Une Troisième Guerre Mondiale, sinon rien : les implications d’une attaque US contre l’Iran
« L’idée selon laquelle les Etats-Unis s’apprêtent à attaquer l’Iran et tout simplement ridicule. Cela dit, tout est envisageable. » George W. Bush, février 2005
Assister aux manoeuvres de l’administration Bush pour attaquer l’Iran ressemble à la position d’un passager dans une voiture conduite par un ivrogne. Des articles annonçant la catastrophe ont été publiés il y a un an, mais c’est désormais officiel : sous les ordre du Vice-président Cheney, le Pentagone a développé des plans « de derniers recours » pour une attaque aérienne par des bombardiers B2 et des missiles lancés par des sous-marins, équipés à la fois d’armes conventionnelles et nucléaires.
Il est ironique de constater que le Pentagone propose de recourir aux armes nucléaires sous le prétexte de protéger le monde des armes nucléaires. Il est ironique aussi de voir que l’Iran a respecté ses obligations envers le Traité de Non-Prolifération, en autorisant les inspecteurs à « aller partout et tout examiner », contrairement à ceux qui encouragent l’agression, à savoir les Etats-Unis et Israël.
Une menace nucléaire iranienne n’est pas pour demain. Comme l’a écrit le Washington Post en août 2005, le dernier consensus en date dans les milieux des services de renseignement US est « qu’il faudra dix ans à l’Iran avant de pouvoir fabriquer les ingrédients d’une arme nucléaire, doublant ainsi les premières estimations qui parlaient de cinq ans ». Alors que l’Institut pour la Science et la Sécurité Internationale a estimé que l’Iran n’aurait pas la bombe avant 2009 au plus tôt, les milieux des services de renseignement US pensent que les difficultés techniques provoqueraient des « délais significatifs ». Le directeur de l’Institut de Recherches du Moyen-Orient de Brown University et un spécialiste en économie énergétique du Moyen-Orient ont tous deux qualifié les affirmations du Département d’Etat sur à un risque de prolifération par le réacteur iranien de Bushehr de « éminemment fausses », en concluèrent que les « preuves matérielles d’un programme d’armes nucléaires en Iran n’existent pas, tout simplement ».
Il n’y a donc pas d’urgence – juste une mauvaise histoire qui se répète avec un air de déjà-vu. L’administration Bush est en train de recycler son discours sur les prétendues armes de destruction massive de (Saddam) Hussein en un discours orienté contre l’Iran, mais observez où cette histoire nous a mené la dernière fois : des dizaines de milliers de civils Irakiens tués, un pays au bord de la guerre civile et une augmentation du terrorisme global.
Et pourtant, ce qui est en jeu en Iran est sans doute beaucoup plus important.
Considérez que nombreux sont ceux qui aux Etats-Unis et en Iran cherchent leur salut par une explosion du Moyen-Orient. Les chrétiens intégristes de la « fin des temps » croient en un Armageddon cataclysmique qui permettrait le retour du Messie et leur accès au paradis, en abandonnant les Musulmans et autres incroyants aux fléaux et à une mort violente. Le nouveau président chiite de l’Iran, Mahmoud Ahmadinejad, adhère quant à lui à une version concurrente du retour du Messie, où les cieux s’enflammeront et le sang coulera lors d’un affrontement final entre le bien et le mal. L’Imam caché reviendra et apportera la paix mondiale et instaurera l’Islam comme religion globale.
Les Etats-Unis et l’Iran ont tous les deux des présidents qui se considèrent comme des élus et cherchent l’adhésion de leurs électeurs intégristes et partisans de l’apocalypse respectifs. Et dans cette poudrière, Bush propose d’introduire l’arme nucléaire.
Comme prévu, la bande habituelle encouragent une attaque US contre l’Iran. Les néo-conservateurs qui nous ont apporté la « simple ballade » en Irak veulent bombarder le pays. Il y a aussi le Secrétaire à la Défense Rumsfeld, occupé à coordonner les plans d’attaque contre l’Iran, qui vient tout juste de publier la Revue de Défense Trimestrielle du Pentagone qui propose que les forces armées US « s’engagent à travers le globe » en une « longue guerre » sans fin. On peut en déduire que Rumsfeld à l’intention de bombarder de nombreux pays.
Il y a aussi Israël, désireux qu’aucun autre pays de la région n’accède à l’arme nucléaire. A la fin de 2002, l’ancien premier ministre Ariel Sharon a déclaré que l’Iran devrait être visé « le lendemain » de la soumission de l’Irak, et Benjamin Netanyahu, dirigeant du parti Likoud, a récemment averti que s’il accédait à la présidence en mars 2006, Israel « fera ce qu’il a déjà fait dans le passé contre le réacteur de Saddam », un référence claire au bombardement en 1981 du réacteur irakien d’Osirak. Et le fait que le président Iranien ait qualifié l’Holocauste de mythe et ait déclaré qu’Israël devrait être « rayé de la carte » n’arrange pas les choses.
Cependant, aux yeux de l’administration Bush, la pire transgression de l’Iran concerne moins ses ambitions nucléaires ou l’antisémitisme que la bourse pétrolière en euros qui est prévu d’ouvrir à Téhéran en mars 2006. Le projet Iranien d’autoriser les achats et ventes de pétrole en euros menace de briser le monopole du dollar en tant que devise de réserve mondiale, et puisque le billet vert est nettement surévalué à cause des énormes déficits commerciaux, ce projet pourrait avoir un effet dévastateur sur l’économie des Etats-Unis.
Avec Bush, il faut donc prendre très au sérieux les plans d’attaque contre l’Iran.
Que se passera-t-il si les Etats-Unis lancent effectivement une attaque dans les mois qui viennent ? Le Pentagone a déjà identifié 450 cibles stratégiques, dont certaines sont enfouies sous terre et dont la destruction nécessiterait le recours à l’arme nucléaire. En ensuite ?
Vous pouvez être certain que l’Iran riposterait. Téhéran a promis une « riposte cinglante » à toute attaque étasunienne ou israélienne et si le pays – ironiquement – ne possède pas d’armes nucléaires pour dissuader ses assaillants, il a d’autres atouts. L’Iran annonce une armée de terre forte de 800.000 hommes, ainsi que des missiles à longue portée qui pourraient frapper Israël et même peut-être l’Europe. De plus, une bonne partie du pétrole mondial transite par le détroit d’Ormuz, une étroite étendue de mer au sud de l’Iran. En 1997, le ministre adjoint des affaires étrangères iranienne a averti que son pays pouvait fermer la route en cas de menace, et que ce serait facile. Il suffirait de couler quelques bateaux dans le détroit pour boucher le passage et les prix du pétrole flamberaient jusqu’aux cieux.
Une attaque contre l’Iran enflammerait aussi les tensions au Moyen-Orient, particulièrement parmi les populations musulmanes chiites. Si on considère que les chiites dirigent largement les gouvernements d’Iran et Irak et représentent une force potentielle en Arabie Saoudite, cela n’annonce rien de bon pour la paix dans la région. Une attaque inciterait le Hezbollah libanais, allié de l’Iran, à relancer le terrorisme. Une rébellion chiite en Irak constituerait une menace accrue pour les troupes US en enfoncerait le pays encore plus dans la guerre civile.
Une attaque contre l’Iran pourrait aussi provoquer un nouvel équilibre géopolitique, où les Etats-Unis se trouveraient exclus par la Russie, la Chine, l’Iran, les pays Musulmans et les nombreux pays que Bush a réussi à sérieusement contrarier durant son mandat. Pas plus tard que le mois dernier, la Russie a fait un affront à Washington en annonçant qu’elle respecterait son engagement de livrer 700 millions de dollars de missiles sol-air à l’Iran, destinées à protéger les sites nucléaires iraniennes. Et la Chine, après avoir subie l’annulation, par l’Autorité Provisoire de la Coalition en Irak dirigée par les Etats-Unis, des accords de pétrole conclu sous Saddam, a lancé une stratégie mondiale de contrats d’énergie, y compris en Amérique latine, au Canada et en Iran. On peut raisonnablement penser que la Chine ne restera pas les bras croisés en assistant à la mainmise des Etats-Unis sur Téhéran.
La Russie et la Chine ont récemment renforcé leurs relations, à la fois entre elles et avec l’Iran. Chacune possède l’arme nucléaire, et représente à l’évidence une menace plus sérieuse pour les Etats-Unis, chacune possède de larges quantités de réserves en dollars US dont elles pourraient se débarrasser en échange d’euros. Bush les défie aux risques et périls de son pays.
Un danger représenté par une attaque contre l’Iran serait le déclenchement d’une course générale aux armements – si les Etats-Unis violent le traité de non prolifération et recourent à l’arme nucléaire, il sera difficile de convaincre les autres pays de respecter ces accords. De plus, le message envoyé par Bush à ses ennemis est clair : si vous possédez des Armes de Destruction Massive, vous n’avez rien à craindre, et si vous n’en possédez pas, vous êtes une proie facile. L’Irak n’avait pas d’armes nucléaires et a été envahi. L’Iran n’en a pas non plus et court le risque d’une attaque. Pourtant, cet autre pays membre de « l’Axe du Mal », la Corée du Nord, possède assurément l’arme nucléaire et on lui fiche la paix. Par ailleurs, il est difficile de justifier une frappe contre l’Iran par un supposé programme secret de développement de l’arme nucléaire alors que l’Inde et le Pakistan (et probablement Israël) l’ont déjà fait et restent en bons termes avec Washington.
Le résultat le plus horrible d’une attaque US contre l’Iran, bien sûr, serait celui de nombre de victimes. Le Groupe de Recherche d’Oxford a calculé que jusqu’à 10.000 personnes trouveraient la mort lors de bombardements des sites nucléaires iraniens, et qu’une attaque contre le réacteur de Bushehr pourrait envoyer un nuage radioactif au-dessus du Golfe. Si les Etats-Unis utilisent l’arme nucléaire, tels que les bombes à pénétration « anti-bunkers », les retombées radioactives seraient encore plus désastreuses.
Etant donné les enjeux, les Etats-Unis n’auront que peu de soutien de leurs alliés, à l’exception d’Israël. Alors que Jacques Chirac s’est exprimé avec fracas sur le recours d’armes nucléaires défensives, il est peu probable que la France se joigne à une attaque non provoquée, et même les alliés les plus loyaux, comme la Grande-Bretagne, préfèrent passer par le Conseil de Sécurité de l’ONU.
Ce qui signifie que le joker, c’est la Turquie. Ce pays partage une frontière avec l’Iran et, selon Noam Chomsky, est fortement soutenu par le lobby pro-Israélien à Washington et autorise actuellement le stationnement sur son territoire de 12% des forces aériennes et blindées d’Israël. Le rôle clé de la Turquie pour une attaque contre l’Iran explique le ballet diplomatique récente des Etats-Unis à Ankara, dont le Secrétaire d’Etat Condoleeza Rice, le directeur du FBI Robert Mueller et le directeur de la CIA Porter Goss. En fait, le magazine allemand Der Spiegel publia en décembre 2005 que Goss avait annoncé au gouvernement turc que celui-ci serait « informé de l’éventualité de frappes aériennes contre l’Iran quelques heures avant leur déclenchement » et que la Turquie avait reçue l’autorisation d’attaquer le même jour les camps du Parti des Travailleurs du Kurdistan, séparatiste, en Iran.
Il est curieux de constater que Valérie Palme (l’agent de la CIA dont l’identité avait été révélée aux médias après que son mari ait critiqué les renseignements de l’administration Bush avant l’invasion de l’Irak) et Sibel Edmonds (ex-traductrice du FBI qui a tourné casaque pour dénoncer le déroulement de l’enquête sur les attentats du 11 septembre) aient toutes les deux été associées à des fuites de renseignements sur la Turquie, notamment autour d’une affaire de trafic nucléaire. A présent, les deux femmes ont été efficacement écartées de la scène publique. .
L’opinion publique aux Etats-Unis exprime jusqu’à présent peu de soutien à une attaque contre l’Iran. Un sondage USA Today/CNN Gallup réalisé au début du mois de février 2006 montrait que 86 % des interrogés étaient favorables à aucune action ou au recours de voies diplomatiques/économiques contre l’Iran pour le moment. De manière significative, 69% des sondés se déclaraient « préoccupés que les Etats-Unis puissent recourir trop rapidement à la force militaire pour empêcher l’Iran de développer l’arme nucléaire ».
Ce qui nous amène à poser la question suivante : comment convaincre l’opinion publique des Etats-Unis d’entrer dans une guerre potentiellement destructrice et prolongée contre l’Iran ?
Une attaque terroriste sur le territoire US ferait l’affaire. Considérez ce qu’il a fallu comme valses-hésitations au Congrès avant d’autoriser une prolongation du Patriot Act, et la rapidité avec laquelle les sénateurs qui s’y opposaient ont finalement cédé après une alerte d’attaque au gaz contre le Sénat. L’alarme était fausse, mais le Patriot Act a finalement été prolongé.
Considérez à présent le fait que l’ancien officier de la CIA, Philip Giraldi, a déclaré que le Pentagone a dressé ses plans d’attaque contre l’Iran « en réponse à une autre attaque terroriste du type de celui du 11 septembre aux Etats-Unis ». Dans The American Conservative daté d’août 2005, Giraldi écrivait « comme pour l’Irak, la riposte ne serait pas conditionnée par l’implication ou non de l’Iran dans l’attaque terroriste dirigée contre les Etats-Unis. »
Vous pouvez ruminer ça pendant quelques minutes. Les plans du Pentagone seraient utilisés en réponse à une attaque terroriste contre les Etats-Unis, que l’Iran en soit responsable ou non. Comme ce serait étrange : un autre attaque de type 11 septembre frappe les Etats-Unis, l’administration affirme avoir des informations secrètes qui accusent l’Iran, l’opinion publique étasunienne exige une punition et les bombes commencent à tomber sur Téhéran.
Ce serait le pire des scénarios, mais même le meilleur n’est pas brillant. Admettons que l’administration Bush choisit le Conseil de Sécurité de l’ONU de préférence à l’option militaire. Ceci nous laisse avec la bourse de pétrole, et les retombées économiques qui suivraient sur les pays membres de l’OPEP boudent le billet vert pour lui préférer un pétro-euro. Au minimum, le dollar chuterait et l’inflation exploserait, et on pourrait en déduire que l’administration serait en train de prendre les mesure pour serrer la ceinture économique du pays. Pas du tout. Le déficit commercial US a atteint un nouveau record de 725,8 milliards de dollars en 2005, et Bush et Compagnie on prévu pour l’année fiscale 2007 un budget qui accroîtra le déficit d’encore 192 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années. Le pays connaît une hémorragie d’environ 7 milliards de dollars par mois dans les opérations militaires en Afghanistan et en Irak, et on prévoit pour le mois prochain que le déficit atteigne le sommet de 8,184 mille milliards de dollars.
Alors les tambours de la guerre continuent de résonner et les objectifs de l’administration en Iran sont très clairs. Impétueux et naïfs peut-être, mais clairs : empêcher la création d’une bourse pétrolière en Iran, prendre le contrôle de la province du Khuzestân (à la frontière de l’Irak et qui recèle 90 % du pétrole Iranien), et par la même occasion sécuriser le détroit d’Ormuz. Comme l’a récemment formulé le politicien étasunien Newt Gingrich, on ne peut pas faire confiance aux Iraniens en ce qui concerne la technologie nucléaire, pas plus qu’on « ne peut leur faire confiance en ce qui concerne leur pétrole ».
Mais on ne peut pas faire non plus confiance à l’administration Bush en ce qui concerne sa politique étrangère. Son aventurisme militaire à travers le monde s’est déjà montré désastreux. Il est de notre responsabilité à tous de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour arrêter cette guerre.
Traduit par Cuba Solidarity Project.