Ukraine, guerre et diplomatie

Comme d'habitude, le “plan de paix” alternatif que les dirigeants européens vont présenter à Trump n'est que de la poudre aux yeux.

Analyses:

Lorsque les hommes politiques au pouvoir souffrent d’une extrême impopularité, ils se tournent généralement vers le militarisme et le patriotisme pour se refaire une santé politique. Keir Starmer est désormais le chouchou des médias britanniques pour ses rodomontades sur l’Ukraine, et le Premier ministre se démène pour publier des tweets truffés de références militaires.

Ce faisant, il tente de paraître défier Trump et de capitaliser sur l’impopularité de Trump au Royaume-Uni, alors que deux jours plus tôt, il était à la Maison Blanche en train de se prosterner devant Trump et de l’inviter à une deuxième visite d’État “sans précédent”.

Comme toujours, on peut s’attendre à beaucoup de faux-semblants. Les dirigeants européens vont proposer un “plan de paix” alternatif à Trump. Celui-ci ne suivra pas les orientations de la déclaration du G7, fortement anti-russe. Les dirigeants européens reconnaissent que la position du G7 d’Apulia, à l’époque de Biden, n’est plus d’actualité.

Le nouveau plan européen accordera en fait à Trump à peu près tout ce qu’il veut, mais donnera aussi aux Européens un moyen de se racheter. Starmer cherche à être salué comme le grand bâtisseur de l’Atlantique, celui qui a expliqué à l’Europe ce dont Trump a besoin et vice versa.

Si Trump était un politicien ordinaire, il accepterait alors d’adopter le plan “européen” que lui présentera Starmer, avec quelques modifications mineures, puis de présenter la position commune lors des négociations avec Poutine. Mais Trump étant Trump, il pourrait tout simplement dire à Starmer de faire profil bas.

Les plans de paix européen et américain impliqueront tous deux que Poutine conserve le contrôle de la grande majorité des terres occupées par ses troupes, car sinon Poutine n’acceptera rien, et le plan aura été vain. Le plan européen contiendra des éléments destinés à brouiller l’enjeu de souveraineté des terres ukrainiennes que la Russie va conserver. Cette stratégie ne fonctionnera pas une fois que de véritables négociations avec la Russie auront été entamées.

Comme toujours, c’est l’argent qui parle et ce sont les grandes entreprises qui tirent vraiment les ficelles. Zelensky n’a finalement pas signé l’accord sur les minerais avec Trump et cherche maintenant désespérément à rattraper le coup pour que l’argent américain recommence à couler à flots.

On notera que l’accord délirant de “l’alliance centenaire” de Starmer avec Zelensky prévoyait que le Royaume-Uni cherche à s’emparer des mêmes ressources naturelles pour lesquelles Zelensky demande à nouveau à Trump de recevoir.

Cette information figure dans le document UK/Ukraine 100 Year Partnership, au Chapitre 5, paragraphe 3, article iv

“(iv) soutenir le développement d’une stratégie ukrainienne en matière de minéraux stratégiques et des structures réglementaires nécessaires pour maximiser les avantages tirés des ressources naturelles de l’Ukraine, par la création éventuelle d’un groupe de travail conjoint”.

À ce propos, la plupart des gens ont sagement ignoré les détails de cet accord “centenaire” insensé, au motif tout à fait sensé qu’il ne se produira jamais rien de tout cela.

Mais il contient des déclarations remarquables d’intentions malveillantes, dont ma favorite est le désir d’ouvrir une unité commune de propagande en ligne pour interférer dans la presse et les réseaux sociaux des pays tiers.

Ce que nous pouvons retrouver dans un jargon orwellien parfait au Chapitre 7, Paragraphe 4.

“Mettre en œuvre d’initiatives médiatiques communes, contribuant à des efforts coordonnés pour promouvoir nos valeurs et visions communes, en luttant contre la manipulation de l’information et les interférences malveillantes de pays tiers. Nous nous engageons à collaborer sur des initiatives communes telles que des campagnes de communication pour atténuer ces menaces. Nous nous engageons à faciliter le renforcement des relations avec les organisations de la société civile pour soutenir la recherche et le développement d’approches FIMI (Initiative de lutte contre la désinformation) en reconnaissant l’importance des médias indépendants et des organisations de la société civile dans le renforcement de la résilience de la société”.

C’est bien sûr précisément ce dont ils ont toujours accusé la Russie. En effet, c’est en raison de la prétendue ingérence de la Russie dans les réseaux sociaux qu’ils sont intervenus pour faire disqualifier le vainqueur pacifiste du premier tour des élections roumaines.

Ce plan revient à lancer une nouvelle Initiative pour l’intégrité, cette fois en coproduction entre le Royaume-Uni et l’Ukraine.

S’il y a bien une chose que j’ai apprise en plus de 20 ans de carrière diplomatique, c’est que le public est généralement abreuvé de mensonges au sujet des échanges diplomatiques. La plupart des entretiens se termine généralement par un communiqué commun destiné à valoriser les deux parties, et qui n’a parfois qu’un lointain rapport avec la réalité des faits.

C’est particulièrement vrai s’agissant des droits de l’homme, où, d’après mon expérience, les allégations selon lesquelles les violations des droits de l’homme sont traitées au moyen d’une “diplomatie discrète” sont presque toujours mensongères.

Un ministre britannique ne peut rencontrer un ministre saoudien ou chinois sans qu’on lui demande s’ils ont évoqué les droits de l’homme. La réponse est toujours “oui”, et c’est presque toujours faux, ou alors la question a été soulevée si brièvement, discrètement et de manière apologétique qu’elle est effectivement fausse.

On peut donc dire que la rencontre entre Trump et Vance dans le bureau ovale avec Zelensky a été revigorante, en ce sens que ce que vous avez vu est ce qui s’est réellement passé. Ce n’est que parce qu’elle s’est déroulée en public qu’elle a été plus marquante que la plupart des rencontres diplomatiques. À mon avis, elle aura écourté la guerre, surtout si Trump s’en tient à sa décision de mettre fin à tout soutien.

Raccourcir la guerre ne serait pas une mauvaise chose. Si vous croyez qu’un principe est si important qu’il vaut la peine de sacrifier des millions de personnes, sans vous inclure vous-même, je vous suggère de reconsidérer vos principes. Je ne suis pas obsédé par la question de savoir qui est le maire de Lougansk, une ville russophone, au point de risquer une guerre nucléaire.

Ce que je trouve particulièrement inquiétant, c’est la comparaison incessante entre Poutine et Hitler, et l’allégation selon laquelle si Poutine n’est pas “stoppé” en Ukraine, il envahira toute l’Europe.

Voilà un exemple tout à fait remarquable de comparaison erronée. Poutine n’a jamais montré le moindre signe de vouloir imposer une idéologie universelle par la conquête, ni d’ambition territoriale au-delà du petit nombre de districts ex-soviétiques russophones contigus à la Russie.

De plus, la Russie est en train de gagner progressivement une guerre d’usure contre un voisin nettement plus petit, ce qui était à prévoir. Si l’Ukraine a tenu si longtemps, c’est grâce à l’aide massive de l’Occident. Mais l’idée que l’armée russe soit susceptible de conquérir l’Europe entière, alors qu’elle ne peut pas soumettre Kiev, est tout simplement absurde. Sans compter que Moscou n’a absolument aucune envie de le faire.

Trump a pointé l’OTAN du doigt et a révélé les habits neufs de l’empereur. L’OTAN a été créée pour contrer une alliance soviétique bien décidée à répandre son idéologie universelle et disposant de la force militaire nécessaire pour représenter une menace (même si l’Union soviétique n’a jamais eu l’intention d’envahir la Grande-Bretagne ni formulé de plans en ce sens). Cette menace est désormais écartée.

La tentative d’exploiter la farce de Salisbury [le pseudo empoisonnement de la famille Skripal] pour prouver que la Russie menace la population britannique est franchement pathétique.

Il est parfois difficile de suivre les rouages de la machine à propagande. Quand a-t-on renoncé à cette histoire abracadabrante selon laquelle la Russie aurait fait sauter son propre gazoduc Nord Stream ?

La destruction du gazoduc par la Russie a été proclamée haut et fort par l’ensemble des médias traditionnels et de la classe politique du monde occidental. Ceux d’entre nous qui ont souligné que c’était invraisemblable ont été dénigrés et ridiculisés. Pourtant, aujourd’hui, le récit a été discrètement abandonné et la vérité est parfois reconnue par les médias. Mais sans admettre les mensonges antérieurs.

Comment fonctionne ce cercle vicieux ? Est-il le résultat d’une stratégie centralisée ou d’un phénomène organique ? Les médias étaient-ils vraiment assez stupides pour croire que la Russie aurait détruit le gazoduc Nord Stream, ou mentaient-ils délibérément ? Comment le peuple allemand a-t-il pu accepter les conséquences désastreuses de l’augmentation des coûts de l’énergie sur l’emploi industriel ? Autant de champs d’étude fascinants.

Les politiciens européens qui ont fait carrière sur la base d’une rhétorique russophobe sont soudainement démasqués. Ils s’agitent en brandissant le spectre de la guerre, menaçant de mobiliser des armées qu’ils n’ont pas, convaincus que préserver leur place dans la hiérarchie socio-économique vaut bien la menace du néant nucléaire.

Et en rire est certainement la meilleure réponse à leurs prétentions.

Craig Murray

 

Article original en anglais : Ukraine, Diplomacy and War, Craig Murray, le 3 mars 2025.

Traduction : Spirit of Free Speech

Image en vedette : Le Premier ministre britannique Keir Starmer avec le président américain Donald Trump le 27 février à la Maison Blanche. (© Simon Dawson / No 10 Downing Street/ Flickr/ CC BY-NC-ND 2.0)



Articles Par : Craig Murray

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