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Un complot assisté par la CIA contre le Laos déjoué : Vang Pao, l’ancien général agent de la CIA et d’Air America, arrêté
Par Larry Chin
Mondialisation.ca, 08 juin 2007
8 juin 2007
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Un avion d’Air America  pendant la deuxième guerre d’Indochine

Vang Pao, 77 ans, leader laotien en exil et légendaire agent de la CIA pendant les guerres clandestines de la CIA en Indochine dans les années  60 et 70, fait partie des 10 hommes arrêtés aux USA le 4 juin 2007 sous l’accusation d’avoir préparé un coup militaire catastrophique contre le gouvernement laotien en utilisant des mercenaires. Selon le procureur US Bob Twiss, les dix individus sont les chefs du complot, mais des « milliers d’autres conspirateurs restent en liberté, dont beaucoup dans d’autres pays. »

L’autre chef de la conspiration qui a été arrêté est Harrison Ulrich Jack, un membre de la Garde nationale de Californie, et officier en retraite de l’armée de terre US, qui a été un agent secret de la CIA en Asie du Sud-Est avant de quitter le service actif en 1977. Selon l’agent de l’ATF (Bureau of Alcohol, Tobacco and Firearms and Explosives, Agence pour l’alcool, le tabac, les armes à feu et les explosifs), Jack a cité Lo Cha Thao, président de l’organisation sans but lucratif Hmong unis international (United Hmong International), et l’un des autres conspirateurs hmong, qui a déclaré : « La CIA se préparait à aider l’insurrection hmong une fois que la prise de pouvoir au Laos aurait commencé ».

Selon le compte-rendu du San Francisco Chronicle, « la plainte indique que Jack a été recruté comme courtier en armes et organisateur par les autres hommes en raison de ses relations dans les milieux de la défense, de la sécurité intérieure et des entreprises sous-traitantes du Pentagone ».

Tout un arsenal avait déjà été acheté, dont des missiles anti-aériens Stinger, des mitraillettes AK-47, de l’explosif C-4, des mines terrestres Claymore, des jumelles à vision nocturne et d’autres armes automatiques. Les armes, qui ont été saisies par les agents secrets de l’ATF, devaient être utilisées contre des cibles militaires et civiles au Laos, notamment par « une attaque contre la capitale (Vientiane), prévue pour réduire des cibles gouvernementales à des décombres et les faire ressembler aux ruines du World Trade Center à New York après le 11 septembre 2001 », ont déclaré les autorités fédérales. Le groupe avait des agents dans la capitale laotienne.

   

 

Vang Pao en action dans les années 70

Retour au futur : le Général Vang Pao et Air America

Le retour sur la scène de Vang Pao et de la CIA, quels qu’aient été leurs rôles respectifs dans ce complot avorté, est un signe inquiétant de la détermination de l’administration Bush à imposer sa volonté géopolitique par des actions clandestines criminelles et des massacres fabriqués, y compris des opérations secrètes violentes en Asie qui rappellent les opérations les plus brutales de l’époque de la guerre de Vietnam, mais en bien pire.

Le Général Vang Pao, une marionnette de la CIA, a dirigé une armée de guerriers tribaux hmong  soutenue par la CIA dans les guerres secrètes par procuration au Laos dans les années 60 et 70, en tant que général dans l’armée royale du Laos. Quand les USA ont finalement quitté le Vietnam en 1975, Pao, avec l’aide des services de renseignement US, s’est enfui aux USA, avec plusieurs de ses associés au cours d’un exode de masse. L’ancien général, âgé de 77 ans, résidait dans le Comté d’Orange en Californie mais n’a, selon ce qui est rapporté, « jamais abandonné l’idée de reprendre le Laos ». Pao dirige divers groupes de « libération » hmongs, tels que Neo Hom et le United Laotian Liberation Front, qui ont reçu des appuis financiers d’expatriés et d’exilés hmongs, destinés à des activités de guérilla et au renversement du gouvernement communiste au Laos. 

L’opération Air America de la CIA, qui mêlait des activités militaires et de renseignement et du trafic de drogue est richement détaillée dans deux ouvrages définitifs, The Politics of Heroin: CIA Complicity in the Global Drug Trade, d’ Alfred McCoy et Drugs, Oil and War: The United States in Afghanistan, Colombia and Indochina, de Peter Dale Scott. 

Air America était l’une des plus célèbres lignes aériennes possédées par la CIA et une composante clé des opérations de trafic d’héroïne du gouvernement US dans le Triangle d’or dans les années 60 et 70. Air America a a débuté en 1950 sous le nom de CAT (Civil Air Transport), et était la plus grande entreprise de la CIA en Asie. CAT elle-même avait ses origines  dans l’OSS (ancêtre de la CIA) en Chine et dans les opérations conjointes menées avec le Kuomintang durant la deuxième guerre mondiale. Selon Scott, « la CIA possédait 40 pour cent de la compagnie ; les banquiers du Kuomintang en possédaient 60 pour cent. Les avions avaient desservi les bases de production d’opium du Kuomintang sans interruption depuis 1951. »

La CIA, principalement via Air America, avait le monopole sur ce trafic jusqu’en 1960 (après quoi une diversification a eu lieu, avec d’autres entreprises-écran de la CIA et, selon Scott, « l’économie laotienne, basée sur l’opium, a continué à être protégée par une coalition de mercenaires de la CIA producteurs d’opium, d’avions d’Air America et de militaires thaïlandais»). Air America a été impliquée dans divers aspects de la guerre d’Indochine : trafic de stupéfiants, opérations camouflées, logistique, soutien tactique, transport de troupes et défoliations.

En outre, Air America n’était pas simplement un écran de la CIA, mais un appareil complexe avec des racines profondes dans les services de renseignement, comme le note Scott :

« Le trafic de stupéfiants a eu une grande importance dans l’historie de l’Asie du Sud-Est de ces années-là.  La CIA était intimement liée à ce trafic, principalement par le biais de son entreprise Air America. Mais elle ne contrôlait pas ce trafic de manière sécurisée et ne cherchait probablement pas à le faire. Ce qu’elle désirait, c’était pouvoir nier son implication, en recourant à une jolie fiction juridique : Air America, possédée entièrement par la CIA, était une entreprise qui employait des pilotes et possédait une installation de maintenance aérienne à Taiwan. La plupart de ses avions, qui transportaient souvent de la drogue, étaient possédés à 60% et souvent gérés par des Chinois du Kuomintang.

« La CIA pouvait facilement nier ses relations avec des gens dont elle savait qu’ils étaient en train de réorganiser le trafic de drogue dans l’Asie du Sud-Est de l’après-guerre. Le gouvernement  US était déterminé à assurer que les réseaux de trafic de drogue et les triades resteraient sous le contrôle du Kuomintang, même si cela impliquait un soutien logistique et aérien à des armées dans la Birmanie d’après-guerre, dont la principale activité consistait à étendre la production locale d’opium.   La structure juridique complexe de la compagne aérienne  CAT- connnue d’abord sous le nom de Civil Air Transport puis sous celui d’Air America- était le vecteur idéal de ce soutien. »  

« …Air America, dont les managers appartenaient en même temps soit à la CIA soit à la compagnie aérienne Pan Am, fut amenée à jouer un rôle croissant au Laos, qui était contraire aux intérêts US mais fournissait simultanément à Pan Am les activités de transport aérien militaire dont elle avait besoin pour survivre en Extrême-Orient. »

Scott note également qu’Air America et son personnel « ont pris du travail en sous-traitance pour les grandes compagnies pétrolières en Asie du Sud-Est, dont beaucoup maintiennent leurs propres réseaux de renseignement, recrutant en grande partie des vétérans de CIA. »

« Air America participait à l’économie pétrolière florissante de l’Asie du Sud-Est, car elle transportait les prospecteurs à la recherché de cuivre et des géologues recherchant du pétrole en Indonésie et fournissait des pilotes à des lignes ariennes commerciales comme Air Vietnam et Thai Airways, et reprit aussi les services de passagers de la CAT. »

McCoy résume ainsi la relation Air America/Vang Pao :

« La CIA a mené une série d’opération de guerre clandestines le long de la frontière chinoise, qui ont été décisives dans la constitution du complexe de production d’heroïne du Triangle d’Or.  …Au Laos de 1960 à 1975, la CIA a créé une armée secrète de Hmongs pour combattre les communistes laotiens près de la frontière avec le Nord-Vietnam. Comme la principale production des  Hmongs était l’opium, la CIA adopta une position de complicité à l’égard de ce trafic, permettant au commandant hmong, le général Vang Pao, d’utiliser Air America pour collecter l’opium dans les villages reculés des hauts-plateaux. Fin 1969, les divers clients des opérations secrètes de la CIA ouvrirent un réseau de laboratoires d’héroïne dans le Triangle d’Or. Durant les premières années de leur fonctionnement, ces laboratoires exportaient de l’héroïne n°4 aux troupes US combattant au Vietnam. Après le retrait US, les laboratoires du Triangle d’Or ont exporté directement aux USA, capturant un tiers du marché usaméricain de l’héroïne. »

Sur l’aspect militaire et du renseignement, Scott note :

« Dans les années 60, la plus grande opération fut l’approvisionnement des positions fortifiées dans les collines des 45 000 membres des tribus hmongs combattant le  Pathet Lao dans le nord-est du Laos… Les avions d’Air America servaient aussi à transporter le principal produit des Hmongs, l’opium. »

« Les unités hmongs, organisées et entraînées à l’origine par les Français, fournissaient une bonne armée indigène aux Usaméricains au Laos. Encadrés par leurs “conseillers” de la CIA et des Forces spéciales US, les Hmongs étaient utilisés pour harceler les lignes d’approvisionnement du Pathet Lao et des Nord-Vietnamiens.  À la fin des années 60, ils ont été engages dans des batailles conventionnelles, pour lesquelles ils ont été transportés par des avions et des hélicoptères d’ Air America. Les Hmongs défendirent aussi, jusqu’à ce qu’elle soit prise en 1968 (par les communistes, NdT), l’installation radar clé de Pathi près de la frontière nord-vietnamienne. Cette station était utilisée pour les bombardements du Vietnam du Nord.….Plus au sud du Laos, Air America assurait les transports de et vers le QG opérationnel de la CIA à Pakse…À l’origine, le but principal de ces activités était de surveiller et harceler la piste Ho Chi Minh, mais finalement les combats au Laos s’étendirent à une guerre aérienne et terrestre généralisée. Les avions d’ Air America servirent aussi à transporter des armes, des fournitures et des renforts dans cette campagne plus vaste. »

 

Au sommet de sa gloire : un assassin décoré

Vang Pao: un assassin de la CIA

Vang Pao n’était pas seulement un favori de la CIA mais aussi un tueur impitoyable. McCoy écrit :

« Avec son flair pour une forme de combat offrant le meilleur rapport qualité-prix,  Vang Pao allait devenir un héros aux yeux des bureaucrates de l’agence à Washington… ‘La CIA avait identifié en lui un officier qui avait non seulement le courage mais aussi la sagacité politique…nécessaires pour devenir un leader dans un tel conflit…’, se souvenait l’ancien directeur de la  CIA William Colby. ‘Son nom était Vang Pao, et il jouissait de l’admiration enthousiaste des officiers de la CIA, qui le connaissaient…comme un homme qui… savait aussi bien dire dire oui que non aux Usaméricains.’ Beaucoup d’agents opérationnels de la CIA admiraient son caractère impitoyable. Lorsque l’ agent Thomas Clines, commandant de la base secrète de la CIA de Long Tieng, demanda un interrogatoire immédiat de six prisonniers, Vang Pao ordonna leur exécution sur le champ. Clines fut impressioné. » [Clines était à la fois un agent opérationnel légendaire de la CIA et un ami de très :longue date et un associé politique de la famille Bush.—LC]

« Pendant ‘plusieurs années’», selon Scott, «700 membres de la mission ‘civile” de l’ USAID, travaillant à “l’annexe de développement rural” de la mission, furent des anciens membres des Forces spéciales et de l’US Army répondant de leurs actes au chef de station de la CIA et opérant au Nord-Laos avec la guérilla, soutenu par la CIA, du   Général Vang Pao. L’Armée clandestine de Vang Pao, entièrement financée et soutenue par la CIA, ne répondait même pas de ses actes au gouvernement royal lao. »

« (Le commandant hmong) Touby Lyfoung a remarqué une fois à propos de Vang Pao : ‘C’est un pur officier militaire qui ne comprend pas qu’après la guerre vient la paix. Et il faut être fort pour gagner la paix.’ »

Il semble bien que, des décennies plus tard, le général ne comprenne toujours pas le besoin de paix.

Vers de nouvelles guerres et une instabilité en Asie

En plus des questions sur le retour de l’homme du Triangle d’Or et de la CIA Vang Pao, ces développements posent de nouvelles questions embarrassantes sur la géostratégie de l’administration Bush dans le Pacifique et en Asie du Sud-Est.

Les premiers rapports sur ce coup avorté suggèrent qu’il ne s’agissait pas simplement d’une opération sale, mais d’une opération soutenue par la CIA et d’autres agences US ainsi que par des entreprises sous-traitantes du Pentagone. Qui aurait profité de cette insurrection et de ce coup dans le plus pur style Guerre froide-Guerre du Vietnam ? Quels intérêts auraient été servis  par une catastrophe du type 11 septembre à Vientiane, et par l’installation d’un régime dirigé par des personnages du renseignement militaire soutenus par la CIA et des expatriés lies au trafic de drogue ?

Est-ce que ce plan incluait le trafic de drogue du Triangle d’Or et de nouvelles tentatives de revitaliser ou de restructurer le trafic d’héroïne, pour injecter des fonds blanchis dans une économie mondiale fragile ?

Est-ce que le contrôle du pétrole et de ses routes de transport, un objectif permanent des USA en Asie du Sud-Est, a joué un rôle ? Et qu’en est-il de la « guerre contre le terrorisme » ? L’ Asie du Sud-Est a été la cible de nombreuses opérations « terroristes » réelles et fabriquées (comme l’attentat de Bali). Un événement majeur au Laos aurait déclenché des effets politiques similaires.

Ce qui est en jeu ici, c’est aussi l’objectif Us de contenir ou de concurrencer la Chine voisine – un retour à la politique de confrontation de la Guerre froide. Dans Drugs, Oil, and War, Scott écrit que le rôle de la CIA dans le conflit délibérément fomenté au Laos dans les années 60 pourrait avoir eu comme  but de provoquer une guerre avec la Chine et de polariser les diverses factions.  . «  Qu’est-ce qui a poussé le Pentagone, la CIA et Air America à s’accrocher au Laos avec une telle ténacité? …Aussi tard qu’en 1962, il y avait au Pentagone et à la CIA des gens ‘qui croyaient qu’une confrontation directe avec la Chine communiste était inévitable’  et qui s ‘attendaient à ce que “le Laos devienne tôt ou tard un champ de bataille majeur entre l’Est et l’Ouest ”. L’objectif, selon Scott, “a été atteint”, le pays est devenu un champ de bataille où les bombardements US, avec de 400 à 500 sorties ariennes par jour en 1970, ont produit 600 000 réfugiés. »

Est-ce que les USA cherchent à créer un nouveau conflit du même type, cette fois-ci contre la menace de la superpuissance chinoise émergente ?

« Le Vietnam, en d’autres termes, n’était pas un événement isolé», souligne Scott. « C’était le produit d’énergies créatrices de guerre localisées principalement dans ce pays, qui à ce jour n’ont pas été clairement identifiées et contrées. Parmi ces forces, aucune n’est plus obscure et mystérieuse que la CIA et ses lignes aériennes travaillant avec les grands trafiquants de drogue…Ces forces vont continuer à nous hanter tant qu’on n’aura pas mieux compris comment elles ont fonctionné. »

Alors que les révélations sur l’affaire Vang Pao continuent, une chose est claire et évidente : les opérations criminelles de la CIA, directement autorisées et/ou tacitement avalisées par l’administration Bush, continuent à s’intensifier, dans chaque coin du monde.

  

  

Vang Pao inaugurant le Lao-Hmong American War Memorial Monument à Fresno, Californie, en décembre 2005. Ce monument de 5 mètres de haut et de 14 tonnes de bronze et de marbre représente des soldats laotiens et hmongs portant secours à un aviateur US…

  

NdT : Né en 1932, Vang Pao a commencé sa carrière à 13 ans, comme interprète auprès des parachutistes français qui tentaient d’organiser la résistance antijaponaise dans la Plaine des Jarres en 1945. Devenu lieutenant dans l’armée royale laotienne, qui fournissait des supplétifs à l’armée coloniale française engagée dans la guerre au Vietnam, Vang Pao commande une unité envoyée en renfort aux troupes fançaises assiégées dans la cuvette de Dien Bien Phu en 1954 À la fin de la première guerre d’Indochine, il a une double casquette : major dans l’armée royale et chef des milices d’autodéfense Méos dans la Plaine des Jarres. Il se mettra tout naturellement au service des nouveaux conquérants US dans une guerre de 15 ans qui se solda par la défaite des USA et de leurs alliés locaux en 1975. L’aventure de Vang Pao a transformé les Hmongs en un peuple fantôme, éparpillé aux quatre coins de la planète, de la Guyane française à l’Australie, en passant par les USA, le Canada et les banlieues françaises.

Article original en anglais, 6 juin 2007. 

Traduit de l’anglais par Fausto Giudice, membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.

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