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Une guérilla bien commode au Paraguay
Par André Maltais
Mondialisation.ca, 18 juin 2010
L'aut'journal info 18 juin 2010
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https://www.mondialisation.ca/une-gu-rilla-bien-commode-au-paraguay/19797

En 2008, presque en même temps que l’ex-évêque et partisan de la théologie de la libération, Fernando Lugo, était élu président, la guérilla de l’Armée du peuple du Paraguay (EPP en espagnol) apparaissait dans le nord du pays.

Forte d’une vingtaine de membres, autoproclamée marxiste-léniniste et guévariste, elle affirme vouloir renverser le président Lugo qu’elle accuse de ne pas promouvoir la réforme agraire, l’une des promesses-clé de la campagne électorale de ce dernier.

Elle ne dément aucunement les liens avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) que lui prêtent la droite et ses médias, pas plus que l’entraînement de ses membres à Cuba et au Venezuela, rumeur qu’on dirait copiée-collée à partir d’un discours du président colombien, Alvaro Uribe.

Elle se laisse également mettre sur le dos de nombreux crimes que, dans la plupart des cas, elle n’a pas revendiqués : vols, enlèvements de propriétaires terriens, assauts de postes militaires et de commissariats de police, attentats et au moins quatre assassinats de policiers survenus en avril dernier.

Victime de tirs qui ont visé sa voiture, le 26 avril dernier, dans le département d’Amambay, le sénateur Robert Acevedo, dément avoir été agressé par la guérilla.

Dans une entrevue diffusée par la chaîne Telesur, le parlementaire libéral, qui lutte depuis longtemps contre les trafiquants de drogue et de bois dans la région où serait implantée l’EPP, dit que tout se passe comme s’il fallait absolument garnir le curriculum vitae de l’organisation révolutionnaire plutôt que de rechercher les véritables auteurs des crimes.

Tout cela, bien sûr, soulève de sérieux doutes que ne manque pas d’exprimer le journaliste Diego Ghersi, de l’Agence de presse du Mercosur :

« Quiconque est un peu averti, écrit-il, sait qu’un groupe insurgé sans armes ni ressources, sans moyens de propagande ni le moindre appui urbain, est condamné à l’avance. Pourquoi alors tant de bruit autour de ça? »

Hugo Richer, secrétaire général de la Convergence populaire socialiste du Paraguay, connaît la réponse. L’EPP, dit-il, « est fonctionnelle pour la droite du pays et pour l’objectif qu’elle poursuit de juger le président de la nation ».

Mais pour atteindre cet objectif, la droite doit d’abord priver le président d’une partie de son seul appui important, la population du pays.

L’embuscade qui a tué les quatre policiers, rappelle Richer, est survenue peu de temps après les célébrations du deuxième anniversaire de la présidence de Lugo, marquée par une très forte et enthousiaste participation populaire.

Lugo et de son parti, l’Alliance patriotique pour le changement, une coalition de formations de centre et de gauche, sont arrivés au pouvoir, en avril 2008, après six décades ininterrompues de régimes conservateurs du Parti Colorado, tristement marquées par la longue dictature d’Alfredo Stroessner (1954-1989).

Tout de suite, le nouveau président se bute à une opposition de droite majoritaire au Congrès dont les alliés sont depuis fort longtemps incrustés à tous les niveaux des institutions politiques, économiques et juridiques du pays.

À l’époque, l’EPP s’avère déjà un cadeau du ciel pour la droite parlementaire qui peut accuser l’ex-évêque de faiblesse voire de sympathie envers les guérilleros et de laxisme en matière de sécurité du pays.

À l’instar des oppositions hondurienne et argentine contre les président Manuel Zelaya et Cristina Fernandez, la droite paraguayenne emprunte la voie législative pour empêcher de gouverner un président élu démocratiquement et, ensuite, mieux pouvoir le renverser.

Fernando Lugo réagit d’abord en limogeant 39 chefs militaires sous le prétexte qu’existent des « poches coup d’étatistes » dans les Forces armées.

Déçus de la réaction des militaires, l’opposition s’attaque ensuite à l’image du président dans la population.

Lugo est accusé de corruption dans une affaire d’achat de terres par le gouvernement pour ensuite les redistribuer à des familles paysannes et de paternité, survenue en 2006, alors que, encore évêque, le chef de l’État aurait eu une relation avec une adolescente de 16 ans.

Le vice-président, Federico Franco, se déclare alors prêt à assumer le pouvoir advenant la destitution du chef de l’état.

Membre du Parti radical libéral authentique (PRLA), de centre-droite, qui fait partie de la coalition au pouvoir, Franco s’était jusque là distancé du président au fur et à mesure que celui-ci implantait les politiques sociales qui avaient été promises. Le PRLA fait maintenant partie du bloc de l’opposition de droite contre Lugo.

Malgré les avatars de son mandat, ce dernier a institué la gratuité et la qualité des services publics de santé et d’éducation, entamé les processus d’expulsion des bases militaires états-uniennes du pays et d’adhésion à l’ALBA, en plus d’appeler à une réforme constitutionnelle pour approfondir les changements exigés par le projet social du gouvernement.

Mais la réforme agraire, elle, n’a pratiquement pas décollé et c’est dans ce contexte que, récemment, l’EPP redouble d’activité.

Après le meurtre des quatre policiers, le gouvernement sollicite du Congrès l’état d’exception dans cinq départements du nord du pays pour une durée de trente jours.

La mesure prévoit l’envoi de 3 000 effectifs militaires et policiers dotés de pouvoirs accrus pour capturer les membres de la guérilla. Mais, pour bien montrer que cette loi d’exception n’est pas celle des dictatures passées, le gouvernement installe des bureaux des droits humains dans chacun des départements touchés.

L’état d’exception a surpris la droite, dit Hugo Richer, car celle-ci n’est pas d’accord avec l’élimination de la guérilla.

Mais les trente jours n’ont donné aucun résultat tangible contre l’EPP et, le 24 mai, le président prolongeait la mesure. La droite espère maintenant un nouvel échec ou un dérapage vers plus de violence, deux cas qui pourraient grandement affecter l’image du gouvernement.

En même temps, le 23 avril, la majorité de droite au Congrès adoptait une motion de censure contre le ministre de la Défense, Luis Bareiro Spaina, à qui on reproche d’avoir accusé l’ambassadrice des États-Unis, Liliana Ayalde, d’ingérence dans les affaires du pays.

Dans une lettre adressée à l’ambassade états-unienne et dont des extraits ont été publiés dans les médias paraguayens, Spaini révèle que l’ambassadrice a organisé un déjeuner au cours duquel le vice-président Franco et des militaires états-uniens de haut rang  ont échangé des propos « d’un acharnement anti-gouvernemental tenace ».

Franco aurait notamment fortement plaidé en faveur d’un jugement politique contre le président.

Ces agissements de la diplomatie états-unienne, dit Diego Ghersi, rappellent ceux de l’ambassade de Washington en Bolivie au plus fort des événements de 2008 quand l’opposition de la Media Luna essayait de destituer le président Morales.

De plus, il semble qu’au moment où le président considérait de prolonger la période d’exception, les militaires états-uniens stationnés à la base d’Estigarribia lui auraient offert leur « expérience de combat en zone de jungle ».

Pour Ghersi, cela confirme la théorie que les Etats-Unis, après l’avoir fait en Colombie, essaient de s’impliquer militairement dans d’autres zones où abondent les ressources naturelles, ce qui est le cas du Paraguay.

« Dans ce contexte, conclut-il, toute l’opération EPP pourrait bien être une nouvelle création tactique de Washington ».

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