Une paix (relative), à Gaza

[J’attire votre attention sur ce reportage, exemplaire de par sa déontologie journalistique, tellement rare dans les médias américains. Time va non seulement recevoir des milliers de courriers de protestation des lobbyistes juifs, menaçant de se désabonner au cas où ils ne l’auraient pas déjà fait, lâchant les chiens des officines sionistes de chasse aux sorcières antisionistes Camera et Honesteporting et, très vraisemblablement, organisant des visites en chair et en os de certains des censeurs les plus puissants duLobby, tel Abe Foxman de l’Anti-Defamation League ou le président tout aussi odieux, bien que moins vociférant, de l’American Jewish Congress, David Harris. Heureusement, le parlement est en vacances, sinon nous aurions assisté à l’adoption d’une résolution contre Time pour avoir apporté « assistance et réconfort à un ennemi d’Israël »… Aussi Time a-t-il besoin de vos courriers d’encouragement et de vos abonnements, si cela vous dit. Andrew lee Butters, ce journaliste qui n’a pas froid aux yeux, a besoin de notre soutien. Jeff Blankfort.

 

PS : l’adresse mél de Time est [email protected] et son numéro de fax est le 1-212-522-8949. Vous pouvez aussi envoyer votre lettre d’encouragement à cette adresse :

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Pêcheurs au port de Gaza, 30 juillet 2007.

Patrouillant le quartier de Shijaiyah, le plus dur de la ville de Gaza, le lieutenant Naim Ashraf Mushtaha, trente-et-un ans, officier de la Force Exécutive du Hamas, débusque un homme en civil, portant un fusil d’assaut M-16, en train de marcher entre les étals encombrant la rue, en plein jour. Ses officiers encerclent prestement le suspect, lui demandent de décliner son identité, et de leur remettre son arme. L’homme s’avère un membre d’un des clans les plus puissants du voisinage – il refuse de remettre son flingue. « Comment que je m’appelle, déjà, les mecs ? », crie-t-il à la foule des badauds curieux, qui commence à s’étoffer. « Mohassi Abbas ! » répondent-ils tous en chœur. « Alors, vous voyez bien : tout le monde sait qui je suis ! », dit l’homme au fusil. « Je me moque de qui tu peux bien être », dit calmement Mushtaha, sans élever ni la voix, ni son arme. « Les lois sont pour tout le monde ».

L’état de droit est de retour, à Gaza. Voici encore seulement deux mois, cette languette côtière de dunes sablonneuses et de jungles de béton, abritant environ un million et demi de Palestiniens, était un des endroits les plus dangereux sur notre planète. En juin, après quelques jours de guerre intestine, le Hamas, une formation palestinienne combattante, a pris le contrôle de Gaza sur son rival, le Fatah. Depuis lors, Gaza est en état de siège. Pratiquement tous les chargements, à l’exception des fournitures humanitaires de première nécessité, sont interdits d’entrée, et presque aucune marchandise ne peut sortir. Ce blocus s’inscrit dans une stratégie israélo-américaine visant à isoler le Hamas, dans l’espoir que les Palestiniens se détourneront de ses dirigeants islamistes, qui n’ont jamais reconnu Israël, au profit du Fatah, qui est pris d’un prurit de processus de paix. Jusqu’ici, ce plan de marche pas. Ayant les coudées franches pour gouverner comme il l’entend, le Hamas conquiert le soutien populaire et acquiert une capacité militaire qui survivra très vraisemblablement au blocus international.

Le service de sécurité est un pilier porteur, pour le Hamas. Une semaine, seulement, après la prise de contrôle de Gaza, le crime, le trafic de drogues, les rixes tribales et les kidnappings avaient pratiquement cessé. Plusieurs associations de défense des droits de l’homme attestent que la capacité de la Force Exécutive d’obtenir un tel résultat donne une indication du degré de corruption et de collusion criminelle au sommet des services de sécurité inféodés au Fatah, qui contrôlaient jusqu’ici la bande de Gaza. « Depuis un an et demi, on assisté à une escalade dans le chaos, orchestrée par des officiers dignes d’une république bananière, visant à ‘démontrer’ que le Hamas était incapable de contrôler Gaza », explique Raji Sourani, directeur du Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme. « Gaza était devenu une nouvelle Somalie, un nouvel Afghanistan, un nouvel Irak. Les malfrats et les gangsters faisaient la loi, certains d’entre eux étant soutenus et protégés par nos propres « forces de sécurité » ».

Certes, il y a eu des cas de violations des droits civiques par la Force Exécutive, depuis sa prise de contrôle de Gaza. Mais le Hamas n’a pas instauré de tribunaux islamiques qui appliqueraient la shari’a. Sans aucune aide de la part de la police régulière, des procureurs et des juges – tous s’étant vu intimer l’interdiction de reprendre leurs fonctions par le gouvernement palestinien (mazénien, ndt) – le Hamas s’efforce, petit à peu, de se former à l’administration de la justice palestinienne. Mushtaha et ses officiers passent le plus clair de leur temps à rédiger des dépositions et à tarabuster les familles d’hommes recherchés afin qu’ils dénoncent les suspects. Dans les faubourgs de Gaza, tout le monde se connaît, et il n’y a nul endroit où se planquer : [contrairement à ce qui se passe presque partout ailleurs], les escrocs de Gaza ne sont pas à la veille de pouvoir aller se mettre au vert en Israël !

La tranquillité étant de retour dans les rues, la société civile est en train de réapparaître à Gaza. Vendredi soir, au centre de la ville de Gaza, les rues sont encombrées de limousines emportant des nouveaux mariés et leur parentèle vers les restaurants du bord de mer. Il ne « manque » qu’une seule chose : les tirs en l’air célébrant ordinairement les mariages (notamment) palestiniens ! Le Hamas a interdit de manifester sa joie avec des rafales de mitraillette… Mais il n’y a eu aucune chape de plomb culturelle, depuis la prise en main des manettes par le Hamas. La société gaziote est depuis très longtemps plus religieuse et conservatrice que le reste de la société palestinienne – il y a bien longtemps qu’on n’a pas aperçu de boissons alcoolisées, dans les parages. Mais ces femmes laïques, circulant dans les rues de Gaza visage et cheveux au vent, disent qu’elles avaient bien plus de risques d’être importunées par des malfrats dans la Gaza d’hier que par des religieux conservateurs dans la Gaza d’aujourd’hui. Les rumeurs selon lesquelles le Hamas aurait donné consigne aux coiffeurs de ne plus raser les barbes ne tiennent pas la route : j’ai fait raser la mienne par Hossein Hussuna, le coiffeur du dirigeant Hamas (le Premier ministre) Ismail Haniyyéh, qui m’a confié que la plupart des huit enfants de celui-ci n’arborent ni moustache, ni barbe !

Ce n’est que si des petits entrepreneurs comme mon coiffeur réussissent que la normalité reviendra à Gaza. Mohammad Talbani possède la plus grande usine de Gaza ; elle produit des biscuits et des crèmes glacées. Mais il ne peut se procurer ni ses matières premières, ni ses emballages, à cause de l’embargo israélien, et il ne peut pas non plus expédier ses productions vers la Cisjordanie, où les détaillants se fournissent d’ores et déjà au Liban. « Cela fait trente ans que je me défonce pour créer de toute pièce ce marché, et puis voilà : il a disparu », dit-il, amer.

Les plages de Gaza ont beau être bondées et ses rues parfaitement sûres, ses entreprises sont fermées, et ses magasins n’ont pratiquement plus de clients. Le dommage économique causé par le blocus est énorme, le chômage atteignant près de 44 %. Près de 80 % des habitants perçoivent une aide alimentaire de diverses agences de l’Onu. Nasser el-Helou, propriétaire d’un hôtel et chargé des relations publiques de la Chambre de Commerce, indique que l’économie gaziote s’effondrera d’ici quelques semaines seulement, si le blocus se poursuit.

Reste que les entrepreneurs de Gaza, comme MM. Talbani et el-Helou – des hommes pragmatiques et totalement apolitiques – sont unanimes à imputer la cause de leurs problèmes à Israël, et non au Hamas. « Si nous sommes libres, nous devrions contrôler nos propres frontières », m’a dit M. el-Helou. « Mais ce n’est pas le cas, donc la responsabilité est entièrement du côté israélien. » Et les chefs d’entreprise mettent le doigt sur le paradoxe inhérent à ce blocus : il a le don de détruire la seule catégorie de Palestiniens qui ne voyaient pas Israël d’un mauvais œil. La plupart des gros commerçants parlent l’hébreu et ont – ou plutôt, avaient – des clients, des partenaires et même des amis israéliens. Jusqu’à il y a peu, ils attendaient impatiemment ce jour où il n’y aurait plus de barrières commerciales entre une Palestine indépendante et un Etat d’Israël en paix. « La majorité des Gaziotes n’aiment pas Israël », m’a dit Amassi Ghazi, directeur d’une compagnie d’importation de matériaux de construction. « Jusqu’à présent, seul le secteur privé avait de bonnes relations avec Israël. Alors, je vous en prie : ouvrez la frontière, avant que TOUS les Gaziotes soient devenus les ennemis d’Israël ! »

Certains d’entre eux prennent leur rôle d’ennemis d’Israël très au sérieux. A minuit, sur ce qui fut naguère le champ de parade de la police côtière palestinienne, une vingtaine d’hommes s’exercent aux armes légères. Ils appartiennent à la Brigade Izzeddine al-Qassâm, l’aile militaire du Hamas, et ils sont prêts à s’égayer immédiatement dans la nature en cas d’apparition d’un avion de guerre israélien au-dessus de leurs têtes. Mais depuis que le Fatah a été éconduit de Gaza, m’a dit Abu Ahmad, commandant de cette unité, il y a moins de collaborateurs espionnant le Hamas au profit d’Israël, et les frappes israéliennes ont diminué d’autant. Les combattants de la Brigade Qassâm sont depuis lors en mesure d’opérer avec une relative impunité. Un peu plus tard, Abu Ahmad m’a emmené jusqu’à une position de la Brigade Qassâm, à quelques centaines de mètres du point de passage d’Erez, conduisant en Israël. Immédiatement, un drone de surveillance israélien s’set mis à ronronner au-dessus de nous, et nous nous sommes partis en toute hâte, revenant à Gaza-Ville à travers les dunes de sable. Dans les rues patrouillaient Mushtaha et ses hommes : tous, ils ont l’air très calmes.

Mais, dès la nuit tombée, la guerre entre le Hamas et Israël se poursuit…

Andrew Lee Butters, depuis (la ville de) Gaza.

Article original en anglais, Time Magazine, 2 août 2007.

Traduction: Marcel Charbonnier.



Articles Par : Andrew Lee Butters

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