Une force pour contrôler le pétrole et tout le reste

Emblème du commandement militaire américain pour l'Afrique.

Le général William « Kip » Ward, est à la tête de l’Africom.(Photo : Africom)
À droite: Emblème du commandement militaire américain pour l’Afrique.

Avec la naissance du Commandement Africa (Africom), c’est la planisphère géo-stratégique du Pentagone qui a changé depuis hier (mercredi 1er octobre, NDT): les commandements unifiés, dont les « aires de responsabilité » couvrent le monde entier, passent donc de cinq à six. L’aire de responsabilité de l’AfriCom embrasse quasiment tout le continent, sauf l’Egypte. Jusque là l’Afrique était divisée entre un Commandement européen, un Commandement du Pacifique, et  un Commandement  central (qui avait dans son « aire de reponsabilité » en plus du Moyen-Orient, la Corne d’Afrique, le Soudan et l’Egypte). De ces trois commandements, l’AfriCom a hérité des 134 « missions » que les Usa sont en train de mener en Afrique. Ce sera désormais l’AfriCom qui les conduira. A la veille de la constitution de l’AfriCom, le vice secrétaire de la défense pour les Affaires africaines, Theresa Whelan, a nié que la création du nouveau commandement signifia une militarisation  de la politique extérieure étasunienne.  « Il y a beaucoup de malentendus et interprétations erronées » a renchéri l’amiral Robert Moeller, vice-commandant des opérations militaires de l’AfriCom, en garantissant  qu’il n’entre pas dans les plans du nouveau commandement d’installer des bases et de déployer des milliers de soldats étasuniens en Afrique. Le but déclaré de l’AfriCom est de « développer  chez nos partenaires la capacité d’affronter les défis pour la sécurité de l’Afrique ». Du coup, depuis qu’il a commencé à opérer  en octobre 2007 en tant que sous commandant de la direction européenne, l’AfriCom s’est concentré sur l’entraînement de militaires africains, surtout en Afrique occidentale. Il se déroule dans le cadre de l’opération « Africa Partnership Station », qui prévoit le déploiement permanent de navires de guerre le long des côtes de l’Afrique occidentale, avec à son bord du personnel militaire venant aussi d’autres pays (jusqu’à présent Grande-Bretagne, France,  Allemagne et Portugal). En juillet dernier s’est déroulée au Nigeria la manœuvre militaire « Africa Endeavor », à laquelle, sous commandement du général de l’US Air Force, David A. Cotton, ont participé 21 pays africains : Nigeria, Benin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Cap Vert, Tchad, Gabon, Gambie, Ghana, Kenya, Lesotho, Malawi, Mali, Namibie, Rwanda, Sénégal, Sierra Leone, Ouganda et Zambie. Plus de 200 militaires de ces pays ont été entraînés à l’utilisation du C3IS, le système étasunien de commande, contrôle, communications et informations, de façon à rendre possible « l’intégration et l’interopérabilité » entre les forces armées des pays participants.  Au Ghana, une escadre de techniciens, envoyée par le commandement de Naples des forces navales Usa, a effectué une prospection  hydrographique du port de Tema dans le cadre d’un programme destiné à « améliorer la sécurité  maritime  dans tout le golfe de Guinée ». L’importance de cette région ressort d’un communiqué de la marine Usa : « 15% du pétrole importé par les Etats-Unis provient du Golfe de Guinée, région riche  aussi d’autres ressources : notre but est donc d’établir un milieu maritime sûr pour permettre à ces ressources de rejoindre le marché ». D’ici 2015, cette région fournira 25%  du pétrole importé par les USA. Les intérêts  en jeu sont énormes : au Nigeria, grand producteur pétrolifère de l’Afrique, 95% de la production est aux mains de quelques multinationales, parmi lesquelles Shell qui en contrôle plus de la moitié. La même chose se passe au Tchad dont le pétrole, exporté à travers un oléoduc qui traverse le Cameroun, est contrôlé par un consortium international chapeauté par Exxon mobil.  Une telle domination  est cependant à présent mise en péril  par la rébellion des populations et par la concurrence chinoise. 

 
Photo: Africom

D’où la décision de constituer  un commandement spécifique  pour l’Afrique. Pour contrôler cette zone stratégique et quelques autres, comme la Corne d’Afrique à l’embouchure de la Mer  Rouge (où, à Djibouti, est basée une task force étasunienne), le Pentagone  a entraîné, dans le cadre du programme Acota, 45.000 soldats africains et formé 3.200 instructeurs africains. Cette tâche sera maintenant  portée par le Commandement Africa, qui s’appuiera encore plus sur les élites  militaires  pour amener le plus grand nombre possible de pays africains dans la sphère d’influence  étasunienne.  La naissance du Commandement Africa a de notables implications  aussi pour notre pays (pour l’Italie, NDT), dans la mesure où l’AfriCom  (dont le quartier général reste pour le moment à Stuttgart) sera supporté par les commandements et les bases étasuniens en Italie. Confirmé par le fait que  le 4 octobre, trois jours à peine après la création de l’AfriCom, arrivera en Afrique du Sud le groupe d’attaque du porte-avions Theodore Roosevelt, avec à son bord 7.000 hommes, envoyé par le commandement des forces navales US en Europe, dont le QG est à Naples. Il est prévisible aussi que la 17ème force aérienne Us, réactivée le 22 septembre à Ramstein pour être mise à la disposition  de l’Africom, opérera non pas de la base allemande, mais des bases en Italie, comme Aviano et Sigonella. On peur également prévoir que les matériaux nécessaires à l’AfriCom  seront fournies par la base étasunienne de Camp Darby (Province de Pise, NDT). Particulièrement important, le rôle de la base aéronavale de Sigonella : c’est ici, depuis 2003, qu’opère la Joint Task Force Aztec Silence, la force spéciale qui mène en Afrique des missions d’espionnage, de surveillance  et d’opérations sécrètes dans le cadre de la « guerre mondiale contre le terrorisme ».

Mais les œuvres de bienfaisance ne manquent pas non plus : en juillet dernier des militaires étasuniens sont partis d’Aviano pour le Mali, pour, officiellement, apporter des vêtements, des chaussures et des jouets à un orphelinat de Bamako.

Edition de jeudi 2 octobre 2008 de il manifesto

http://abbonati.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/02-Ottobre-2008/art45.php3

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



Articles Par : Manlio Dinucci

A propos :

Manlio Dinucci est géographe et journaliste. Il a une chronique hebdomadaire “L’art de la guerre” au quotidien italien il manifesto. Parmi ses derniers livres: Geocommunity (en trois tomes) Ed. Zanichelli 2013; Geolaboratorio, Ed. Zanichelli 2014;Se dici guerra…, Ed. Kappa Vu 2014.

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