Une explication cohérente de la politique étrangère d’Obama. Décisions économiques et militaires.

La politique étrangère relève à la fois de l’économique et du militaire. L’interprétation de la politique étrangère du Président Barack Obama présentée ici n’oublie ni sa politique économique, ni ses décisions militaires, et cette analyse montre bien qu’il poursuit les politiques de ses prédécesseurs à la Maison Blanche.

Sur le plan économique, le Président Obama est devenu, de tous les présidents américains, le plus ardent défenseur du commerce sans entraves : il a proposé trois énormes traités sur le commerce international, deux avec les pays de l’Atlantique Nord (le TTIP pour les produits et le TISA pour les services), et un avec les pays du Pacifique (TPP), non seulement pour servir les intérêts de l’élite américaine aux dépens des citoyens (une spirale vers le baspour les salaires, et une montée à tout prix pour les profits des actionnaires et les rémunérations des dirigeants, un peu comme un NAFTA super-gonflé).

L’idée étant de pousser l’OTAN contre la Russie, en faisant de ces traités commerciaux les garants d’une alliance économique contre celle-ci (pour réduire les échanges économiques entre la Russie et son principal débouché, c’est-à-dire l’Europe).

Les initiatives économiques d’Obama vers les pays de l’Atlantique Nord sont sans doute plus pressantes que celles vers les pays du Pacifique, parce que le TTIP et le TISA seront des traités économiques qui renforceront le traité de l’OTAN, directement du domaine militaire vers le domaine économique. Avec le TTIP et le TISA, Obama développe, essentiellement, le volet économique de l’alliance OTAN pour en développer les aspects militaires – les signataires seront les membres de l’OTAN. Le TPP est moins important, parce que ce traité vise à isoler la Chine, et non la Russie – on doit considérer que la Russie doit être conquise avant que la Chine ne le soit (ce sera le travail d’une présidence future, aussi Obama fait-il monter la pression militaire contre la Chine).

L’OTAN a été créée en 1949 par le Traité de l’Atlantique-Nord, comme étant officiellement un traité de défense mutuelle anti-communiste dirigé contre l’Union soviétique. Mais lorsque l’Union soviétique s’effondra, en 1991, ainsi que son alliance communiste, homologue de l’OTAN – le Pacte de Varsovie – l’OTAN resta en place, devenant dès lors une alliance militaire purement anti-russe. En 1990, les envoyés du Président américain George Herbert Walker Bush promirent à Mikhail Gorbatchev que l’OTAN ne s’étendrait pas à l’Est vers la Russie, et n’essaierait pas de faire à la Russie ce que Nikita Khrouchtchev avait tenté de faire aux États-Unis lors de la crise des missiles de Cuba en 1962 (positionner des missiles nucléaires juste en face du territoire visé). Gorbatchev crut ces déclarations et dissout dans la foulée l’Union soviétique et le Pacte de Varsovie, mais c’était un mensonge de George Herbert Walker Bush… L’OTAN se maintint donc, et s’étendit jusqu’aux frontières de la Russie – très exactement ce que l’administration Bush avait promis que les États-Unis ne feraient jamais.

Le Président américain Bill Clinton continua cette politique pour conquérir la Russie morceau par morceau, en accueillant dans l’OTAN la République tchèque, la Hongrie, et la Pologne – en violation directe de la promesse verbale de Bush à Gorbatchev. Bien sûr, Bush avait prévu de violer sa promesse : il a dit au chancelier Helmut Kohl et au Président François Mitterrand que cette promesse faite à Gorbatchev n’était rien d’autre qu’un mensonge, qu’il irait jusqu’au bout, «Au diable les Russes, nous avons gagné, pas eux !». Clinton – et ses successeurs – se sont engouffrés dans le mensonge de Bush. Le fils de Bush, George Walker Bush Junior, a fait entrer dans l’OTAN, en 2004 : la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie.

Et cela nous amène à la Présidence Obama, qui a augmenté la pression et la menace contre la Russie pour en arriver à une nouvelle Guerre froide – pas froide pour longtemps, et déjà rouge vif. Les champs de bataille où le sang coule se trouvent dans les pays qui ont été alliés à la Russie : la Libye, la Syrie et l’Ukraine. Mais l’Ukraine est le premier pays où la Guerre froide contre la Russie est devenue chaude. C’est là où Obama a franchi la ligne rouge posée par Poutine.

Poutine, dirigeant russe, a depuis longtemps posé cette ligne rouge que l’OTAN ne peut pas aller jusqu’à inclure l’Ukraine, qui a la plus longue frontière commune avec la Russie, de tous les États européens : 1 576 kilomètres. Si les États-Unis planifient une attaque-éclair contre la Russie en partant de la base la plus proche possible, alors c’est l’Ukraine qui va devenir le pays le plus dangereux et le mieux placé pour la lancer, et l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN sera l’élément-clé pour réussir.

En février 2014, Obama organisa un coup d’État qui renversa le Président ukrainien, démocratiquement élu et pro-russe, et remplaça son gouvernement par un nouveau, dirigé par Arseniy Iatseniouk, un russophobe fanatique. L’exécutante d’Obama, Victoria Nuland, qui a choisi Iatseniouk lors de la préparation du coup d’État, a expliquéque «depuis 1991 (l’effondrement de l’Union Soviétique) […] nous avons investi plus de $5 milliards pour aider l’Ukraine […] à développer des pratiques et des institutions démocratiques (que l’Ukraine avait déjà, et qu’elle et Obama ont saccagées)». Quand elle a dit « 1991 », elle savait déjà que George Herbert Walker Bush avait commencé la conquête de l’Ukraine. Ce coup d’État fut épouvantablement sanglant, et Poutine avait déjà prévenu que si l’Ukraine s’ajoutait à l’OTAN, ce serait totalement inacceptable – mais le processus était alors déjà enclenché.

La course aux armements nucléaires fut aussitôt relancée. Une excellente chose pour les industriels de la défense en Amérique, comme Lockheed Martin, et pas seulement pour eux. Sur le mur, juste derrière Nuland quand elle a évoqué «1991», on voit le logo de Chevron, et Chevron est la compagnie pétrolière américaine qui a acheté les droits de prospection en Ukraine de l’Ouest – cette partie de l’Ukraine qui avait voté le plus massivement contre l’homme qu’Obama a chassé du pouvoir. Chevron a ainsi mis la main sur les droits au gaz les mieux garantis. Les gens du cru ont été heureux de voir une compagnie américaine forer chez eux. Et donc, un des fils du vice-président des États-Unis, Joe Biden, fut recruté par le propriétaire ukrainien de la première société de prospection gazière en Ukraine de l’Est, pour entrer dans son conseil d’administration. Cette région, l’Ukraine de l’Est, était très fortement hostile aux États-Unis, et totalement opposée au coup d’État, et les gens de cette région refusèrent la fracturation hydraulique [mode d’extraction du gaz de schiste, NdT] pratiquée par la compagnie, et voulurent la faire renoncer. Le vice-président américain ne vit pas d’objection à ce que son fils devienne un milliardaire grâce au coup d’État ukrainien de l’Amérique – c’était bien considéré par le régime Obama et les élites qu’il servait – et la plupart des Américains ne furent jamais informés de la corruption américano-ukrainienne, maintenant en pleine expansion.

Le renversement du président ukrainien démocratiquement élu – lui-même corrompu, tout comme les autres dirigeants de l’Ukraine post-soviétique – a fait partie d’une politique visant non seulement à s’emparer de l’Ukraine, mais aussi à isoler encore plus la Russie, puisque tous ses anciens alliés du Pacte de Varsovie étaient à présent fermement intégrés dans le camp anti-russe de l’OTAN.

Ainsi, Obama a réellement préparé une nouvelle guerre contre la Russie – et non plus contre l’Union soviétique, ni contre le communisme – et cela depuis qu’il a été élu président pour la première fois, en 2009, lorsque son administration a répondu à la demande syrienne d’aide alimentaire, suite à la sécheresse, non pas avec de la nourriture, mais par la subversion pour renverser cet allié de la Russie. Obama ressortit alors des cartons un vieux plan de la CIA, datant de 1957, qui avait été mis au point par l’équipe qui avait renversé avec succès le président iranien librement et démocratiquement élu, Mohammed Mossadegh (remplacé par la dictature du Shah). Or, dans ce plan de 1957 sur la Syrie, le parti laïc Ba’ath qui dirigeait la Syrie devait être remplacé par des sunnites fondamentalistes alliés à l’Arabie saoudite – mais ce plan fut gardé en réserve pour des jours plus favorables, qui arrivèrent finalement sous le régime d’Obama, lorsque les manifestations du Printemps arabe qui s’étendaient partout s’ajoutèrent à la situation critique de la Syrie due à la sécheresse.

Ce plan de 1957 faisait lui-même partie d’un programme à long terme concocté par la CIA.

Après que Poutine a répondu, le 30 septembre 2015, à ces invasions de la Syrie par des jihadistes soutenus par les Saoudiens, en lançant une campagne aérienne globale de bombardements contre ces dizaines de milliers d’envahisseurs étrangers, l’Arabie saoudite et son alliée fondamentaliste, la Turquie, ont tenté d’impliquer directement les États-Unis dans une invasion générale de la Syrie, dirigée à la fois contre le gouvernement Assad et son allié russe.

La famille royale saoudienne a fait équipe avec son allié-sunnite-fondamentaliste-et-membre-de-l’OTAN, la Turquie, pour tenter d’obtenir le soutien d’Obama pour une invasion occidentale de la Syrie, afin de vaincre Assad et la Russie, et de battre aussi les deux autres alliés d’Assad : l’Iran et le Hezbollah, son allié libanais.

Le président Obama en appela alors aux dirigeants européens membres de l’OTAN, pour qu’au moins l’un d’entre eux se joigne aux efforts des États-Unis pour déclencher cette invasion sunnite-fondamentaliste et chasser le gouvernement ba’athiste syrien du pouvoir – le seul gouvernement laïc encore en place au Moyen-Orient. Évidemment, Obama n’a trouvé personne, et il a semblé réticent à se joindre aux pays islamiques, étant le seul envahisseur non musulman. Donc, John Kerry, le secrétaire d’État de l’administration Obama, a menacé de mettre en route le plan de la CIA de 1957 sans la participation de l’Europe, s’il n’y avait pas d’autre solution. Et le Council on Foreign Relations – le Conseil sur les Affaires étrangères, organe de l’élite américaine – de titrer un récent article : «Diviser et conquérir en Syrie et en Irak – Pourquoi l’Occident devrait préparer une partition». La partition en question de la Syrie figure dans le plan de 1957. Mais cette menace semble être un simple bluff de la part de Kerry. Après tout, c’est Kerry qui a dit : «Que voulez-vous que je fasse ? Déclarer la guerre à la Russie ? C’est ce que vous voulez ?» Il ne veut pas cela. Et il ne bluffe pas quand il le dit. Et Obama semble reconnaître qu’il faudrait des années aux États-Unis et à l’OTAN pour être réellement prêts à s’y lancer.

En ce qui concerne l’Ukraine, Obama semble avoir baissé les bras, là aussi. L’Ukraine va être laissée à l’abandon, elle va sans doute connaître des changements de régime en cascade et elle va s’enfoncer dans le chaos : c’est un pays naufragé.

Le résultat final de la politique étrangère d’Obama, nous le voyons, est de transformer les alliés de la Russie en États faillis. Quel que soit le successeur d’Obama, il pourra se satisfaire du résultat, après tout cela enfonce la Russie ; ou il pourra également courir pour le trophée, comme Obama, qui l’a tenté jusqu’ici sans succès, et reprendre la mission de conquérir la Russie, cela dépendra de ce qu’Obama aura obtenu avec ses traités de commerce signés et mis en place ; parce que, si cela échoue, alors se créera une pression énorme pour gagner cette guerre lancée par Bush en 1990 contre la Russie, ne laissant guère que l’option d’une invasion désespérée menée à l’arme nucléaire, pour laquelle la Russie sera suffisamment préparée ; de sorte que quels que soient les survivants de cette guerre, ils regretteront d’être encore vivants – y compris les actionnaires principaux de firmes comme Lockheed Martin. Après tout, quelle valeur aura l’argent alors ? Peut-être sera-ce suffisant pour acheter un flingue et des balles pour en finir avec la vie. Même pour les cadres dirigeants, ce sera la fin des week-end de golf, et seuls les jours sombres resteront. Mais c’est alors que la vraie nature des présidents américains comme George Herbert Walker Bush, Clinton, George Walker Bush et Obama apparaîtra clairement – à ces survivants, ou du moins à ceux qui n’auront ni flingue, ni balle, et qui ne seront pas morts. C’est comme un éclair de vérité que des gens, comme les Palestiniens, ou les victimes des camps de concentration, ou les victimes d’État islamique, peuvent avoir dans leurs derniers instants. Mais cette fois cela arrivera pour les quelques aristocrates qui ont provoqué de tels désastres. Ne serait-ce pas là un véritable renouveau ? Une fois que tout aura été dit et accompli, et que plus personne ne pourra s’en réjouir ? Mais ne l’oublions pas : ce sera un changement, mais aussi peut-être un paradoxe. Bon, de toute façon personne ne pourra s’en réjouir, ni en savourer l’ironie.

Obama a mené une politique étrangère réunissant à la fois les Démocrates et les Républicains ; c’est la politique souhaitée par l’élite américaine. Ses conséquences sont terribles pour le monde, mais elles seraient pires encore si cette politique réussissait. Non seulement ce serait la fin de la démocratie – remplacée par le gouvernement mondial des multinationales – mais si cela réussissait d’une manière ou d’une autre, il n’y aurait plus que misère et massacres. Il n’y a aucun doute qu’il s’agit là d’une politique extrêmement ambitieuse. Jusqu’à ce point, elle semble être entièrement en accord avec celle de la famille royale saoudienne. Mais cela pourrait bien changer : peut-être que Obama, et les États-Unis, pourront tout simplement rompre leur alliance avec les Saoudiens, et s’en séparer. Mais alors, l’Europe sortira-t-elle de l’OTAN ? Sinon, la politique anti-russe continuera, même si l’alliance entre les États-Unis et la maison des Saoud prend fin.

Eric Zuesse

 

Article original en anglais :

barak-obama

A Coherent Explanation of Obama’s Foreign Policy. Economic and Military Decisions, publié le 28 février 2016

Traduit par Ludovic, vérifié par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone



Articles Par : Eric Zuesse

A propos :

Investigative historian Eric Zuesse is the author, most recently, of They’re Not Even Close: The Democratic vs. Republican Economic Records, 1910-2010, and of CHRIST’S VENTRILOQUISTS: The Event that Created Christianity.

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