Une alternative vitale

Programme civil nucléaire en Égypte

Nucléaire . L’Egypte a décidé de relancer son programme civil après un gel de 20 ans et envisage la construction, d’ici 2016, de la première centrale nucléaire sur la côte méditerranéenne. Un projet qui suscite espoir et réserves.

L’annonce n’a pas manqué de surprendre, bien qu’au départ elle n’ait pas tout à fait convaincu, et laissé indifférent. Et pour cause. Elle est intervenue à l’occasion du congrès annuel du Parti National Démocrate (PND, au pouvoir). Et comme cette manifestation était perçue comme une sorte de grand show et qu’elle n’avait pas abouti sur l’essentiel, à savoir proposer les réformes constitutionnelles tant attendues, la première réaction a été d’en minimiser la portée et de la mettre sur le compte de la propagande, d’une recherche par le PND de gagner une popularité qui lui fait défaut, voire d’embellir l’image d’un Gamal Moubarak jusqu’à présent moins influent sur le dossier politique. Mais par la suite, c’est tout un mécanisme qui semble avoir été mis en marche. Un véritable engrenage. Tout d’abord, c’est Gamal qui l’annonce, puis le président de la République y a apporté sa caution et ensuite, une série de mesures ont été annoncées. Ainsi, le porte-parole du gouvernement, Magdi Radi, a indiqué que le gouvernement allait étudier « immédiatement » l’alternative de l’énergie nucléaire « à la lumière des besoins croissants en Egypte ». Rien de plus officiel donc d’autant plus que la décision a été prise lors d’une réunion du Conseil National Supérieur pour l’Energie (CNSE), un organisme officiel qui avait suspendu ses travaux pendant 20 ans après la catastrophe de la centrale ukrainienne de Tchernobyl.

Pas d’intoxication donc comme on aurait pu le penser ou de battage médiatique, bien qu’un dessein politique n’y soit pas absent. C’est un objectif que tente de réaliser Le Caire pour des raisons autant stratégiques qu’énergétiques et économiques. D’ailleurs, l’Egypte n’a-t-elle pas acquis, contre toute attente, en 1992, un réacteur nucléaire de 22 mgw de l’Argentine ? Mais, pour cette nouvelle démarche, pourquoi l’annoncer en ce moment précis ? Plusieurs facteurs entrent ici en jeu comme le soutient Mohamad Qadri Saïd, expert militaire au Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram et spécialiste des questions nucléaires. Le premier est en rapport avec la situation régionale et cette montée en flèche de l’Iran en tant que puissance incontournable. Qu’est-ce qui lui donne autant de poids ? C’est le nucléaire, se dit-on partout.

Dans la rue, l’Iran est presque un modèle à suivre. On s’interroge sur les moyens grâce auxquels Téhéran a réalisé cette percée technologique et comment il a obtenu les équipements. Comment l’Iran est-il parvenu à cette phase avancée qui est l’enrichissement de l’uranium, alors que l’Egypte est restée absente ? Un état des lieux qui n’a pas manqué de susciter une prise de conscience nationale. Il s’agit non seulement du fait que Le Caire n’a plus ce rang de puissance régionale, mais aussi de considérer que tout ceci a eu lieu dans un contexte de conflit avec Israël et d’une résistance tant bien que mal à l’hégémonie des Etats-Unis. « Il est probable que le projet iranien, avec ses réalisations au niveau juridique, régional et international, soit l’une des causes principales qui ont mené à l’ouverture de ce dossier. Ceci sans oublier que la situation de l’Egypte n’est pas à comparer avec l’Iran sur les plans technique, scientifique et pratique », estime Mahmoud Barakat Achour, président de l’Organisme égyptien de l’énergie atomique. Qadri Saïd résume cet état de choses, mais loin du populaire, dans les développements fulgurants qu’ont connus la région et le monde depuis plusieurs années. La concurrence nucléaire, qui a commencé par Israël, s’est trouvée renforcée par tout un contexte politico-militaire : l’invasion de l’Afghanistan et la guerre contre l’Iraq. Elle est devenue incontournable. Cela a fait que l’opinion a pensé au nucléaire. « D’autant plus qu’un hôte qui n’est pas de la région s’y est invité, à savoir les Etats-Unis, évidemment puissance nucléaire », relève Saïd. D’ailleurs, avec l’affaire du Liban et le succès du Hezbollah, la chose a pris du relief. La notion de dissuasion a émergé.

La question énergétique

Mais cette réaction risque de brouiller les cartes. D’une part, l’Egypte est au seuil d’un projet à long terme et n’a guère retenu cet aspect de dissuasion, bien que son impact psychologique soit réel. Sur le timing et concernant le plan local, on n’a pas manqué de se poser des questions. Si l’intention était réelle de développer le nucléaire, pourquoi le président Moubarak ne l’a-t-il pas annoncé dans son programme électoral très détaillé d’ailleurs, à la virgule près. A ceci, l’opposition n’a qu’une seule réponse : il s’agit d’améliorer l’image de marque de Gamal Moubarak en tant que successeur présomptif du chef de l’Etat et de lui donner un projet populaire. Ceci d’autant plus que la première phase doit durer dix ans et que beaucoup de choses pourraient changer entre-temps.

La question se pose plus sur le plan des besoins énergétiques du pays. Jusqu’à une période récente, le pétrole était la principale source d’énergie sur laquelle s’est fondé le progrès moderne un peu partout. L’idée était qu’il s’agissait d’une source intarissable. Mais au cours de la dernière période, il y a eu une hausse considérable des cours. On se souvient qu’avant la guerre d’Octobre 1973, le prix du baril était d’un dollar ou moins. Aujourd’hui, il atteint 70 dollars. La chose se complique d’ailleurs, car il s’avère que cette source d’énergie est vulnérable. Comme le rappelle Saïd, elle fait partie de tout un réseau compliqué : puits, pipelines, pétroliers, zones de production. Le tout est sous la menace terroriste. Voire des attentats ont déjà eu lieu. Mais au-delà, et pour le cas de l’Egypte, les risques sont concrets. Les réserves stratégiques du pays en pétrole étaient estimées par Sameh Fahmi, ministre du Pétrole, à 30 ans pour le naphte et 16 ans pour le gaz. Des chiffres mis en doute par les experts pour lesquels les réserves en pétrole ne suffiraient pas plus de sept ans.

Pour Qadri Saïd, deux cas de figure proviennent de l’Inde et de la Chine, deux pays naguère en voie de développement mais devenus développés en grande partie. De plus, ce sont des pays surpeuplés : 1,3 milliard pour la Chine et 1,2 milliard pour l’Inde. Avec leur évolution, la hausse du niveau de vie et le développement industriel, il y a eu une hausse de la consommation. Le pétrole ne suffit plus. Et pour l’expert, nous sommes exposés à la même situation. Karim Al-Sayed Al-Adham, président du Conseil national de sécurité nucléaire et de contrôle de la radioactivité, « le nucléaire fait partie d’un grand programme pour utiliser l’énergie renouvelable. Nous avons déjà des projets pour l’usage de l’énergie solaire et celle éolienne, très développées chez nous à l’heure actuelle. Nous entamons le programme d’énergie nucléaire, mais il s’agit d’un projet gigantesque qui bénéficie d’un intérêt politique et médiatique considérable ».

Vitale donc cette orientation. Irremplaçable, dirait-on même. Et si l’on parle de la Chine et de l’Inde, il faut bien relever à quel point leur technologie nucléaire est développée à tous les niveaux. De plus, les sources en énergie et en eau seront en deçà des besoins. D’ailleurs, le pétrole n’est plus une source d’énergie bon marché. L’énergie nucléaire, elle, est moins coûteuse, soutiennent de nombreux experts. Le problème résidait dans la sécurité, notamment après les accidents bien connus, comme Tchernobyl en Ukraine, et Three Miles Island, aux Etats-Unis. Aujourd’hui, les facteurs de sécurité sont plus perfectionnés. Et plus est, l’Egypte, pays producteur de pétrole, importe de l’énergie. « Notre part dans le pétrole mondial baisse », relève Saïd. Concernant le gaz naturel, il est devenu un produit d’exportation ; avec les difficultés économiques, il est vendu pour obtenir de l’argent et on ne peut compter sur lui à long terme.

Quels moyens ?

 Certes, le nucléaire n’est pas nouveau pour l’Egypte. C’est une ambition qui date des années 1950 sous Nasser, avec la création, en 1957, de l’Organisme de l’énergie nucléaire. L’Egypte bénéficia sur ce plan de l’assistance des Etats-Unis et de l’Union soviétique (lire fiche) et de la création d’un laboratoire des radio-isotopes d’une centrale de 2 mgw et du laboratoire d’Inchass. Les recherches ne se sont jamais arrêtées. C’est-à-dire les préparatifs technologiques : missions envoyées à l’étranger. Mais un profil bas fut adopté après la guerre de juin 1967, notamment l’ouverture d’Anouar Al-Sadate sur les Etats-Unis. Sous Moubarak, on a observé une timide reprise, suivie d’un nouveau recul. « Il y a 20 ans, on était prêts. Maintenant, on ne l’est plus. Il faut former de nouveaux cadres pour assurer la gestion d’un tel projet. On ne peut pas le confier à un personnel resté inactif pendant deux décennies », affirme, désabusée, Samia Rachad, cadre de l’Organisme de l’énergie nucléaire. Elle met l’accent sur un personnel bien formé, et surtout national pour ce genre de projets. « En Inde, 70 % de ses installations nucléaires sont réalisées par des cerveaux et des bras indiens ».

Saïd est conscient du problème et rappelle que la fuite des cerveaux vers l’Occident au cours des 30 dernières années risque de nous affaiblir. « Mais nous n’aurons pas de problèmes. On peut recourir à une expérience technique, d’autant plus que nous sommes plus avancés en la matière que d’autres pays comme la Turquie ».

Et que dire du financement ? Le coût envisagé d’un tel projet serait de 2 milliards de dollars, comme l’estime le ministre de l’Energie, Hassan Youssef. Cette somme, on pourrait l’obtenir sous forme de prêts de la part du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale (BM), qui financent ce genre de projets. Mais aussi selon le système BOT (Build, Operate, Transfer), souligne Al-Adham. Cela servirait notamment à l’installation d’une centrale nucléaire de 1 000 megawatts à Dabaa, à l’est d’Alexandrie, sur la côte méditerranéenne. A cet égard, des investissements étrangers seraient impératifs. Rien de trop inquiétant, l’énergie est un produit destiné à la vente, rappelle Mohamed Qadri Saïd. « Nous vendons déjà de l’électricité à la Jordanie et à la bande de Gaza. Nous opérons pour le réseau électrique avec la Libye, la Syrie et la Jordanie, avec comme objectif un réseau régional unifié raccordé à la chaîne européenne ». C’est dire que l’on entre dans un cycle où la coopération s’impose. Avec qui ? L’Occident sans doute. L’Amérique, pour plus de transparence. Pour le moment, elle n’a pas l’air de se soucier du programme égyptien. L’Egypte, ce n’est pas l’Iran, même s’il y a eu quelques duels et malentendus. Evidemment Israël est bien au centre avec son nucléaire militaire que Le Caire tente par tous les moyens de mettre au moins sous contrôle. Pour le moment, on est en phase 1 et tout semble sérieux.

 



Articles Par : Ahmed Loutfi et Karim Farouk

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