Un Boum ou un murmure: si Trump est destitué, que se passera-t-il?

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Sans faux espoirs ou concessions, la vision lucide et amère d’un conservateur américain (James George Jatras a été conseiller du Parti républicain) sur les réactions prévisibles des électeurs de son camp à la suite d’une possible destitution de Trump.

Nous sommes entrés dans une nouvelle année et la guerre froide civileaméricaine est passée à la phase suivante avec la Chambre des représentants des États-Unis démocrate de la porte-parole Nancy Pelosi fermement installée dans son côté de Pennsylvania Avenue. Pelosi dirige le centre d’autorité rival de celui du Gouvernement provisoire dirigé par le président Donald Trump, dont le siège se trouve 16 rues plus loin, au nord-ouest.

Au moment où j’écris ces lignes, Trump se bat pour sa survie politique. S’il perd la bataille du Mexique à cause du shutdown du gouvernement dû à la contestation de son mur frontalier, il est fini. A ce stade, il semble qu’il soit prêt à ordonner un état d’urgence et à utiliser les fonds du Pentagone ou de la FEMA pour faire passer l’installation du mur frontalier sous un intitulé de construction de défense nationale. Il en a l’autorité légale la plus claire, écrite noir sur blanc, en vertu de l’article 2802 du Code des États-Unis (10 US Code § 2802).

Malgré tout, s’il s’engage dans cette voie, tout effort de ce genre fera l’objet de recoursdevant les tribunaux, tout comme l’utilisation de son autorité plénière en vertu du Code 1182(f) des États-Unis pour exclure « tout étranger ou… toute classe d’étrangers » dont l’entrée aux États-Unis « serait à son avis préjudiciable aux intérêts des États-Unis » —  le début de « l’interdiction de séjour des musulmans » promise dans le cadre de sa campagne – avait été réduite à rien par la mise en place d’une sorte de « filtrage » des étrangers issus d’une petite poignée de pays, sans grande indication quant aux critères de sélection de ce « filtrage ». Il est probable qu’un nouveau litige retarderait la construction du mur ou empêcherait sa construction.

Pour l’instant, Trump laisse les Démocrates mariner dans leur jus. Après tout, ceux qui sont impactés par le shutdown, par exemple les travailleurs fédéraux et les bénéficiaires de certains programmes fédéraux, sont surtout issus des circonscriptions démocrates. Voyons combien d’autres cœurs sensible, comme celui de Cher, vont supplier Pelosi de jeter l’éponge en disant comme elle : « NANCY, TU ES UNE HÉROÏNE, LAISSE-LE AVOIR SON PTN D’ARGENT !! »

Quoi qu’il en soit, comme le reconnaît même le sénateur Lindsay Graham, si Trump perd cette bataille — une bataille qu’il aurait dû livrer il y a un an et demi — « c’est probablement la fin de sa présidence ». Si Trump gagne, ou plus exactement s’il évite de perdre, cela ne sera que partie remise.

Car il devra se battre, en dépit de la véracité des dires de ses défenseurs lorsqu’ils affirment qu’il n’y a pas eu « collusion » russe, bien que ces dénégations n’aient pas eu la moindre pertinence. Nonobstant les atermoiements des Démocrates, au cours de la campagne de mi-mandat de 2018, sur la question de savoir s’ils chercheraient ou non à destituer Trump, des propositions de destitution ont été déposés dans les jours suivant le changement de majorité de la Chambre. L’avocat discrédité de Trump, Michael Cohen, témoignera devant le Comité de surveillance de l’action gouvernementale de la Chambre des représentants des États-Unis en février.

Si les opinions concordent sur le fait que le Grand Inquisiteur Robert Mueller devrait clôturer son « Russiagate » dans quelques mois, voire quelques semaines, cela ressemblerait à du gâchis, étant donnée sa puissante synergie avec la Chambre contrôlée par les Démocrates, qui le pousse à se préparer à de multiples enquêtes sur tous les aspects de la vie privée et professionnelle de Trump, ainsi que sur celles de ses enfants.

Ajoutez à cela le procureur général de l’État de New York, Letitia James, qui est également sur le sentier de la guerre contre Trump et « quiconque » lui est associé. Compte tenu des années passées par Trump dans le monde de l’immobilier de luxe new-yorkais et dans de nombreuses entreprises commerciales, ainsi que dans la Trump Foundation, il n’y a pas de limite au nombre de violations réglementaires, fiscales et autres que les putschistes en puissance interpréteront comme des crimes fédéraux et d’État, ces derniers ne pouvant pas bénéficier de la grâce présidentielle. [1]

Bref, la question n’est pas de savoir si Trump sera destitué, mais quand et sur quelles accusations. La détermination des Démocrates à le faire tomber avant qu’il soit candidat à sa réélection est renforcée par leur crainte de le voir survivre jusque-là, parce qu’il pourrait bien gagner, ce dont aucun autre républicain ne serait probablement capable, étant donnée la surdité du Parti républicain quant aux préoccupations de la classe ouvrière, surtout dans les États de la « Rust Belt » [les États désindustrialisés, l’ancienne « ceinture des usines », NdT] qui ont porté Trump à la victoire. Si Trump est éliminé avant 2020, quel que soit le candidat que les Démocrates désigneront, il ou elle battra sans aucune difficulté Mike Pence ou tout autre candidat républicain. Après cela, surtout si le mur de Trump n’a pas été construit, un nombre suffisant de nouveaux électeurs importés, dont bon nombre d’illégaux, assureront un verrouillage démocratique permanent du pouvoir.

Lorsque les démarches pour la destitution de Trump commenceront, il n’y aura peut-être pas assez de votes républicains au Sénat pour le destituer — en l’état actuel des choses. Mais ne sous-estimons jamais la tendance des Républicains à fuir quand les choses se compliquent. Il a été suggéré que tout Républicain qui voterait contre Trump signerait son propre suicide politique. N’en soyons pas si sûrs. Ceux qui ne seront pas candidats avant 2022 ou 2024 (comme le sénateur nouvellement élu de l’Utah, Mitt Romney, qui n’a même pas attendu d’être assermenté pour se porter volontaire au rôle de Brutus) seront à l’abri. En outre, lorsqu’une crise frappe l’establishment, les Républicains craignent davantage d’être rabroués par le Washington Post et le New York Times qu’ils ne craignent leurs propres électeurs.

Cela ne veut pas dire qu’au terme de la procédure de destitution, Trump serait forcément destitué, mais c’est tout à fait possible. Si cela arrive, que se passerait-il ?

Un anti-Trump (qui s’enorgueillit « d’aiguillonner les fans de Trump au cerveau brouillé par la méthédrine », mais n’y voyons pas le mépris de l’élite envers les Déplorables !) se demande s’il n’y aurait pas –

… une guerre civile si Trump est chassé de ses fonctions — par exemple, une condamnation après une mise en accusation, une démission, le 25e amendement — cela dépend de ce qui se passe après, et il est indéniable que ce soit une possibilité, mais c’est très peu probable. Nombreux sont ceux — peut-être un grand nombre — qui penseraient qu’ils ont été lésés par ce résultat, mais combien d’entre eux prendraient les armes et commenceraient à tirer ? Très peu, voire aucun d’entre eux. Trump partirait, Pence deviendrait Président, et Pence serait congratulé pour avoir calmé et guéri la nation.

Il n’y aurait pas de guerre civile.

Mais que se passerait-il ensuite ? Supposons que Trump soit jugé, puis condamné ? Ou supposons qu’il soit gracié ou relâché, puis qu’il entame une campagne populiste de mauvais perdant dans tout le pays, en se plaignant que la Présidence lui a été « volée » par « l’État profond » et que Hillary et les « fake news » en sont responsables ? C’est à ce moment-là que nous devrons reconsidérer la question de la guerre civile.

Bien sûr, si Trump est destitué, il s’agira précisément d’une élection volée — en fait, une opération de changement de régime du type de celles que le même État profond américano-britannique a menées dans tant d’autres pays – soutenue par les « fake news » du Parti démocrate, avec la collusion d’une frange importante du Parti républicain. Mais la suggestion improbable selon laquelle Trump mènerait une rébellion post-Maison-Blanche soulève un point valable : si Trump était évincé, politiquement ou physiquement, quel — ou qui — serait le point de ralliement des Déplorables ? Quoi ou qui constituerait le second socle dans ce qui aspirerait alors à prendre la direction du pays dans un nouveau contexte révolutionnaire ?

La réponse n’est pas évidente. Ceux qui menacent à des degrés divers de réactions violentes ou même « d’horribles massacres » si le coup d’État anticonstitutionnel en cours devait réussir ne semblent jamais aborder la question de ce que, exactement, la révolte se proposerait de réaliser. Rétablir Trump, en supposant que ce serait possible ? Sinon, qui — Ivanka ? Où et comment ces Américains pathologiquement respectueux des lois de la classe moyenne, dont beaucoup sont âgés et en mauvaise santé, pourraient-ils exprimer leur rage ? En marchant sur Washington – pour faire quoi quand ils seraient arrivés, incendier le bureau de poste local ?

Bien sûr, les adeptes du Second amendement de la Constitution, qui autorise le port d’armes, possèdent des armes privées, donc les partisans de Trump sont armés. [2]

Mais cela peut changer à mesure que des éléments violents de gauche préparent leurs propres capacités paramilitaires, en sachant que les autorités ferment les yeux sur leur violence alors qu’elles considèrent le patriotisme civique, même non-violent, comme subversif.

Contrairement à l’époque où la Constitution a été adoptée et où les armes à feu privées étaient aussi bonnes ou meilleures que les armes militaires, il n’y a pas de comparaison aujourd’hui dans leurs capacités respectives à délivrer une force dévastatrice mortelle. Trump lui-même semble s’attendre à ce que les militaires se rangent de son côté :

Ces gens, comme les Antifas – ils ont intérêt à espérer que l’opposition aux Antifas décide de ne pas se mobiliser », a récemment déclaré Trump. « Parce que si vous regardez de l’autre côté, c’est l’armée. C’est la police. C’est beaucoup de gens très forts, beaucoup de gens très durs. Plus durs qu’eux. Et plus intelligents qu’eux…. Potentiellement beaucoup plus violents. Et les Antifas vont avoir de gros ennuis. » […]

Certains réseaux sociaux d’extrême droite sont excités par ce qu’ils appellent la « Guerre de Sécession 2.0 ». Comme le documente Dave Neiwert, il existe plusieurs « Proud Boys » et « Patriots » qui se rêvent une vie à la « Country Boys Can Survive » de Hank Williams Jr presque entièrement en ligne. [3]

« S’ils réussissent à destituer le président Trump, alors nous soutiendrons le président Trump, a déclaré un milicien de Géorgie à la presse. « Avec usage de force si nécessaire. »

Admettons. Mais dans un conflit qui ne ressemblerait en rien à la guerre organisée et relativement polie de sécession des États de l’Amérique (1861-1865), mais qui ressemblerait comme un frère aux conflits communautaires brutaux en Yougoslavie (1991-1995), en Espagne (1936-1939) ou en Russie (1917-1922), les estimations varient considérablement sur la façon dont les militaires se départageraient. Il en va de même pour les forces de police, dont certaines sont fortement militarisées. [4]

Ou peut-être que la nation américaine historique, dont le champion de la dernière chance, Trump, a été élu, abandonnerait sans combattre et se soumettrait à une tyrannie qui finirait par entraîner un effondrement social encore pire que celui qu’elle subit actuellement. Les Américains aiment à s’imaginer en rebelles farouches, épris de liberté, à qui personne ne marche sur les pieds. Mais après des décennies de corruption et de conditionnement de la part de politiciens, de juges, de bureaucrates, d’éducateurs, d’artistes, de médias, de publicité, de traitements médicamenteux, [5] d’aliments raffinés, [6] etc, les Américains d’aujourd’hui comptent peut-être parmi les gens les plus passifs au monde.

C’est peut-être comme ça que finira l’Amérique : pas sur un Boum, sur un murmure. [7] Espérons que nous n’aurons pas l’occasion de le découvrir.

James George Jatras

Paru sur Strategic Culture Foundation sous le titre A Bang or a Whimper: If Trump Is Overthrown What Comes Next?

Traduction Entelekheia

 

Notes de la traduction :

[1] Sans même parler du fait que les liens de Trump avec la mafia de New York, qui y contrôle intégralement le secteur du bâtiment, sont avérés et ne demanderaient que des enquêtes minimes pour être établis au-delà de tout doute. Cela étant, le Parti démocrate, voire Robert Mueller, si puissants soient-il, oseraient-ils s’attaquer aux réseaux de la mafia américaine, qui sont enracinés dans la société depuis des décennies et jouissent de protections aux plus hauts niveaux, c’est une autre question.[2] Contrairement à ce que pense la population de droite des USA, en l’absence d’un entraînement professionnel, le port d’arme privé, loin de protéger les propriétaires d’armes, a plutôt un effet paralysant — sans même parler des nombreux incidents meurtriers dûs à des forcenés qui émaillent le quotidien du pays (un meurtre de masse à l’arme à feu s’y produit presque chaque jour !) De plus et surtout, le port d’armes privé, donc la dangerosité potentielle de la population, fournit à la police un prétexte parfait pour tirer sur d’éventuels manifestants à balles réelles. Échec et mat.[3] Traduction des paroles de la chanson de Hank Williams Jr « Country Boys Can Survive », parce qu’elle donne des indications précieuses sur la mentalité du peuple rural de l’Amérique du Nord (et de nombre de citadins des USA nostalgiques des grands espaces de ce pays bâti sur l’esprit farouchement individualiste des anciens pionniers) :

Le pasteur dit que c’est la fin des temps
Et le fleuve Mississippi, il s’assèche
Les taux d’intérêt sont à la hausse et les marchés boursiers à la baisse
Et tu ne te fais agresser que si tu vas en ville

Je vis dans les bois, tu vois
Ma femme, les enfants, les chiens et moi
J’ai un fusil de chasse, une carabine et un 4×4
Et un homme de la campagne peut survivre, un homme de la campagne peut survivre, les gens de la campagne peuvent survivre

Je peux labourer un champ toute la journée
Je peux attraper des poisson-chats du crépuscule jusqu’à l’aube
Faire notre propre whisky et notre tabac aussi
Il n’y a pas beaucoup de choses que nous garçons ne pouvons pas faire
Nous cultivons de bonnes vieilles tomates et du vin fait maison
Et les gens de la campagne peuvent survivre, les gens de la campagne peuvent survivre

Parce que vous ne pouvez pas nous affamer et nous faire fuir
Parce qu’on est des mecs à l’ancienne élevés avec des fusils de chasse
Nous disons le bénédicité et nous disons madame
Et si ça te plaît pas, on s’en fout

Nous sommes venus des mines de charbon de Virginie
Et des montagnes Rocheuses et du ciel de l’Ouest
Et on sait écorcher un daim, on sait poser une ligne de pêche enroulée en continu
Et un homme de la campagne peut survivre, un homme de la campagne peut survivre, les gens de la campagne peuvent survivre

J’avais un bon ami à New York
Il ne m’a jamais appelé par mon nom, juste « péquenaud »
Mon grand-père m’a appris à vivre de la terre
Et le sien lui a appris à être un homme d’affaires

Il m’envoyait des photos de ses nuits à Broadway
Et je lui envoyais du vin fait maison
Mais il a été tué par un homme avec un couteau à cran d’arrêt
Pour quarante-trois dollars, mon ami a perdu la vie

J’adorerais cracher dans les yeux de ce mec
Et lui tirer dessus avec mon bon vieux 45
Parce qu’un garçon de la campagne peut survivre
Les gens de la campagne peuvent survivre

Parce que vous ne pouvez pas nous affamer et nous faire fuir
Parce qu’on est des mecs à l’ancienne élevés avec des fusils de chasse
Nous disons le bénédicité, et nous disons madame
Et si ça te plaît pas, on s’en fout

Nous sommes de Californie du Nord et du Sud de l’Alabama
Et des petites villes de tout ce pays
Et on sait écorcher un daim, on sait poser une ligne de pêche enroulée en continu
Et un homme de la campagne peut survivre, un homme de la campagne peut survivre, les gens de la campagne peuvent survivre.

[4] C’est peut-être la raison pour laquelle Trump a accordé des financements sans précédent au Pentagone en 2018. S’achetait-il les bonnes grâces de l’armée en tant qu’assurance-vie ?

[5] Les Américains représentent moins de 5 % de la population mondiale, mais absorbent à eux seuls 50 % de la production mondiale de médicaments et 80 % de la production d’opiacés.[6] La malbouffe est l’un des chevaux de bataille de la droite paléoconservatrice américaine. Elle lui attribue toutes sortes d’effets secondaires nocifs, aussi bien physiques que mentaux (voir plus haut la chanson de Hank Williams Jr sur le « fait maison »).[7] Citation du poème de T.S. Eliot « Les hommes creux ».



Articles Par : James George Jatras

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