Tunisie : L’Imposture et la Lumière

On savait que la transition allait être difficile. Des hommes proches du pouvoir essaient encore de tirer leurs cartes du jeu ou simplement de sauver leur avenir ou leur vie. Rien n’est gagné et le peuple tunisien ainsi que ses intellectuels, ses hommes politiques, jusqu’au commandement de l’armée, doivent faire preuve tout à la fois de détermination, de modération et de patience.

Rien ne sera facile. Ce n’est pas un dictateur qu’il faut simplement chasser, c’est un système autarcique, basé sur le clientélisme et la corruption, qu’il faut démanteler et empêcher de nuire encore. Ce sera long, il faut rester vigilants afin que cette révolution ne soit pas détournée, confisquée, manipulée par des individus ou des réseaux aux intérêts sombres et peu démocratiques. Le gouvernement de transition qui s’installe aujourd’hui est une belle mise en scène qu’il faut critiquer et refuser : offrir le ministère de l’intérieur à un ancien du régime en dit long sur les tentatives de récupération. L’alternative doit être sereine et plurielle, certes, mais radicalement nouvelle pour préparer comme il se doit les élections dans six mois.

On s’attendait, nous l’avions dit, à entendre des voix nouvellement converties à la « belle démocratie » en Tunisie. Ils louent aujourd’hui « le courage du peuple » et « cet extraordinaire mouvement » vers la liberté. Les voilà qui se font entendre aujourd’hui à l’image de Abdelwahab Meddeb qui, il y a deux ans sur le plateau de Ce soir ou Jamais, défendait le régime tunisien qui avait raison, « au nom de la laïcité » disait-il, de ne pas être démocrate. Le voilà aujourd’hui, lui comme tant d’autres, parmi les signataires d’un appel à la démocratie et à la modération. Et les medias français – qui peinent encore à entendre la voix des peuples libres des anciennes colonies – lui demandent encore, à lui et à ses acolytes complices du régime qui tombe, d’expliquer la Tunisie aux Français. Avec ou sans Ben Ali, les seules voix légitimes du Maghreb, dans les salons parisiens comme dans une majorité de rédactions de medias, restent les esprits soit colonisés, soit achetés, soit vendus. Une honte, une imposture.

On ferait mieux d’entendre les voix d’autres intellectuels, politiques ou journalistes, à l’image de Moncef Marzouki dont personne ne pourra nier la cohérence, dans leur combat légitime pour une vraie démocratie en Tunisie. Il existe des centaines de femmes et d’hommes, et de tout bord politique, qui sont restés droits et qui doivent être associés à la construction de l’avenir de la Tunisie. Une construction digne, transparente et libre.

Des femmes et des hommes tentent de faire bouger les choses de la Jordanie, à l’Egypte en passant par l’Algérie ou la Syrie. Les régimes sont sur pied de guerre et s’opposeront à l’évidence à toute velléité de changement populaire. Il y a fort à parier que rien ne se passera dans les jours qui viennent mais on aimerait tant, tellement, que les peuples se réveillent et qu’ils ébranlent ces régimes que les leaders politiques, les partis d’opposition et les intellectuels n’ont pas réussi à réformer ou à renverser. On aimerait tant que de tels mouvements de population, déterminés et non-violents, prennent corps dans tous les pays arabes – et partout où règne la dictature ce faisant – et que cet exemple soit un chemin vers un avenir plus lumineux.

Quelque chose s’est passé en Tunisie : un moment historique. Un verrou psychologique et politique a été brisé. C’est à chacun de nous de travailler à ce que ce mouvement demeure vivant pour la dignité des peuples et leur liberté. Il y a un prix à payer : des mouvements non violents et populaires compteront leurs morts mais à terme c’est l’avenir et de la vie des femmes, des hommes et des jeunes générations qui sera protégé. Cet avenir est notre affaire. Où que nous soyons.



Articles Par : Tariq Ramadan

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