ère session de 2 mois, pour leur apprendre le niveau de la 3ème élémentaire, c’est à dire à faire des phrases, les lire et les écrire. Et le niveau débutant avec un nouveau groupe de parents ou de jeunes illettrés pour apprendre à écrire et lire les mots.

-« Skill School » pour 75 adolescents (tes), « Apprendre A grandir » et « je veux apprendre » avec 200 enfants de 3 à 6 ans, poursuivent, mieux que jamais, leurs très beaux programmes pour éduquer, instruire et soutenir les enfants et les jeunes.

Nos différents programmes de secours continuent à venir en aide aux déplacés et aux plus démunis. « Les Maristes Bleus pour les déplacés » aident à peu près 1000 familles, chrétiennes et musulmanes, à survivre grâce à la distribution de paniers alimentaires et sanitaires mensuelles assez consistantes, de l’argent cash pour payer 1 ampère d’électricité acheté auprès des générateurs privés, d’un coupon de viande ou de poulet mensuel. Nous aidons aussi les familles déplacées à payer le loyer de leur logement provisoire.

Le programme « Civils Blessés de guerre » qui a, pendant des années, traité et sauvé des milliers de blessés, tourne, heureusement, plutôt au ralenti avec la libération d’Alep mais nous continuons à traiter soit de nouveaux blessés qui ont sauté sur des mines laissées par les rebelles avant leur départ ou d’anciens blessés déjà traités mais qui ont besoin de traitement ou d’autres interventions chirurgicales.

Par contre, « le programme médical des Maristes Bleus » a pris beaucoup d’ampleur à cause de l’augmentation de la pauvreté, du chômage et du coût de la vie. Pour les malades qui n’ont pas les moyens, nous participons aux coûts des interventions chirurgicales, des traitements à l’hôpital ou tout simplement aux coûts des ordonnances (le prix des médicaments fabriqués localement vient d’être augmenté de 400%), des radios et scanners, et des analyses de labo.

« J’ai soif » distribue, avec nos 4 camionnettes, de l’eau aux domiciles de 40-45 familles chaque jour. A cause de la difficulté de remplir nos camionnettes de l’eau des puits forés un peu partout à Alep – qui sont pris d’assaut de 8h du matin à 10h du soir- et la perte de temps occasionnée à attendre son tour, nous avons commencé à forer notre propre puits. Nous pourrons ainsi remplir rapidement et distribuer quotidiennement à un plus grand nombre de familles.

Enfin, « Goutte de Lait » est à son 22ème mois de distribution de lait à 3000 enfants chaque mois. Projet essentiel à la croissance et au développement de nos enfants et qui n’a pas arrêté un seul jour malgré la difficulté d’approvisionnement en lait, surtout le lait spécial pour nourrissons, et le coût important du projet.

Avec la libération d’Alep, malgré notre Optimisme prudent, la tâche est encore plus importante qu’avant. Elle est énorme. Serions-nous capables physiquement, moralement et financièrement de relever les défis ? Aider les déplacés à rentrer chez eux le moment venu ? les chômeurs à trouver un emploi ? les traumatisés à panser leurs blessures ? les désespérés à retrouver l’espoir ? les enfants à vivre leur enfance volée par la guerre ? les gens à pardonner ? à se réconcilier ? Serions-nous capables de convaincre les gens de ne plus quitter le pays ? L’exode continue et tous les jours des amis, des connaissances, des bénévoles, des collaborateurs ou des bénéficiaires viennent nous dire un au-revoir qui ressemble plus à un adieu.

En dépit de tout, nous continuons à vivre notre engagement. Avec un Optimisme prudent, nous faisons nôtre cet extrait du beau texte de notre ami le P. Jean Debruynne :

« Résister c’est s’obstiner à regarder un bout de ciel même s’il est gris ou noir, même s’il tient dans un mouchoir de poche, incarcéré entre des murs trop hauts. Résister c’est ne jamais renoncer à guetter le soleil par l’ouverture d’une bouche d’égout.
Résister c’est être assez têtu pour voir se lever le jour derrière les barbelés..
Résister c’est ne pas céder à l’obligation de se taire.
Résister c’est une fierté.
Résister c’est refuser l’intolérance, l’indifférence et la négation des différences.
Résister ne renonce jamais.
Résister n’accepte jamais la tranquillité.
Résister choisit d’être responsable.
Résister c’est se tenir debout devant Dieu. Debout et non pas à plat ventre, ni à genoux.
Parce que résister c’est inventer d’aimer. »

Nous croyons aussi que résister c’est Espérer, comme à Pâques, qu’après la mort, il y a la résurrection.

Dr. Nabil Antaki

Pour les Maristes Bleus

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