Trump annule le voyage de son secrétaire d’État en Corée du Nord un jour après son annonce
Le président des États-Unis, Donald Trump, a annulé vendredi la prochaine visite du secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, en Corée du Nord cette semaine, invoquant l’absence de progrès sur la dénucléarisation de Pyongyang. Cette décision, qui intervient un jour seulement après l’annonce de son voyage par Pompeo, souligne l’imprévisibilité de l’administration Trump et la montée des tensions en Asie du Nord-Est, visant principalement la Chine.
Trump a écrit dans un message sur Twitter: «J’ai demandé au secrétaire d’État Mike Pompeo de ne pas se rendre en Corée du Nord, car je pense que nous ne progressons pas suffisamment dans la dénucléarisation de la péninsule coréenne.»
La décision constitue un virage abrupt pour Trump, qui a affirmé lundi dans une interview avec Reuters que la Corée du Nord avait en prise des mesures pour dénucléariser, malgré l’impasse apparente sur le sujet ces dernières semaines. Pyongyang avait déjà accepté d’arrêter les essais nucléaires et de missiles, avait commencé à démanteler un site d’essais de missiles et avait restitué les corps de soldats américains.
Mais Washington a refusé de répondre aux demandes de Pyongyang, y compris un assouplissement des sanctions et une déclaration formelle mettant fin à la guerre de Corée de 1950-1953, supposément jusqu’à la dénucléarisation complète de Pyongyang. À court terme, les États-Unis ont demandé au Nord de remettre 60 à 70% de ses ogives nucléaires sur une période de six à huit mois. Au cours du voyage de Pompeo au nord en juillet, le régime stalinien a dénoncé le secrétaire d’État pour son approche de «gangster» dans les négociations.
Dans la même série de tweets que celui annulant la visite de Pompeo, Trump a également dénoncé la Chine, reliant la guerre commerciale croissante entre Washington et Beijing avec la Corée du Nord. Il a écrit: «En outre, en raison de notre position beaucoup plus dure en matière de commerce avec la Chine, je ne crois pas qu’ils aident au processus de dénucléarisation comme ils le faisaient autrefois.»
En d’autres termes, Trump utilise le voyage annulé non seulement pour exercer une pression supplémentaire sur la Corée du Nord afin de la faire plier aux exigences américaines, mais aussi pour forcer Pékin à accepter les diktats américains sur le commerce. Trump a ajouté que Pompeo retournerait probablement à Pyongyang «après la résolution de nos relations commerciales avec la Chine».
Les mesures prises à l’encontre des deux pays par Washington depuis que Trump et le président de la Corée du Nord, Kim Jong-un, ont tenu leur sommet à Singapour le 12 juin, révèlent le caractère frauduleux des prétendus «pourparlers de paix».
Le programme de Trump depuis le début consistait à lancer un ultimatum à Pyongyang: soit rejoindre la campagne de guerre américaine contre la Chine, ce qui signifierait probablement la présence des troupes américaines à la frontière chinoise et même la participation de la Corée du Nord dans une guerre contre son ancien allié, ou les États-Unis «détruiraient totalement» le pays frappé par la pauvreté, comme Trump l’avait déjà menacé.
Le président américain, qui tente toujours de creuser un fossé entre Pyongyang et Pékin, n’a eu que des mots chaleureux pour Kim vendredi: «En attendant, je voudrais adresser mes salutations les plus chaleureuses et mon respect au président Kim. J’ai hâte de le voir bientôt!»Trump a déclaré plus tôt cette semaine qu’un deuxième sommet avec Kim aurait «très probablement» lieu.
Avec la guerre commerciale sino-américaine qui s’intensifie et alors qu’une autre délégation chinoise devrait arriver à Washington dans un avenir proche, Trump tire parti de la Corée du Nord contre la Chine pour prendre le dessus dans les négociations. Cependant, cette tactique risque d’augmenter les tensions dans une situation déjà tendue qui pourrait mener à un conflit militaire. «[Le commerce conflictuel avec la Corée du Nord] donne certainement l’impression que les relations globales [avec la Chine] sont assez mauvaises actuellement», a déclaré David Dollar, un membre important de la Brookings Institution.
Jeudi, Washington a imposé des droits de douane de 16 milliards de dollars sur les produits chinois, en plus des 34 milliards de dollars fixés en juillet. Pékin a répondu aux deux ensembles de tarifs par des mesures réciproques. Si Pékin refuse de céder aux demandes de l’administration Trump, un montant supplémentaire de 200 milliards de dollars de droits de douane pourrait être attendu dès le mois prochain.
Washington a également exercé une pression supplémentaire sur Pékin ce mois-ci en mettant de l’avant trois séries de sanctions unilatérales à l’encontre d’entreprises chinoises et russes, avec pour objectif de réduire les échanges commerciaux avec la Corée du Nord et de forcer cette dernière à se soumettre. Mardi, Washington a annoncé des sanctions visant les navires russes accusés d’avoir livré du pétrole à la Corée du Nord. Cela faisait suite à des sanctions imposées à des sociétés russes, chinoises et singapouriennes la semaine dernière.
Les mesures de guerre commerciale et les sanctions font partie de la politique réactionnaire de l’«Amérique d’abord» de Trump, qui oppose non seulement Washington à des adversaires tels que Pékin et Moscou, mais aussi à des alliés de longue date, dont la Corée du Sud. La semaine dernière, le président sud-coréen Moon Jae-in a proposé, lors d’un discours du Jour de la libération, d’étendre la coopération économique avec la Corée du Nord afin d’exploiter la main-d’œuvre à bon marché et d’ouvrir de nouvelles voies commerciales.
Bien que les différences entre les programmes de Washington et de Séoul aient toujours existé, l’approche de Trump vis-à-vis de la Chine et de la Corée du Nord exacerbe ces divisions. Le discours de Moon la semaine dernière, ainsi que l’annonce d’un troisième sommet intercoréen en septembre, ont inquiété les États-Unis et la décision d’annuler le voyage de Pompeo visait probablement à forcer Séoul à freiner sa coopération avec le nord.
La mise en œuvre des plans de la Corée du Sud exigerait une déclaration officielle mettant fin à la guerre de Corée de 1950-1953, ce que Washington a refusé de faire malgré les demandes continues de la Corée du Nord pour cette garantie de sécurité.
Tout traité de paix irait à l’encontre des objectifs plus larges des États-Unis dans la région. Comme Joseph Yun, ancien diplomate du département d’État américain sur la Corée du Nord, a déclaré au New York Times la semaine dernière: «Pour les États-Unis, une déclaration de fin de guerre ou une déclaration de paix ou un traité de paix ont toujours eu un contexte plus large».
Un traité de paix soulèverait la question de savoir pourquoi l’armée américaine et l’énorme quantité d’armes qu’elle commande continuent à rester sur la péninsule coréenne et exposerait ainsi encore plus les préparatifs de guerre de Washington contre la Chine.
Ben McGrath
Article paru en anglais, WSWS, le 25 août 2018