Trump menace d’abandonner l’ALÉNA tandis que s’intensifient les disputes commerciales

Avec le premier ministre canadien Justin Trudeau se à ses côtés, le président des États-Unis, Donald Trump, a réitéré la semaine dernière ses menaces de retirer les États-Unis de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).

Faisant suite à une brève rencontre de Trudeau à la Maison-Blanche, qui fut éclipsée par les tensions commerciales grandissantes entre les États-Unis et le Canada, Trump a affirmé que si les négociations menées par son pays ne parvenaient pas à «moderniser» l’ALÉNA, son administration saborderait le traité vieux de 23 ans. «C’est possible que nous ne parvenions pas à un accord», a dit Trump, ajoutant «Je crois que Justin (Trudeau) comprend cela, si nous ne parvenons pas à un marché, il sera annulé et ce sera bien ainsi.»

Trudeau, dont le gouvernement libéral s’est plié en quatre afin de développer une relation plus étroite avec l’administration Trump dans l’espoir de maintenir l’accès privilégié des grandes entreprises canadiennes au marché américain, a ensuite reconnu que l’ALÉNA est dangereusement près de s’effondrer. «Nous sommes prêts à tout», a-t-il affirmé à une conférence de presse plus tard mercredi de la semaine dernière.

Que l’accord commercial Canada-États-Unis-Mexique soit en fin de compte réformé ou défait, les négociations de l’ALÉNA 2.0 ont déjà démontré que la crise capitaliste mondiale qui a éclaté en 2008 est entrée dans une nouvelle phase, marquée par un tournant vers des politiques économiques nationalistes et protectionnistes du «chacun pour soi», les même qui, comme dans les années 1930, alimentent les rivalités explosives entre les grandes puissances impérialistes.

L’administration Trump, conformément à son programme réactionnaire de «l’Amérique d’abord», cherche à réorganiser l’ALÉNA afin de constituer un bloc protectionniste nord-américain plus explicite, fermement sous la domination de Washington. Au nom du «commerce équitable», les négociateurs américains demandent des concessions massives de la part du Mexique, incluant l’élimination de son surplus commercial de 50 milliards $ vis-à-vis des États-Unis. Le Canada, comme l’a montré la décision du département du Commerce américain d’imposer des droits compensatoires et des tarifs antidumping de 300% sur les avions C-Series de Bombardier, fait également face à des demandes difficiles à accepter.

Mais la principale cible de Trump est les grands rivaux économiques des États-Unis à l’échelle mondiale: la Chine, l’Allemagne, et dans une moindre mesure, le Japon. Les négociateurs américains abordent les négociations de l’ALÉNA dans l’optique d’en faire une meilleure plate-forme pour rivaliser pour les marchés, ressources et profits à travers le monde. En pleins pourparlers entourant l’ALÉNA, Washington a pris une série de mesures commerciales qui visent expressément l’Allemagne et la Chine, incluant le déclenchement d’une enquête afin de savoir si l’importation d’acier et d’aluminium met en péril la «sécurité nationale» des États-Unis.

Cette attitude agressive va de pair avec une escalade continue des offensives militaires et stratégiques au Moyen-Orient et contre la Russie et la Chine, incluant des menaces répétées au cours des dernières semaines de la part de Trump et du secrétaire à la Défense James Mattis «d’anéantir» la Corée du Nord, un proche allié de Pékin.

Le Canada a radicalement approfondi son partenariat militaro-sécuritaire avec les États-Unis depuis le dernier quart de siècle, alors que Washington cherche à renverser l’érosion de la prédominance économique américaine mondiale à travers une série de guerres désastreuses. C’est parce que l’élite impérialiste canadienne considère qu’il est plus avisé de faire valoir ses propres intérêts, de plus en plus important mondialement, à travers une alliance avec Washington et Wall Street.

Devant des applaudissements presque unanimes de la part des médias et de l’establishment politique canadiens, Trudeau cherche à démontrer à Trump et à son cabinet de généraux et d’acolytes milliardaires que le Canada est l’allié le plus loyal des États-Unis. Cela inclut des démarches pour aligner encore plus les politiques militaires et sécuritaires sur celle de Washington, annonçant une hausse des dépenses militaires de 70% d’ici 2026 et en consentant à la demande des Américains de «moderniser» le NORAD (Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord).

De manière significative, Trudeau n’a pas écarté la possibilité de parvenir à un accord bilatéral avec les États-Unis si les négociations sur l’ALÉNA venaient à échouer, après que Trump a clairement évoqué cette possibilité lorsqu’il est apparu aux côtés du premier ministre canadien à la fin de leur rencontre.

Bien que le sujet ait été pratiquement étouffé par la couverture médiatique des négociations, Trump a insinué que les deux pays renforceraient leur coopération militaire et sécuritaire alors qu’il allait rencontrer Trudeau. Le président américain, qui il y a deux semaines décrivait un souper avec de hauts gradés de l’armée comme le «calme avant la tempête», a affirmé qu’en plus de la défense, «j’imagine qu’on discutera également d’offensive commune, chose dont les gens ne parlent pas assez».

Jeter le Mexique aux lions

La suggestion d’un accord commercial bilatéral Canada-États-Unis a provoqué une remarque de l’ancien ambassadeur du Mexique aux États-Unis, qui a carrément affirmé «Certains au Mexique pensent que nos amis canadiens sont passés près de nous jeter aux lions à plusieurs occasions.»

La fin de l’ALÉNA accélérerait la montée du protectionnisme autour du monde, alimentant d’autant plus les tensions entre les grandes puissances et pavant la voie à une guerre commerciale mondiale et à des conflits armés.

Néanmoins, le sort de l’ALÉNA n’est aucunement scellé. Des sections substantielles de l’élite des affaires, tant aux États-Unis qu’au Canada, veulent le maintenir, voyant en lui le meilleur moyen pour continuer d’augmenter l’exploitation de la classe ouvrière et de rester compétitifs mondialement contre leurs principaux rivaux. Aux États-Unis, plus de 300 chambres de commerce d’État et locales ont adressé un appel à Trump, le pressant de ne pas quitter l’ALÉNA.

Thomas Donohue, le directeur de la Chambre de commerce des États-Unis, a durement critiqué les tactiques de négociations mises de l’avant par les représentants de l’administration Trump lors des pourparlers, qualifiant certaines des demandes américaines de «pilules empoisonnées» conçues pour faire échouer tout accord.

Une de ces propositions donnerait aux entreprises américaines un accès complet aux contrats publics au Mexique et au Canada, alors qu’elle ferait en sorte que n’importe quel contrat public octroyé à une compagnie mexicaine ou canadienne serait conditionnel à ce que les compagnies américaines se voient offrir des contrats d’importance similaire dans le pays d’origine de ces entreprises.

Les représentants américains désirent également une hausse du pourcentage des automobiles et d’autres véhicules qui doit être produit dans les pays de l’ALÉNA pour avoir droit à l’accès libre de tarifs, de 62,5% à 85%. De plus, 50% du véhicule devra provenir des États-Unis.

Wilbur Ross, le secrétaire au Commerce de Trump, a reconnu la ligne dure adoptée par Washington dans des commentaires la semaine dernière, suggérant que les demandes portant sur les contrats publics et la provenance des automobiles étaient non négociables. «Je crois que vous allez voir que nous aurons des pourcentages en augmentation avec les règles d’origines et je crois que vous verrez que l’industrie automobile va s’adapter à cela».

On s’attend également à ce que les négociateurs américains demandent une soi-disant clause de suspension qui forcerait l’ALÉNA à expirer après cinq ans si les trois pays ne tombent pas d’accord pour le prolonger. Une idée qui est grandement attaquée par les groupes commerciaux pour l’incertitude que cela créerait pour les investisseurs.

La conduite agressive de Washington visant à soutenir les grandes entreprises américaines au détriment du Canada constitue une crise immense pour la bourgeoisie canadienne, étant donné l’importance du partenariat stratégique avec Washington ainsi que sa dépendance du marché américain. Trois quarts des exportations canadiennes vont aux États-Unis.

Washington et Ottawa ne s’opposent pas à l’ALÉNA que sur la question des actions commerciales entamées par Boeing, le plus important exportateur des États-Unis, contre Bombardier. Suivant les actions entreprises par la précédente administration Obama, le département du Commerce américain a imposé des tarifs de plus de 20% sur les producteurs de bois d’œuvre canadiens.

Lors de leur rencontre de la semaine dernière, Trudeau a indiqué à Trump qu’en réponse aux tarifs imposés à Bombardier, le Canada abandonne l’achat planifié d’avions de chasse Super Hornet, fabriqué par Boeing, et qu’il va plutôt opter pour des FA-18 de l’Australie. Les gouvernements provinciaux se sont alignés derrière Trudeau, incluant les libéraux de Kathlenn Wynne en Ontario qui ont menacé d’imposer des conditions d’«acheter en Ontario» en contrepartie de toute mesure américaine dirigée contre le Canada.

Tandis qu’il était à Washington, Trudeau a tenu une rencontre avec la Commission des voies et moyens (House Ways and Means Committee) espérant par là avoir l’appui d’influents membres du Congrès afin de maintenir l’ALÉNA et, si cela s’avère impossible, pour un accord bilatéral. Selon des rapports sur ce rassemblement, des membres de la commission ont pressé Trudeau de lever les restrictions sur les importations de produits laitiers et de volaille. Le premier ministre a rétorqué en faisant valoir les programmes américains visant à soutenir l’agriculture.

Les divisions entre Washington et Mexico sont encore plus prononcées. Les représentants mexicains, selon les reportages des médias, semblent de plus en plus se résigner à l’éventualité d’être expulsés de l’ALÉNA. «Le Mexique est plus grand que l’ALÉNA. Nous devons nous préparer aux différents scénarios qui pourront se dégager de cette négociation», a affirmé le ministre des Affaires étrangères mexicain, Luis Videgaray Caso, au Sénat mexicain.

L’ALÉNA a été utilisé par les grandes entreprises américaines et canadiennes, et leurs partenaires mineurs au Mexique, afin de dresser les travailleurs les uns contre les autres dans un nivellement vers le bas.

Les syndicats sont complices, étouffant systématiquement les luttes de classe et imposant des réductions de salaires et d’avantages tout en augmentant la cadence au nom de la sauvegarde d’emplois «américains» ou «canadiens».

Maintenant, avec la lutte commerciale qui s’intensifie, les syndicats procapitalistes se rangent derrière leurs gouvernements et leurs élites respectives pour soutenir des mesures commerciales visant à imposer une partie supplémentaire du poids de la crise économique sur les travailleurs «étrangers».

L’AFL-CIO, la United Steelworkers et Unifor du Canada ont tous accepté les appels de Trump pour un «commerce équitable» et colportent inlassablement les affirmations frauduleuses voulant qu’il soit possible de faire pression sur Trudeau et Trump, ce dernier étant célèbre pour son chauvinisme anti-mexicain, afin de parvenir à un accord qui ferait avancer les intérêts des travailleurs.

Unifor a mené cette stratégie à sa conclusion logique dans la grève des 2800 travailleurs de l’usine CAMI de General Motors en Ontario. Alors qu’il refuse de lutter pour les demandes légitimes de ses travailleurs pour la fin des salaires à deux niveaux et autres concessions, il a imploré le géant américain de garantir que les travailleurs mexicains soient mis à pied les premiers en cas de ralentissement économique.

Qu’un compromis soit atteint ou que l’accord s’effondre, la crise croissante de l’ALÉNA démontre la faillite continue du capitalisme mondial et souligne l’urgence pour les travailleurs nord-américains d’adopter une stratégie socialiste internationaliste. Les travailleurs – canadiens, mexicains et américains – doivent affirmer leurs intérêts de classe communs en opposition à toutes les sections de la grande entreprise, à leurs mercenaires politiques et à leur programme visant à faire subir aux travailleurs les frais de la crise par des baisses de salaire et des suppressions d’emploi, le démantèlement des services publics et, finalement, la guerre.

Il faut pour cela adopter consciemment la stratégie de l’unité objective des travailleurs des trois pays, l’unification de leurs luttes et le combat pour des gouvernements des travailleurs à Ottawa, Washington et Mexico qui utiliseraient l’intégration économique de l’Amérique du Nord afin d’augmenter le bien-être économique et culturel de la population, et non pour maximiser les profits d’une élite rapace.

Roger Jordan et Keith Jones

Article paru en anglais, WSWS, le 13 octobre 2017



Articles Par : Roger Jordan

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