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Un plan Marshall pour Cuba
Par Atilio A. Boron
Mondialisation.ca, 02 janvier 2011
CADTM 19 janvier 2011
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/un-plan-marshall-pour-cuba/22856

Cuba fait actuellement face à un dilemme crucial : ou elle actualise, révise et reconstruit son modèle économique ou elle court le risque de succomber face à la pression combinée de ses propres erreurs et des agressions du blocus américain. Les pays d’Amérique latine et des Caraïbes ainsi que la totalité de ceux d’Afrique et d’Asie ne peuvent demeurer indifférents face à cette situation ou se limiter à contempler comment la révolution livre cette bataille décisive sans aucune aide autre que celle de ses propres forces.

L’aide ne peut cependant se cantonner au soutien verbal qui est bien mais insuffisant. Cuba a besoin de quelque chose de plus : concrètement que ses créanciers et en particulier lorsqu’il s’agit de pays d’Amérique latine et de la Caraïbe annulent la dette externe cubaine. L’Argentine est le principal créancier de Cuba – lors d’un prêt octroyé par le gouvernement de Hector Cámpora et son ministre de l’économie José B. Gelbard en 1973 – et que l’ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Kirchner, Rafael Bielsa avait renégocié en proposant une réduction de 50% du montant de celle-ci. En cumulant le capital et les intérêts accumulés, cette dette se montrait approximativement à 1,8 milliard de dollars. A cette même époque, son collègue le Ministre de l’économie, Roberto Lavagna proposait aux créanciers de l’Argentine une décôte de 75% sur la valeur nominale de la dette en défaut avec l’effondrement de la convertibilité en décembre 2001. Comme on le sait, le pays a finalement obtenu une réduction d’environ 70% des bons de sa dette. L’Argentine devrait au moins garantir à Cuba le même traitement dont l’Argentine a bénéficié vis-à-vis de ses créanciers. Cela serait le minimum. Ce qu’il faudrait, ce qui serait éthiquement impeccable serait que l’Argentine annule cette dette pour de cette manière alléger le fardeau pesant sur la République sœur. Les 1.147 habitants de l’Argentine qui ont récupéré gratuitement la vue grâce à l’Opération Milagro au cours de cette dernière année au Centre ophtalmologique Docteur Ernesto Guevara de Cordoba et les plus de 20.000 personnes qui ont été alphabétisées qui ont appris à lire et écrire grâce au programme cubain « Yo si puedo » sont autant de raisons d’annuler cette dette. Il s’agirait d’un acte de stricte justice. Les gouvernements du Mexique – qui a des créances de l’ordre de 500 millions de dollars – du Panama 200 millions ; Brésil 40 millions ; Trinidad-Tobago 30 millions et l’Uruguay avec également 30 millions devraient également en faire de même.

Pourquoi une question de stricte justice ? Pour différentes raisons. Nous en exposerons seulement deux. Premièrement comme une juste rétribution pour le généreux internationalisme cubain sans égal qui a conduit cette révolution a transcender ses frontières en envoyant des médecins, des infirmières, des dentistes, des éducateurs et des instructeurs sportifs dans le monde entier alors que l’Empire et ses alliés le saturaient de militaires, « commandos spéciaux », d’espions, d’agents du renseignement, policiers et terroristes. Au cours des dernières décennies Cuba a envoyé 135.000 professionnels de la santé dans plus de 100 pays du monde entier en particulier en Amérique latine et Caraïbe et en Afrique mais également en Asie. Les médecins cubains sont à Haïti depuis bien avant le fatidique tremblement de terre et après celui-ci leur nombre a augmenté pendant que les Etats-Unis envoyaient … des marines. L’aide cubaine pour combattre la maladie et prévenir les morts dans tant de pays a été et est concrète et effective. Maintenant les peuples et les nations du Tiers Monde doivent courrir aider ce phare de la libération nationale et sociale qui depuis plus d’un demi-siècle inspire et illumine les luttes les plus nobles de nos peuples. Et ils doivent le faire avec une solidarité militante qui se traduise en aide économique effective. Les déclarations seront bienvenues mais insuffisantes.

Il y a ensuite une obligation morale d’aider Cuba car nous pensons que serait-il advenu de nos pays si la révolution cubaine n’avait pas résisté de pied ferme aux pressions de l’impérialisme et de la droite mondiale une fois que s’est produit l’implosion de l’Union Soviétique ? Le changement idéologique et politique matérialisé par l’ascension et la consolidation au pouvoir de Hugo Chávez, Evo Morales et Rafael Correa – pour ne mentionner que les cas les plus significatifs – aurait-il pu avoir lieu avec Cuba a genoux, vaincue et désarmée face à la restauration du saccage national à laquelle elle avait été soumise depuis 1898, ses rêves et ses utopies humanistes anéanties par le retour triomphal des mafias capitalistes comme celles qui sévissent à ce moment là dans la défunte Union Soviétique ? Qui plus est l’avènement au début du nouveau siècle d’un centre gauche très modéré dans des pays comme l’Argentine, le Brésil ou l’Uruguay aurait-il seulement été possible sans la résistance héroïque de Cuba, le « mauvais exemple » dont le taux de mortalité infantile est inférieur – en dépit du blocus et des agressions – à celui des Etats-Unis ? En aucune manière ! Outre les raisons propres à chacun de ces cas, ces avancées ont été rendues possibles grâce à la résistance de Cuba. Si Cuba avait capitulé et s’était converti en un protectorat des Etats-Unis, le tsunami de la droite aurait ravagé cette partie du monde. Grâce à Cuba, nos peuples ont évité une catastrophe d’une telle ampleur.

C’est pour cette raison qu’en plus d’annuler les dettes existantes avec les pays de la région, tant les pays créanciers que ceux qui ne le sont pas devraient sans tarder créer un fonds spécial de solidarité avec la révolution cubaine. Les Etats-Unis l’ont fait pour sauver les Européens de la débandade après la seconde guerre mondiale et son succès a été extraordinaire. Le Plan Marshall a pleinement satisfait les attentes qu’il avait éveillées et les économies européennes ont rapidement récupéré. Cuba qui a souffert à son encontre l’équivalent de deux plans Marshall – en effet, tel est aujourd’hui le coût du blocus américain sur la fragile économie cubaine – mérite largement un geste similaire des nations sœurs latino-américaines. Celles-ci comptent d’énormes réserves dans leurs banques centrales. En 2007, le président Rafael Correa avait calculé que les réserves existantes dans la région avoisineraient les 200 milliards de dollars et ce chiffre n’a pas arrêté d’augmenter au cours des années postérieures. Des statistiques du FMI indiquaient qu’en fin 2009 les réserves internationales de l’Argentine se montaient à 49,5 milliards de dollars, celles du Brésil à 238,5 milliards, celles du Mexique à 90,8 milliards, celles du Chili à 26,1 milliards, celles de la Colombie à 32,8 milliards, celles du Pérou à 32,8 milliards et celles du Venezuela à 35,8 milliards. Avec les augmentations enregistrées en 2010, les réserves combinées de ces pays – plus celles de la Bolivie, de l’Equateur et de l’Uruguay qui n’étaient pas comptabilisées dans cette étude statistique – dépasseraient largement les 500 milliards de dollars. D’où l’importance énorme de faire fonctionner le plus vite possible la Banque du Sud qui demeure toujours entravée par des prétextes bureaucratiques et par la myopie politique dont font montre certains gouvernements. En affectant à peine 2% de ces fabuleuses réserves on pourrait créer sans grand effort un fonds spécial de 10 milliards de dollars pour financer le processus complexe de réformes économiques socialistes que Cuba doit mettre en œuvre sans tarder au cours des prochains mois. Ce serait un geste de réciprocité méritée face à la solidarité cubaine sans faille au cours de ces cinq décennies mais également un geste d’altruisme calculé pour lequel il faut seulement de la volonté politique puisque l’argent est lui déjà là. Ou est-ce qu’un gouvernement de la région pourrait être naïf au point de ne pas se rendre compte que si la révolution cubaine prenait fin l’empire mettrait tout son poids sur nos pays sans distinction de nuances idéologiques pour recoloniser à feu et à sang le continent et restaurer l’ordre que Fidel et le mouvement du 26 juillet avaient réussi à renverser le 1er janvier 1959.

 

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