Un simple « oubli » : la justice. Il ne s’est donc rien passé, en Palestine ?
Un groupe de responsables d’associations anti-guerre [américaines] ont tenu une conférence de mobilisation, à la fin du mois d’août, sous le patronage du Réseau des Progressistes Spirituels [Netword of Spiritual Progressives] animé par Michael Lerner, afin de procéder à une planification à long-terme du mouvement anti-guerre. On comptait au nombre des participants les présidents des groupes pacifistes les plus connus aux Etats-Unis – United for Peace and Justice, Code Pink, Pax Christi, the Department of Peace, entre autres – ainsi que Lerner lui-même et les membres (démocrates) du Congrès Lynn Woosley et Jim Moran. Ils ont parlé de l’Irak, bien entendu, mais pratiquement de rien d’autre. Il y a eu un couplet sur la « paix et la justice » de manière très générale, une mention en passant de la nécessité d’essayer de stopper une attaque contre l’Iran, et beaucoup de bla-bla sur la nécessité d’éviter toute action sur tous les sujets, Irak y compris, tant que Woolsey et deux ou trois de ses collègues progressistes ne s’essaient à inciter des congressistes démocrates mollassons à manifester qu’ils ont « une colonne vertébrale » en ce qui concerne le vote d’un retrait d’Irak. C’est là, sans doute, la nouvelle manière de s’opposer à une guerre : ne rien faire… ?!
On aurait pu penser qu’à part ça, tout allait comme sur des roulettes, dans le monde… Rien sur l’agression américaine en Afghanistan (qui est supposée, y compris par le mouvement pacifiste, être une guerre « juste », en dépit du nombre extrêmement élevé d’innocentes victimes civiles – que l’on ne mentionne jamais – qui sont tombées, là-bas). Il n’y a rien eu non plus sur la nécessité de prémunir le Liban contre de fréquentes agressions israéliennes, ni rien, bien sûr, en ce qui concerne le soutien aux droits humains et nationaux des Palestiniens, ou à la nécessité de contrer les violations odieuses de ces droits par Israël. Il n’y a rien eu, en résumé, au sujet des injustices massives perpétrées dans le monde entier par les Etats-Unis, en premier lieu dans le cadre de leur soi-disant ‘guerre contre le terrorisme’ – des agressions ignorées par le mouvement anti-guerre / pacifiste. Un mouvement pacifiste : je veux bien. Mais un mouvement pour la justice ? : ne me faites pas rigoler !
De façon très significative, deux des orateurs, Lerner et Rick Ufford-Chase, un représentant de l’Eglise presbytérienne américaine, sont aujourd’hui à la tête d’organisations créées après que de premiers efforts visant à faire connaître la question palestino-israélienne aient échoué, face à l’opposition extrêmement forte de partisans d’Israël. Lerner a créé le Network of Spiritual Progressives après que son association Tikkun eut rencontré trop d’opposition de la communauté juive, opposée aux efforts visant à damer une piste de passage entre Israël et les Palestiniens. Ufford-Chase, quant à lui, était le principal porte-parole des Presbytériens à l’époque où cette Eglise lança une campagne (c’était en 2004) visant à désinvestir des compagnies américaines soutenant l’occupation israélienne ; en effet, après que l’Eglise eut reculé, par rapport à cette position, en 2006, sous les lourdes attaques de partisans d’Israël, la Presbyterian Peace Fellowship [Confraternité presbytérienne pour la paix], dirigée par Ufford-Chase, créa une nouvelle association, focalisée spécifiquement sur l’Irak, et appelée Peace Witness for Irak [Témoins de Paix pour l’Irak].
Et c’est ainsi que le mouvement pacifiste a abandonné la Palestine et les Palestiniens à la machine belliciste israélo-américaine. Ce lâchage n’a absolument rien de nouveau ; simplement, plus le temps passe, plus il est injuste. United for Peace and Justice a toujours été extrêmement timoré à parler en défense des Palestiniens. Cette association avait organisé une manifestation, au mois de juin, pour dénoncer l’occupation israélienne, et marquer le quarantième anniversaire de cette occupation. Mais ce fut un événement tellement pour la forme que la section du site de l’UFPJ [UJFP française, ndt] consacrée à sa « Campagne pour une paix juste en Israël/Palestine » n’a pas été remise à jour depuis… la mi-2004. Pax Christi s’attèle régulièrement au désarmement nucléaire, s’occupe de the School of the Americas, de l’Irak, de l’immigration, de Haïti – comme, bien entendu, il doit le faire – mais… la Palestine ? Rarement ; pour ne pas dire jamais ! Et ainsi de suite, avec les autres associations, à de rares et notables exceptions près ; on peut parcourir tout le catalogue des associations pacifistes…
Le dernier bouquin de Scott Ritter, intitulé Waging Peace [Mener la Paix] et consacré à la nécessité d’une stratégie du mouvement anti-guerre, ne mentionne pas du tout la situation particulièrement non-pacifique qui règne en Israël / Palestine. MoveOn.org et d’autres associations politiques donnent peu d’indication qu’ils aient jamais entendu ne serait-ce que parler de la Palestine. Même chose en ce qui concerne les animateurs progressistes d’émissions de radio sur Air America, en particulier Thom Hartmann et Randi Rhodes. Des initiatives venues de la base, comme la Déclaration de Paix, ne mentionnent pas la Palestine, ni la tragédie pourtant tout à fait évitable qui est en train de se dérouler là-bas. Aucun des films – excellents – consacrés à l’agression de l’administration Bush contre le monde entier – ni Fahrenheit 9/11, ni No End in Sight, ni aucun des autres films sortis durant ces dernières années – ne contiennent un seul mot au sujet du rôle extrêmement important joué par Israël dans la machinerie impérialiste des Etats-Unis, ni au sujet de la carte blanche que les fomenteurs de guerre américains ont donnée à Israël pour procéder à l’escalade dans son oppression des Palestiniens et dans son assassinat de la nation palestinienne.
Et c’est là le point crucial : la machine de guerre d’Israël est, par essence, partie constituante de la machine de guerre des Etats-Unis, l’agression israélienne contre les Palestiniens s’inscrit dans la guerre américaine « contre le terrorisme », les Etats-Unis et Israël ne vont jamais nulle part en guerre, dans la région du Moyen-Orient, sans qu’il y ait entre eux une coordination et une coopération extrêmement étroites. Les Etats-Unis rendent possibles l’occupation et l’oppression des Palestiniens par Israël ; Israël facilite et encourage la politique belliqueuse des Etats-Unis. L’un n’agit jamais sans l’autre, et le calvaire des Palestiniens, par conséquent, ne saurait être dissocié d’aucune des autres atrocités perpétrées par cette machine de guerre, ailleurs au Moyen-Orient, que ce soit en Irak, en Afghanistan, au Liban ou en Iran. Même si les partisans d’Israël condamnent promptement toute tentative de lier Israël à la planification de la guerre en Irak, ils n’hésitent jamais à associer les Palestiniens aux « terroristes » contre lesquels la guerre en Irak et la « guerre anti-terroriste » sont censées être menées.
Dans leur ouvrage récent consacré au lobby israélien, John Mearsheimer et Stephen Walt fournissent une masse de preuves révélant le rôle joué par Israël et ses lobbyistes dans la fomentation de la guerre en Irak, à laquelle ils apportent un soutien acharné. De fait, cette guerre a été vantée par ses préconisateurs néocons comme une avancée vers la capitulation des Palestiniens (selon l’adage « le chemin de Jérusalem passe par Bagdad »), l’idée étant qu’en écrasant et en humiliant Saddam Hussein et l’Irak, les Etats-Unis intimideraient, du même coup, les Palestiniens, qui se rendraient à Israël sans autre forme de procès. Mais la communauté pacifiste évite soigneusement de reconnaître la connexion israélienne avec la guerre. Elle ignore aussi, délibérément, les réalités bijectives des relations américano-israéliennes, lorsqu’elles affirment que la guerre en Irak serait le sujet brûlant du moment, car c’est le pays où des Américains sont en train de se faire tuer, et c’est donc le seul problème auquel les manifestations de protestation devraient se consacrer. On se demande bien pourquoi la « paix et la justice » n’avaient jamais préoccupé cette communauté pacifiste, avant la guerre en Irak, dès lors que les Palestiniens souffraient de l’injustice et de l’oppression du fait des menées d’Israël et des Etats-Unis, et ce depuis des décennies !?
En-dehors des Etats-Unis, les interrelations entre le conflit palestino-israélien et les troubles dans le reste de la région sont parfaitement comprises. Des sondages d’opinion, effectués en Europe et au Moyen-Orient, ont montré à plusieurs reprises que le soutien américain à Israël est la cause principale de la montée d’un anti-américanisme dans le monde entier. En Irlande, d’après le président du Comité de Solidarité Irlande-Palestine, James Bowen (il l’a écrit dans un article publié par le quotidien israélien Ha’aretz), le « dégoût » face aux injustices perpétrées par Israël contre les Palestiniens – en particulier les confiscations de terres et les démolitions de maisons, qui évoquent terriblement les pratiques britanniques répressives en Irlande, voici de cela un siècle – a atteint « un tel niveau que même des institutions fondamentalement conservatrices, qui évitent habituellement d’évoquer les questions politiques, sont amenées à exprimer leur inquiétude ». Une académie irlandaise d’artistes, sponsorisée par l’Etat et habituellement apolitique, a publié un appel, voici quelque mois, encourageant les artistes et les institutions culturelles irlandais à « réfléchir profondément » avant d’engager de quelconques participation à des événements ou coopération avec des institutions culturelles israéliennes sponsorisées par l’Etat israélien. « La détestation [d’Israël] se répand dans le monde entier », a ainsi écrit Bowen. Il en va de même, en Grande-Bretagne, où des boycotts universitaire, culturel et entrepreneuriaux d’Israël ont été préconisés par diverses associations.
Mais non ; rien n’y fait. En dépit du dégoût irlandais, des boycotts en Angleterre, de la détestation dans le monde entier de l’oppression israélienne financée par les Etats-Unis envers un autre peuple, la communauté pacifiste et le mouvement anti-guerre américain sont sans voix. Une immense injustice envers les Palestiniens ne suscite qu’un intérêt minime chez ceux qui se focalisent obsessionnellement sur l’Irak, certes un problème grave et urgent. Pourtant, le conflit palestino-israélien, en en particulier la situation invivable qui est faite aux Palestiniens est aujourd’hui, et pas seulement aujourd’hui (cela remonte bien avant l’époque où l’Irak est devenu une urgence), le problème central dans la politique moyen-orientale, le centre volatil de la région la plus volatile du monde. Cette situation invivable des Palestiniens forme le socle de la plus forte récrimination du peuple arabe – une récrimination contre Israël, le criminel, et contre les Etats-Unis, en leur qualité de pourvoyeur d’armes et de bienfaiteur d’Israël, et aussi une récrimination envers les dirigeants des pays arabes, qui n’ont pas aidé les Palestiniens, ou ne se sont pas dressés pour prendre leur défense. Le mouvement anti-guerre ignore ce problème extrêmement grave et explosif, ce problème qui est sous-jacent à tous les autres, tournant le dos aux Palestiniens et ignorant les traitements de plus en plus brutaux qu’Israël leur inflige. En détournant ses yeux de la Palestine, ce mouvement se détourne de la justice, et se tourne, en revanche, vers une paix fallacieuse, ou, à tout le moins, incomplète.
Ainsi, le mouvement anti-guerre, pour l’essentiel, se contente de protester contre la guerre en Irak, pour des motifs auto-centriques, parce que cette guerre tue des Américains, et détourne d’énormes financements de besoins domestiques criants. Le mouvement anti-guerre, par bien des aspects, est le reflet du mode de pensée et des sentiments de la société américaine dans son ensemble, et la peur, palpable, tant chez les protestataires que chez les hommes politiques du parti démocrate, d’être perçus comme ne « soutenant pas notre armée », ne soutenant pas l’Amérique comme ils le devraient, et par conséquent, pas assez patriotes, est puissante et omniprésente, parce que la société américaine, dans son ensemble, a fait de cette question [irakienne] un point de fixation majeur.
Mais il est un problème plus important, auquel est confronté le mouvement anti-guerre. Ce problème, c’est la hantise de se voir taxer d’être faibles face au terrorisme et face à l’Islam. En une ère où la fomentation, par la droite, d’un « clash des civilisations » entre l’Occident et le monde musulman, ainsi que d’un puissant préjugé antimusulman, contamine de plus en plus gravement le discours public, il est tout simplement par trop inconfortable, pour beaucoup de gens de gauche, d’être pris du mauvais côté de la barrière, en train prendre parti pour la justice pour les Palestiniens et tous les Arabes, et tous les musulmans. Les protestataires anti-guerre redoutent de se voir associés avec les insurgés irakiens, et encore pire, avec les Palestiniens, qui sont considérés comme des « rebelles » et des « terroristes » « agressant » Israël. Beaucoup d’entre eux, qui n’avaient jamais accusé le coup lorsqu’ils se faisaient qualifier de communistes parce qu’ils soutenaient le Viet Cong durant la guerre au Vietnam, craignent pire que tout, aujourd’hui, d’être étiquetés « islamofascistes » (quoi que ce terme soit bien censé signifier), ou encore « terroristes », ou, horresco referens, d’être accusés de « coucher avec l’OLP ». Etre considéré comme soutenant les droits des musulmans ou des Arabes, en des temps où les musulmans s’opposent aux Américains en Irak et aux Israéliens en Palestine et ailleurs, c’est tout simplement intolérable, pour une grande majorité de la gauche. Ainsi, l’attitude « nous contre eux » des néocons de l’entourage de Bush a, de bien des manières, pris le contrôle du mouvement anti-guerre aussi, quand bien même cela signifie que l’injustice peut prospérer à sa guise.
La Justice, d’abord !
D’aucuns qualifient cela de racisme. Le jazzman israélo-britannique et militant Gilad Atzmon, un antisioniste iconoclaste qui commente fréquemment les questions moyen-orientales, a fait une conférence à l’université de Denver , au mois d’avril, durant laquelle il a fustigé la société occidentale, de manière générale, en raison de son « indifférence collective » devant les crimes commis au Moyen-Orient « pour nous, et en nos propres noms ». Il a accusé le mouvement anti-guerre d’auto-complaisance, qui le rend indifférent même aux pires injustices. Relevant qu’il y a un « dénominateur commun, entre la Palestine, l’Irak et l’Afghanistan », dans une large mesure attribuable à l’influence exercée par Israël et ses partisans sur la politique extérieure des Etats-Unis « l’Amérique opère, officiellement, comme une force au service d’Israël… actuellement, elle est en train de combattre les dernières poches souveraines de la résistance musulmane »), Atzmon a accusé à juste titre les Américains, et les Européens, de manière générale, de ne se préoccuper des musulmans que « dès lors qu’ils arrêtent d’être musulmans ». La notion de clash entre les cultures et les civilisations, a-t-il dit, trouve des échos, y compris au sein du mouvement de solidarité [avec les Palestiniens].
« Nous avons une tendance naturelle à attendre que l’objet de notre solidarité adopte notre point de vue, tout en laissant tomber le leur propre. Autant Blair et Bush insistent à démocratiser le monde musulman, nous, les soi-disant humanistes, nous avons nos propres agendas divers variés concernant cette région du monde et son peuple. En Europe, des marxistes archaïques sont convaincus qu’une « politique de la classe ouvrière » serait la seule issue viable de ce conflit, et sa solution. D’autres, des socialistes et des égalitaristes désillusionnés, parlent de libérer les musulmans de leurs entraves religieuses. Les cosmopolites, au sein du mouvement de solidarité, auraient tendance à suggérer aux Palestiniens l’idée que le nationalisme et l’identité nationale appartiendraient au passé. De manière notable, nous aimons, pour la plupart d’entre nous, les Arabes et les musulmans que pour autant qu’ils se comportent comme des blancs, comme des Européens de l’époque post-siècle des Lumières ».
La société occidentale – mouvement anti-guerre inclus – a accusé Atzmon, a « réussi à ne rien faire, en permanence, pour les peuples irakien, palestinien et afghan. » Soutenir les musulmans, voilà qui est « probablement un pont trop loin, pour la plupart des Occidentaux. » Ne sommes incapables d’accepter l’ « altérité » des musulmans, aussi « nous nous berçons nous-mêmes d’idéologie pacifistes, au prix de la douleur d’autres peuples que le nôtre. »
C’est là un verdict sans appel. Mais, de fait, la vérité, c’est que le mouvement anti-guerre, aujourd’hui, se préoccupe fort peu de justice pour ceux qui sont différents, et qu’il considère « autres », ce qui sape gravement l’impact de ce mouvement. Il se soucie en particulier de justice pour ceux qu’Israël considère ses ennemis. En fin de compte, cet outrage considéré « minime » est dans l’ordre des choses. Le mouvement anti-guerre a besoin d’un nouveau point de focalisation, centré sur la réalisation de la justice universelle, dans le monde entier, pré-condition d’une paix authentique. Seule, cette approche nouvelle permettra de réaliser la paix à laquelle la communauté pacifiste aspire.
Après avoir publié l’article de Bill Christison intitulé « Un mouvement pour la justice mondiale» [A Global Justice Movement], le 27 août,, CounterPunch a reçu beaucoup de réactions favorables, indiquant que le concept de « la justice comme pré-condition de la paix », ou « la justice, d’abord ; la paix, ensuite » était bien une idée neuve et révolutionnaire, qui fut pour bien des gens une véritable épiphanie. C’est là une indication de la piètre part prise par la justice dans la pensée des citoyens ordinaires, fussent-ils pacifistes. Cela n’aurait pas dû être quelque chose de tellement nouveau…
Il y eut également quelques réactions de détracteurs, clamant que l’idée de mettre la paix en seconde position après la justice était erronée, car Gandhi et Martin Luther King avaient toujours œuvré pour la paix. Mais c’est là une incompréhension de l’œuvre et de l’objectif du gandhisme. Gandhi, très clairement, ne s’est pas battu pour la paix au prix de l’injustice, ni pour la paix à n’importe quel prix. Il a toujours considéré que l’Inde était en paix, sous la férule britannique, mais que cette paix n’était pas juste. L’essence du satyagraha de Gandhi, et du mouvement des droits civils de King, c’était la résistance à l’injustice, à travers la désobéissance civile non-violente – afin, précisément, en d’autres termes, de déranger la paix en menant une action directe non-violente contre des lois iniques.
Mais l’idée de la justice avant tout est nouvelle, pour la plupart des gens. Considérez combien nombreuses sont les associations anti-guerre qui comportent uniquement le mot « paix » ou les mots « paix et justice » – dans cet ordre – dans leur intitulé. United for Peace and Justice me vient immédiatement à l’esprit. Mais qu’en serait-il, si nous renversions les priorités, et si nous parlions de « justice et paix », en lieu et place ? Pensez au « processus de paix » au Moyen-Orient, si souvent rabâché. Et si on y substituait le « processus de justice » au Moyen-Orient ? Dès lors, un nouvel éclairage serait apporté à la question, qui nous obligerait à reconnaître que, quoi que nous passions notre temps à parler de « paix et de justice », peu d’entre nous se préoccupent réellement de la justice, qui constitue pourtant la moitié de cette équation. Et la justice s’évanouit, carrément, en tant que préoccupation, dès lors que le responsable de l’injustice est Israël ; peu de gens, y compris au sein de la communauté des pacifistes et des anti-guerre militants, se préoccuperont d’une manière quelconque de l’injustice israélienne. Le mouvement anti-guerre est un « mouvement pour la paix-à-n’importe-quel-prix », et pour la plupart des militants, obtenir la paix, sans réaliser une véritable justice pour tous les peuples, cela serait amplement suffisant…
Mais le simple cessez-le feu, ça n’est pas la paix ! La justice n’arrive pas, tout simplement, dans les fourgons de la paix, comme une sorte de cadeau Bonux ; la justice, il faut y travailler d’arrache-pied, et il faut qu’elle soit établi avant (et pour) qu’il y ait la paix, une paix réelle. La paix, sans la justice, c’est un concept vide. Les opprimés ne demandent jamais la paix ; leur lutte, toujours et en tout lieu, est un combat pour obtenir la justice. Mettre fin à la guerre en Irak sans rendre justice au peuple irakien, voilà qui n’amènera pas la paix, pas une paix réelle, en tout cas. Mais il y a plus grave encore : mettre fin au rôle des Etats-Unis en Irak, cela n’apportera certainement pas la justice, ni une paix authentique, au peuple palestinien.
Le concept de « justice » n’est pas facile à définir, mais il existe des standards de justice, en droit international et dans les us internationaux, qui cadrent ce concept et en donnent une définition tout à fait discernable. Le corpus des lois humanitaires internationales définies après la Seconde guerre mondiale fournit un guide éclairé permettant de garantir la dignité et la valeur des individus et de garantir les droits « considérés essentiels pour une vie dans une société JUSTE », comme le dit l’association israélienne des droits humains, B’Tselem. Ces lois incluent la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (de 1948), qui définit les droits des individus et les obligations des Etats envers lesdits individus, ainsi que divers accords et conventions portant sur les droits politiques et civils. De plus, les lois humanitaires, comme les conventions de La Haye et de Genève, régissent l’attitude à tenir dans la menée de la guerre, et en particulier le comportement des soldats de puissances occupantes.
En revanche, des standards similaires de « paix » sont inexistants, tant dans le droit que dans la coutume. La « paix » est un mot qui signifie des choses différentes selon les individus, et la paix d’une personne est souvent une injustice, pour une autre. Pour Israël, la paix signifie la sécurité – même si, et peut-être en particulier lorsque, les Palestiniens sont désavantagés et se voient dénier la justice. Pour les Palestiniens, la paix signifie un redressement des injustices qui leur sont infligées depuis plus de soixante ans.
La plupart des combats les plus épiques de l’histoire humaine pour le bien ont été des luttes non pas pour la paix, mais pour la justice. Pourquoi, par exemple, les humanistes ont-ils lutté contre la bigoterie et le racisme, à l’époque contemporaine ? Non pas, en premier lieu, parce que ces violations fondamentales de la décence humaine empêchent la paix, mais bien parce qu’elles violent les standards communément reconnus de la justice. L’Afrique du Sud blanche a vécu pacifiquement, durant le plus gros de la période de l’apartheid. Les propriétaires d’esclavages sudistes, dans les Etats-Unis d’avant la Guerre de Sécession [une guerre civile, ndt], vivaient en paix, tout en opprimant les Noirs. Israël a joui de la paix durant le plus gros de son existence qui approche la soixantaine, tout en dépossédant le peuple palestinien, en occupant le territoire palestinien, en massacrant et en épurant ethniquement les Palestiniens. Mais les Noirs sud-africains et les esclaves américains n’avaient pas la justice, bien qu’ils vécussent en paix. Les Palestiniens non plus, n’ont plus connu de justice, depuis qu’Israël a été inventé.
Si nous voyons dans la justice la première des priorités et si nous permettons aux principes de justice d’être nos guides dans notre marche vers une fin juste et pacifique du conflit palestino-israélien, alors nous y gagnons une image limpide de la situation et de la seule manière d’en sortir. Cela nous ramène inévitablement à 1948, à l’épuration ethnique des Palestiniens, à la seule époque et au seul événement pour lesquels la reddition de la justice permettrait, en fin de compte, de résoudre ce conflit. La dépossession des Palestiniens est une injustice fondamentale, d’où ont découlé toutes les injustices subséquentes, c’est une injustice que seul, un accord mutuel sur le droit au retour en Palestine des réfugiés palestiniens, permettra de corriger. Il est important de comprendre qu’Israël n’existe, en tant qu’Etat juif, que parce qu’il a été fondé, en 1948, sur une injustice gravissime envers le peuple palestinien. Il est également fondamental de comprendre que les juifs ne seront pas « jetés à la mer » si le sionisme et ses injustices prennent fin – pas plus que le démantèlement de l’apartheid sud-africain n’a eu pour conséquence le rejet à la mer des Blancs (voir l’Appendice, pour une description de certaines des manières spécifiques dont Israël perpètre l’injustice à l’encontre des Palestiniens).
L’historien israélien Ilan Pappé en a fait l’observation dans son ouvrage paru en 2004, Une Histoire de la Palestine contemporaine [A History of Modern Palestine], qui est une histoire de la lutte, en Palestine, vue du point de vue du peuple, et qui se distingue, à la manière d’une version israélienne de l’ouvrage célèbre d’Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis [A People’s History of the United States]. En substance : « pour qu’une quelconque initiative de paix réussisse, il faut qu’au préalable, le chapitre de la dépossession de la Palestine ait été clos ». Or, loin de clore ce chapitre, fait observer Pappé, le processus de paix dit d’Oslo a, tout au contraire, exigé des Palestiniens qu’ils renonçassent à toute mémoire de cette dépossession, qui était « l’unique raison de leur combat, depuis 1948 » ! Historien doté d’un sens rare de la compassion et d’un sentiment de justice encore plus exceptionnel, Ilan Pappé en est venu à envisager un futur de paix et de justice pour les Palestiniens et les juifs, en Palestine : « Reconnaître l’acte même de dépossession – en acceptation le principe du droit du retour des réfugiés palestiniens – pourrait être l’acte crucial à même d’ouvrir la route de l’issue du conflit. Un dialogue direct entre les dépossédés et l’Etat qui les a chassés est en mesure de renouveler le discours de paix et pu conduire tant les peuples que leurs dirigeants à reconnaître la nécessité de recherche une structure politique unifiée qui, à différentes articulations historiques, dans cette histoire, a semblé possible à plusieurs reprises. »
Tel est l’espoir, et la promesse d’une justice rendue aux deux parties.
La Palestine est un véritable défi, pour le mouvement anti-guerre, chez nous, aux Etats-Unis. La situation en Palestine est une catastrophe humanitaire monstrueuse, d’une ampleur qui coupe littéralement le souffle. Tant que le mouvement anti-guerre n’aura pas entrepris de rechercher la justice pour les Palestiniens, et non plus seulement quelque vague « paix » indéfinie et hautement politisée, ce mouvement ne sera pas respecté dans le monde.
Ce n’est que dès lors qu’il aura sérieusement commencé à protester contre l’injustice perpétrée contre tous les peuples, dans le monde entier, sans égard pour leur ethnie et leur religion – qu’ils soient Palestiniens, Irakiens, Israéliens, Américains, ou quoi que ce soit d’autre – que le monde pourra commencer à voir dans les Américains un peuple normal. Dans l’attente, le monde peut s’attendre à ce que l’injustice mondiale s’approfondisse. La catastrophe en cours, créée par la politique des Etats-Unis, va non seulement empirer, mais les guerres seront sans fin, et la paix ne sera jamais réalisée.
Appendice : un catalogue d’injustices
Pour dire les choses carrément, Israël – encouragé et soutenu moralement, politiquement et financièrement par les Etats-Unis – perpètre une grave injustice envers le peuple palestinien, et ce depuis soixante ans. La première et la plus grave de ces injustices a été commise en 1948, année où 750 000 Palestiniens furent contraints à abandonner leur maison – soit en raison des combats à l’intérieur de leurs villes et villages, soit parce qu’ils ont été délibérément chassés par les forces armées sionisto-israéliennes, et qu’ils n’ont été ni autorisés à rentrer chez eux, ni dédommagés. Ilan Pappé décrit, sans omettre les détails d’une cruauté hallucinante, les plans soigneusement préparés et mis en œuvre par les sionistes pour expulser les Palestiniens et les déposséder de leurs terres, dans son dernier ouvrage paru : The Ethnic Cleansing of Palestine. Tant que ces réfugiés, qui sont au nombre de plus de quatre millions, aujourd’hui, avec leur descendance, ne recevront pas justice en étant autorisés à revenir et / ou à être dédommagés en vertu d’une formule à définir et à arrêter d’un commun accord, ni les Palestiniens, ni les Israéliens ne jouiront jamais d’une véritable paix et d’une vraie stabilité.
La résolution 194 de l’Assemblée générale de l’Onu (décembre 1948), qui stipulait que les réfugiés palestiniens « désireux de rentrer chez eux et de vivre en paix avec leurs voisins doivent être autorisés à le faire le plus tôt possible », ou, sinon, être dédommagés – fut la première de très nombreuses affirmations internationales de ce qui a fini par être désigné comme le droit au retour des Palestiniens. On ne servira pas la justice, ni on n’obtiendra la paix, tant que ce problème ne sera pas réglé équitablement et démocratiquement, d’une manière satisfaisante pour les droits humains et les aspirations nationales à la fois des Palestiniens, dont ceux qui vivent dans des camps de réfugiés loin de la Palestine, que des juifs israéliens.
Dès la création d’Israël, en 1948, la justice pour les Israéliens a été établie au prix d’une succession d’injustices à l’encontre des Palestiniens. En Palestine-Israël, aujourd’hui, ce sont les Palestiniens qui vivent sans connaître la justice. Simplement en vertu du fait qu’Israël jouit d’une domination totale sur les Palestiniens, et sur l’ensemble du territoire de la Palestine, il ne saurait y avoir de justice impartiale bénéficiant aux Palestiniens. L’absence de justice, dans la domination israélienne sur les Palestiniens, est évidente dès lors qu’on examine les aspects individuels de la situation prévalant en Palestine. Ainsi, par exemple, l’exigence de la communauté internationale que toute autorité gouvernementale palestinienne acceptent trois pré-conditions aux négociations – à savoir la reconnaissance du droit à exister d’Israël, la renonciation à la violence et le respect des accords israélo-palestiniens conclus par le passé – sans exiger d’Israël qu’il accepte, réciproquement, les mêmes exigences, ne saurait instaurer une justice impartiale. Une paix authentique ne saurait être obtenue tant qu’on n’exigera pas d’Israël qu’il soit équitable envers les Palestiniens sur ces questions, en reconnaissant le droit du peuple palestinien à exister en tant que nation viable, en renonçant à sa propre violence et en acceptant d’adhérer à tous les accords conclus par le passé.
La justice est également bafouée, dès lors qu’Israël maintient son contrôle, en Cisjordanie, sur les terres et les propriétés expropriées unilatéralement et sans compensation de leurs propriétaires palestiniens tant privés que territoriaux, au motif de construire des colonies et des routes à l’usage exclusif des citoyens juifs d’Israël. La confiscation de terres d’un peuple, sans compensation, pour quelque usage que ce soit, et en particulier à l’usage exclusif d’un groupe ethnique ou d’une communauté religieuse particuliers, ne peut être qualifiée de justice impartiale. Aucune paix ne sera possible tant que cette très grave injustice n’aura pas été, en préalable, corrigée.
L’association israélienne La Paix, maintenant ! [Peace Now ! Shalom Archav !] a publié un rapport, réactualisé en mars 2007, sur la construction de colonies israéliennes, ou d’implantations, sur des terres palestiniennes privées. Intitulé G-U-I-L-T-Y !: Construction of Settlements upon Private Land – Official Data [C-O-U-P-A-B-L-E ! Les constructions de colonies sur des terres privées – Données officielles] [ peacenow.org ], ce rapport conclut que près de 32 % des terres confisquées par les colonies sont, de fait, des propriétés privées palestiniennes. Ce sont ainsi, au total, 131 colonies israéliennes qui ont été, en partie ou entièrement, construites sur des terres appartenant à des Palestiniens. Un précédent rapport de Peace Now, intitulé « Apartheid Roads » [Routes d’Apartheid], a été publié en octobre 2005, qui décrit le réseau généralisé de routes à accès réservé qui sillonne l’ensemble de la Cisjordanie, routes construites, elles aussi, sur des terres palestiniennes et accessibles exclusivement pour les Israéliens. Ces routes relient les colonies israéliennes entre elles.
Ce sont virtuellement tous les aspects de la présence et du contrôle permanents d’Israël à Jérusalem Est sous occupation, sur la Cisjordanie et sur la bande de Gaza, qui dénient, enfin, aux Palestiniens toute justice, telle qu’elle est définie par le droit humanitaire international. Le droit international requière, entre autres, qu’Israël, en tant que puissance occupante, respecte le droit des Palestiniens à se déplacer librement dans les territoires occupés. Ce droit est reconnu par la Convention sur les droits civils et politiques. L’association israélienne de défense des droits de l’Homme B’Selem a publié un rapport intitulé : « Restrictions on Movement » [Entraves aux déplacements] , consacré à ce droit ainsi qu’à d’autres, tout aussi déniés aux Palestiniens. Ce rapport contient également des références aux textes juridiques internationaux pertinents. Un rapport plus récent, « Ground to a Halt : Denial of Palestinian’s Freedom of Movement in the West Bank » [Il faut mettre fin aux dénis de la liberté de se déplacer aux Palestiniens], a été publié, en août 2007.
Un autre rapport de B’Tselem, plus complet, intitulé «International Law » décrit de quelle manière le droit international s’applique aux territoires occupés. Ce rapport fournit des liens avec tout un ensemble de lois humanitaires internationales et humanitaires, dont les quatre Conventions de Genève de 1949, qui veillent à la protection des civils durant les guerres et sous occupation militaire (Convention qu’Israël a signée). La 4ème Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, s’applique particulièrement bien aux Palestiniens vivant dans les territoires occupés, ainsi qu’au comportement de l’occupant israélien. Elle interdit, entre autres choses, les punitions collectives, la déportation de la population soumise à occupation, l’installation de ressortissants de l’occupant dans le territoire qu’il occupe, ainsi que la confiscation de propriété appartenant à la population occupée – autant d’interdictions violées par Israël à Jérusalem Est occupé, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Le mur de séparation, qu’Israël construit, sur le territoire occupé de la Cisjordanie, depuis 2002, constitue une grave violation des droits de l’homme à l’encontre des Palestiniens, ainsi qu’un déni de justice. Cette muraille – composée sur la majorité de sa longueur d’un no man’s land large de 80 à 100 mètres, comportant une route pour les patrouilles armées, des tranchées et des rouleaux de fil de fer barbelé de part et d’autre d’une barrière électronique, ainsi, dans les zones urbanisées, que d’un mur de béton armé de huit mètres de hauteur – est presqu’entièrement construit sur le territoire palestinien, en territoire occupé. Il englobe approximativement 10 % de la Cisjordanie, plaçant cette partie du territoire cisjordanien du côté israélien, rendu presque totalement inaccessible aux Palestiniens. Beaucoup de villages palestiniens sont séparés de leurs terres cultivables par la barrière de séparation. Ce sont non moins de 50 communes, soit 245 000 personnes, qui sont cernées par le mur sur trois, et parfois quatre côtés ; l’entrée et la sortie de ces communes sont autorisées uniquement aux piétons, les autres ne pouvant être atteintes qu’en empruntant une route contrôlée par les Israéliens. Plus de la moitié – jusqu’à 90 %, selon certaines évaluations – des puits palestiniens d’eau potable se trouvent du côté israélien. Afin de dégager le passage de cette muraille, des dizaines de maisons palestiniennes ont été démolies.
Le mur encercle Jérusalem Est occupée, plaçant quelque 200 000 jérusalémites palestiniens du côté israélien de la barrière et les coupant de leur hinterland cisjordanien. La muraille, autour de Jérusalem, coupe également la majorité des Palestiniens de Cisjordanie de leur capitale religieuse, politique et économique, Jérusalem. L’un dans l’autre, le mur affecte directement un demi-million de Palestiniens, séparant des habitants de leur école, de leur emploi, de leur hôpital, et détruisant toute activité commerciale. L’association israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem a publié un rapport détaillé, comportant plusieurs sous-sections, sur les conséquences du mur. Il a pour titre : « Separation Barrier ».
En juillet 2004, la Cour Internationale de Justice des Nations Unies a jugé, par un vote à 14 voix contre une (la seule voix dissidente ayant été celle du juge américain) que la construction du mur est « contraire au droit international ». Israël a défié les injonctions de la Cour internationale. Aucune paix n’est possible tant que l’injustice créée par le mur persiste. La paix ne peut exister quand un peuple pense avoir besoin d’un mur, quel qu’en soit la nature, entre lui et son voisin. Construire ce mur profondément à l’intérieur du territoire du pays voisin est une injustice encore plus grave, et ce mur demeurera un obstacle insurmontable à la paix, tant qu’il ne sera pas démantelé, ou au minimum entièrement resitué à l’intérieur des frontières internationalement reconnues d’Israël.
Le minuscule territoire de la bande de Gaza (130 miles carrés de superficie) est, lui aussi, entouré de murs, et ce depuis le début du « processus de paix » d’Oslo, au début des années 1990. Malgré l’ainsi dit « désengagement » israélien de la bande de Gaza, en 2005, et le départ des colons et des soldats israéliens, Israël maintient un contrôle total sur ce territoire, emprisonnant, au sens littéral du terme, quelque 1,3 million de personnes. La densité démographique de la bande de Gaza en fait une des régions les plus densément peuplées au monde. Israël contrôle Israël des quatre côtés, et ce territoire est dépourvu d’aéroport et de port maritime en ordre de fonctionnement. Ni les gens, ni les marchandises, ne peuvent entrer dans la bande de Gaza ou en sortir sans autorisation israélienne, et, durant les périodes jugées ‘de crise’ par Israël, les points d’entrée et de sortie son entièrement fermés, souvent durant plusieurs semaines d’affilée, si bien que les importations vitales, comme celles des denrées alimentaires, sont bloquées ; les produits d’exportation, en particulier les fruits et légumes, sont bloqués aussi, et les habitants de la bande de Gaza ne peuvent absolument plus sortir, même pas pour des raisons médicales ou éducatives. Israël contrôle, et à l’occasion suspend, les fournitures d’électricité et d’essence à la bande de Gaza. B’Tselem a publié un rapport détaillé sur la situation prévalant dans la bande de Gaza, intitulé « The Gaza Strip after Disengagement » [La bande de Gaza après le retrait unilatéral israélien]
Des Palestiniens commettent, certes, des injustices à l’encontre d’Israéliens – essentiellement sous la forme d’attentats suicides contre des civils, et de tirs de roquettes sur des zones civiles en Israël, actions qui doivent être condamnées – mais en tant qu’autorité gouvernementale non-souveraine et dépourvue de contrôle sécuritaire ou judiciaire sur Israël et les Israéliens, ainsi, quasiment, que de tout contrôle sur la population palestinienne, les Palestiniens ne sont pas à même de commettre le genre de violation systématique de la justice qu’Israël perpètre à leur encontre. Bien que les attentats palestiniens contre des civils doivent être condamnés, l’équité et l’équilibre commandent que le terrorisme d’Etat perpétré par Israël contre des civils soit également condamné, ainsi que les violations des droits humains des Palestiniens par Israël.
Les Palestiniens sont fondés, en droit, à résister à leur domination par Israël. Le Protocole additionnel 1 aux Conventions de Genève considère que la lutte contre « une domination coloniale et une occupation étrangère, ainsi que contre des régimes racistes » est légitime, et fait partie du droit de tout peuple à l’autodétermination.[ http://www.unhchr.ch/html/menu3/b/93.htm ]. L’expert en droit international de l’Etat de l’Ohio, John Quigley, a rédigé une plaidoirie pour la résistance palestinienne, publiée en 2005 sous la forme d’un livre intitulé « The Case for Palestine : An International Law Perspective » [Plaidoirie pour la Palestine. Ce que dit le droit international].
Le droit international, explique Quigley, sous la forme de la Charte de l’Onu et des résolutions répétées du Conseil de Sécurité et de l’Assemblée générale de l’Onu, affirme le droit des peuples à l’autodétermination et à résister aux infractions de ce droit par tous les moyens nécessaires, y compris la force militaire, mais sans attaquer de civils. Considérant d’autres cas de domination étrangère sur des peuples colonisés, le Conseil de Sécurité a même reconnu aux organisations de guérilla le droit supérieur de recourir à la force contre des puissances coloniales, et dans les résolutions adoptées au cours des années 1970 au sujet des représailles israéliennes consécutives à des raids de la guérilla palestinienne, le Conseil avait considéré légaux ces derniers, et il les avait « traités comme des opérations menées par un peuple colonisé éligible au droit à l’autodétermination », d’après Quigley.
Le sociologue et commentateur politique récemment disparu, Baruch Kimmerling, écrivait, dans Haaretz, peu après l’éclatement de l’Intifada al-Aqçâ, en 2000, qu’il soutenait le droit des Palestiniens à s’opposer, y compris par la force, à l’occupation. « La perpétuation des circonstances d’occupation et de répression », disait Kimmerling, « donne aux Palestiniens, quoi qu’il en soit, le droit à résister à cette occupation par tous les moyens dont ils disposent, et à se soulever, violemment, contre cette occupation. C’est là un droit moral inhérent tant au droit naturel qu’au droit international. »
Article original en anglais, Justice Forgotten, Whatever Happened to Palestine?, Counter Punch 20 septembre 2007.
Traduit par Marcel Charbonnier.
Kathleen Christisson est une ancienne analyste politique à la CIA ; elle travaille sur les questions moyen-orientales depuis une trentaine d’années. Elle est l’auteur des ouvrages « Perceptions of Palestine » et « The Wound of Dispossession » [La Blessure de la dépossession]. Elle est joignable à son adresse mél : [email protected] ].