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Un vocabulaire orwellien pour désigner les invasions des domiciles palestiniens par l’occupant
Par Jonathan Cook
Mondialisation.ca, 02 août 2021
jonathan-cook.net 23 juin 2021
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Photo : L’objectif des invasions répétées et à grande échelle des troupes d’occupation dans les familles palestiniennes, est de terroriser toute une population en la faisant vivre dans un sentiment permanent d’instabilité et d’absence de sécurité – Photo : via B’Tselem

Des soldats masqués continueront de terroriser les enfants palestiniens au milieu de la nuit, mais un nouveau jargon militaire en cachera le véritable objectif.

Les vidéos sont partout sur YouTube. Des soldats israéliens masqués prennent d’assaut la maison d’une famille palestinienne au milieu de la nuit. Les parents, en tenue de nuit, sont soudainement entourés d’hommes lourdement armés et cagoulés.

Les jeunes enfants sont forcés de se réveiller. Avec un mélange de confusion et de peur, ils sont obligés de répondre aux questions que leur posent, dans un arabe approximatif, ces étrangers armés et sans visage. Ils sont alignés dans une pièce pendant que les soldats les prennent en photo avec leur carte d’identité. Et puis, aussi soudainement qu’ils sont arrivés, les hommes masqués disparaissent dans la nuit.

Il n’y a aucune question autre que l’identification des personnes présentes dans la maison. Personne n’est “arrêté”. Il n’y a pas de but évident, juste le sentiment de sécurité d’une famille définitivement anéanti.

Les soldats prennent cette directive à cœur. L’un d’eux a dit qu’il comprenait que l’objectif de se cacher le visage “était de se rendre plus intimidant, plus effrayant, et puis peut-être que la résistance serait moindre”.

Les raids de “maillage” visent à faire croire aux Palestiniens que toute forme d’opposition à l’occupation est futile, ou contre-productive. Les invasions de domicile laissent des marques permanentes, car souvent les femmes décrivent un sentiment de viol et de perte de fierté de leur foyer, tandis que les hommes souffrent du traumatisme engendré par l’incapacité de protéger leur femme et leurs enfants.

Les enfants quant à eux souffrent d’anxiété et de troubles du sommeil, et éprouvent des difficultés scolaires.

Ces opérations de “maillage” ont un but supplémentaire lorsque des colonies juives ont été construites à proximité des familles palestiniennes ciblées. Les invasions du domicile de ces familles se produisent régulièrement, servant de moyen de pression pour les inciter à abandonner leur maison afin que les colons puissent prendre leur place.

Une enquête de l’ONU menée en 2019 dans un quartier d’Hébron convoité par des colons a constaté que sur une période de 3 ans, 75 % des maisons palestiniennes de ce quartier avaient été “maillées”. Un des résidents dont le domicile avait fait l’objet d’une invasion plus de 20 fois a dit aux chercheurs de Yesh Din : “Je pense que l’intrusion [par des soldats] n’est que du harcèlement, pour nous faire partir de chez nous.”

Espionnage des Palestiniens

Même d’anciens soldats comprennent que les justifications de ces invasions à des fins de collecte de renseignements sont bidon. Plusieurs ont dit aux groupes de défense des droits de l’homme que les renseignements censés être obtenus lors de ces opérations n’ont jamais été utilisées par la suite. Personne n’a pu identifier de base de données où ces informations ont été stockées.

Même si les raids de “maillage” visaient principalement à recueillir des informations, l’armée a beaucoup plus de moyens efficaces d’espionner et de contrôler la population palestinienne dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

Le travail de l’Unité 8200, l’un des nombreux organes de collecte de renseignements de l’armée israélienne, consiste en autres à écouter les communications des Palestiniens pour obtenir des secrets pouvant être utilisés pour faire chanter les Palestiniens et les forcer à collaborer avec les autorités d’occupation.

Une ainsi-nommée cyber-unité du ministère de la justice israélien a pour tâche d’espionner les communications des Palestiniens sur les réseaux sociaux et l’internet. Israël dispose d’une infinité d’autres sources de renseignements sur les Palestiniens : collaborateurs, registre d’état civil de la Population palestinienne qu’il contrôle, documents d’identité biométriques, technologie de reconnaissance faciale, interrogatoires aux postes de contrôle, utilisation de drones, et interpellations de Palestiniens pour interrogatoire.

Complicité des tribunaux

Plus important encore, l’armée sait qu’elle peut poursuivre comme avant ces invasions de domicile en utilisant d’autres prétextes. Elle va intégrer ces opérations de “maillage” à d’autres catégories de raids nocturnes mêmes plus violents – tels que la recherche d’armes, les interrogatoires d’enfants sur les jets de pierres, ou les arrestations.

Hélas, les tribunaux israéliens ont toujours manifesté une volonté de cautionner l’armée dans précisément ce genre de duperies de préservations des apparences et de manipulations cyniques du langage. Il n’y a aucune raison de croire que le système judiciaire israélien fera quoi que ce soit en pratique pour garantir qu’il soit mis fin aux invasions de domicile, quel qu’en soit l’objectif, “maillage” ou autre.

Le bilan des tribunaux israéliens a toujours été lamentable en matière de protection des Palestiniens contre les violences de l’armée israélienne. Même lorsque les tribunaux se prononcent tardivement contre les protocoles de l’armée qui violent de manière flagrante le droit international, l’armée généralement trouve une parade pour contourner la décision – généralement avec la complicité du tribunal.

Depuis des années, l’armée continue d’utiliser les Palestiniens comme boucliers humains, faisant traîner les procédures judiciaires en redéfinissant la pratique en tant que soi-disant “procédure de voisinage” ou “avertissement préalable”.

Il n’est guère difficile d’imaginer que “info maillage” puisse subir une semblable métamorphose linguistique. Et il y a une raison supplémentaire d’être sceptique : il y a plus de vingt ans la plus haute juridiction d’Israël a interdit la torture des détenus palestiniens – pourtant, elle s’est poursuivie quasiment sans relâche parce que le tribunal a créé une échappatoire pour des cas qualifiés de “bombes à retardement”, lorsque les interrogateurs seraient pris dans une course contre la montre pour arracher des informations permettant de sauver des vies.

Après la décision du tribunal, il a semblé que chaque Palestinien capturé par l’armée soit devenu une “bombe à retardement”. Finalement en 2017, le tribunal est revenu sur sa décision de 1999 en permettant la torture à condition que les interrogateurs ne franchissent pas un seuil de douleur qu’il a refusé de spécifier par avance.

En réalité, dés lors qu’Israël considère son occupation comme permanente, préserver les infrastructures de l’occupation – à des fins de surveillance, de contrôle, d’intimidation et d’humiliation – devient une nécessité absolue.

Quand l’occupant de plus cherche à chasser les Palestiniens pour les remplacer par sa propre population de colons, la pourriture est encore plus profonde. Les Palestiniens, hommes, femmes et enfants ne sont rien de plus que des pièces sur un échiquier qu’il faut éliminer.

C’est pourquoi les invasions de domicile – par des soldats masqués qui terrorisent les familles au milieu de la nuit – se poursuivront, quel que soit l’euphémisme utilisé pour les justifier.

Jonathan Cook

 

Article original en anglais : Israel’s night raids on Palestinian families aren’t over, whatever the courts say, Jonathan-Cook.net, le 23 juin 2021. 

Traduction : MJB & Lotfallah pour Chronique de Palestine 

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