Troupes américaines en Irak: simple retrait ou fuite en avant?
On a l’impression que rien de nouveau ne se passe dans l’actualité. Une nouvelle explosion a retenti à Bagdad. Un nouvel attentat a été commis en Israël. La Palestine se trouve encore au bord d’une guerre civile. Le couple Clinton pourrait revenir à la Maison Blanche. Même le footballeur Marco Materazzi a à nouveau reçu un coup de boule.
Mais il y a quand même des éléments intéressants dans cette répétition. Ainsi, au forum économique mondial de Davos, un haut représentant de la nouvelle direction irakienne – en deux mots, un allié fidèle de George Bush junior – a qualifié sans sourciller l’introduction de troupes américaines dans son pays « d’idiotie ».
Même si de telles déclarations ont déjà été faites maintes fois aussi bien par de simples observateurs que par de véritables experts, entendre de tels propos de la bouche d’un membre du gouvernement soutenu par les baïonnettes américaines est, convenez-en, une surprise…
Les manifestations antiguerre qui se sont déroulées aux Etats-Unis nous laissent également une impression de déjà vu. Elles ont rassemblé une pléiade de personnes connues. Prenons Jane Fonda, par exemple, qui avait déjà protesté contre la guerre du Vietnam. De même qu’à cette époque-là, les manifestants ont exigé le retrait immédiat des troupes américaines. On voudrait les rallier, mais…
On peut accepter l’évaluation peu reluisante du haut représentant de l’Irak, mais une question se pose: où fuira-t-il, lorsque les Américains quitteront son pays? Quel sera le destin de ce pays après le départ des Américains? Tout le monde comprend déjà que les Américains sont entrés en Irak sous un faux prétexte et sans réfléchir mûrement, mais que faire maintenant de la ruche irakienne secouée, de l’élite du terrorisme mondial qui s’est précipitée à Bagdad en profitant d’une grosse erreur des Américains?
Qu’on veuille ou non le reconnaître, le fait est que les interventionnistes américains se sont transformés en Irak en facteur de dissuasion. Certes, ils sont toujours considérés comme un mal, mais ils sont déjà devenus un moindre mal par rapport à ce qui pourrait arriver à l’Irak après leur départ.
D’ailleurs, ce n’est pas tout. Qu’ils soient qualifiés d’interventionnistes ou de force de dissuasion, les Américains sont tombés dans un piège. Comme l’a expliqué de façon imagée un expert américain, trois bandes agissent aujourd’hui en Irak, comme dans un quartier sensible. Les sunnites tuent les chiites. Les chiites s’engagent dans les forces de l’ordre gouvernementales en vue de tuer les sunnites, bien qu’ils ne soient pas meilleurs. Les Américains constituent la troisième bande. Bien qu’elle soit plus forte que les deux autres, elle n’arrive pas non plus à remettre de l’ordre dans la rue. Il faut reconnaître que ce point de vue est assez autocritique.
Les observateurs étrangers ont des sympathies différentes. Naturellement, on regrette le plus les victimes innocentes. Mais les Américains qui combattent aujourd’hui en Irak jouissent d’un certain soutien dans le monde. C’est compréhensible. En fin de compte, les marines américains, qui sont devenus une force de dissuasion, encaissent les coups qui auraient pu être portés par les extrémistes dans diverses parties du globe, y compris en Russie.
Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un piège. Bien entendu, les Américains n’y resteront pas éternellement. Dès que la Maison Blanche comprendra que les renforts envoyés actuellement en Irak n’ont en rien modifié la situation, les Américains en sortiront.
Il est intéressant de se demander où ils se précipiteront: en arrière ou en avant, c’est-à-dire reculeront-ils en laissant le pays dans le chaos et en ruinant leur propre image, ou bien se regrouperont-ils en faisant venir dans la région des ressources plus techniques qu’humaines et attaqueront-ils ceux qui, de l’avis de la Maison Blanche, soutiennent le terrorisme en Irak? Les cibles sont assez évidentes, car elles ont déjà été maintes fois citées par les Etats-Unis: il s’agit de l’Iran et, peut-être, de la Syrie.
Des opérations au sol sont exclues, car les Etats-Unis se sont trop enlisés en Irak. Par contre, des tentatives de « ratisser » l’Iran par l’aviation ne sont pas exclues, d’autant plus que le comportement de Téhéran est peu raisonnable, pour ne pas dire plus.
En commençant par commettre une grosse erreur, les Etats-Unis et beaucoup d’autres avec eux en sont devenus les otages. Toutes les variantes sont mauvaises, et il n’y en a pas de bonnes à l’horizon.
Comme on dit aux échecs, nous sommes en présence d’un zugzwang classique: une situation où l’un des joueurs est obligé de faire un coup désavantageux, voire fatal.
Qui plus est, on sait que George Bush junior n’est pas Bobby Fischer.