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USA : « Django » et le second amendement de la constitution
Par Lucio Manisco
Mondialisation.ca, 01 février 2013

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Ce n’est pas un secret mais personne n’en parle : The right to bear arms, si cher à l’extrême-droite et aux racistes de la république étoilée, n‘a rien à voir avec la défense de la liberté, avec la lutte contre la tyrannie étrangère ou les abus du gouvernement fédéral, mais a été adopté en 1791 pour réprimer dans le sang les révoltes des esclaves ou des indigents.

Dans la première séquence du film de Quentin Tarantino, Django, un esclave noir acheté comme collaborateur du chasseur de primes blanc Schultz, fait son entrée à cheval dans un village du sud. Un Noir à cheval et probablement armé ? Alarme et effarement des Blancs qui prennent leurs fusils et dégainent leurs revolvers tandis qu’une femme s’évanouit.

« Django Unchained » n’a pas plus à Spike Lee, à ceux qui détestent le sang et la violence qui caractérisent les films de Tarantino, à ceux qui, enfin, estiment que c’est une profanation de transformer, fût-ce à des fins libératrices, en un western spaghetti le chapitre le plus infâme et le plus long de l’histoire des Etats-Unis d’Amérique, l’esclavage. Tout en partageant au moins en partie ces critiques, notre jugement sur le film est substantiellement positif ne serait-ce que parce que sa sortie a coïncidé avec le débat en cours sur les mesures ou demi-mesures proposées par le président Obama pour limiter la vente d’armes de guerre et de chargeurs de plus de 10 projectiles : cause première des meurtres hebdomadaires dans des écoles, supermarchés, salle de cinéma et autres lieux publics. (Soit dit en passant, les auteurs de ces meurtres, aliénés, malades mentaux ou criminels, sont tous des jeunes, aisés et blancs qui ont un accès facile aux fusils mitrailleurs à mille ou deux mille dollars. Bien sûr les Afro-américains ne sont pas exempts non plus de la violence –drogue, vols et rapines ; ce sont des jeunes chômeurs et pauvres et ils  ne font usage que de « Sunday night specials », pistolets ou revolvers à six coups, à trente ou quarante dollars pièce.)

Les allusions ou analogies avec le présent du film de Tarantino ne sont pas suggérées par le fait que les esclaves sont évidemment désarmés –seul Django, le rebelle, devient un terrible pistolero– mais par le sacro-saint droit constitutionnel de leurs féroces et sanguinaires patrons d’être armés jusqu’aux dents. Le second des onze amendements de la charte (le « Bill of Rights ») en vigueur hier comme aujourd’hui récite en effet : « Une milice bien disciplinée rendue nécessaire par la sécurité d’un état libre, rend inviolable le droit du peuple de détenir et porter des armes ». « The right to bear arms », devenue dans la sarcastique paraphrase des opposants « the right to arm bears » -le droit d’armer des ours- est la bannière frénétiquement agitée par la « National Rifle Association », le second plus puissant lobby aux Etats-Unis après celui pro-Israël, pour repousser toute tentative de limiter la vente libre d’armes à feu en tous genres (aux mains de privés on en dénombre plus de 300 millions sur une population de 297 millions d’habitants).

Cette association multimilliardaire d’armuriers, qui dans d’autres parties du monde serait définie comme criminelle ou criminogène, menace maintenant d’ouvrir la procédure d’empeachment, la destitution du Président pour violation de la constitution, en ce qu’il veut empêcher les citoyens de tirer sur les passereaux avec des rafales de cent projectiles blindés calibre 7,65 toutes les 70 secondes (pour un mitrailleur semi-automatique, l’automatique en tire cent en 35 secondes). Et Barack Obama après le meurtre de vingt enfants et sept adultes dans l’école de Sandy hook, signe vingt-trois « mesures exécutives », qui ne sont rien d’autre que des avertissements et recommandations ; et il propose au Congrès par l’intermédiaire du vice-président Biden d’interdire la vente d’armes militaires d’attaque semi-automatiques. Et déclare ensuite que lui aussi aime les armes à feu, qu’à Camp David il s’adonne souvent au tir aux pigeons et exalte la valeur historico-libertaire du second amendement.

La valeur historique libertaire du second amendement est un travestissement des véritables intentions de ceux qui l’insérèrent dans le « Bill of Rights » de 1791, quatre ans après la Guerre d’Indépendance. Certes, dans la néo-république étoilée le Bill of Rights proclamait le droit des citoyens à s’armer de tromblons à chargement avant  et de former des corps de volontaires (a well regulated militia) flanquant l’armée fédérale dans la défense de la nation contre les « Redcoats », les armées de George III d’Angleterre, et des liberté des citoyens et des Etats confédérés contre les abus du gouvernement central  Bien différentes sont les vraies propositions énoncées en toutes lettres dans les « Federalist Paners », véritables actes de réglementation de la république, la correspondance entre les pères fondateurs James Madison, Alexander Hamilton,  John Hay, etc. : à savoir la « défense commune de ses membres (ndr : blancs, de sexe masculin, propriétaires de terres et d’esclaves, banquiers, commerçants et fonctionnaires publics), le « maintien de la paix publique », « against internal convulsions », contre des bouleversement intérieurs. Et qui étaient les acteurs de ces bouleversements intérieurs ? Les esclaves en premier lieu, passés de 500 mille de la Guerre d’Indépendance à 4 millions à la guerre de Sécession ; et en second lieu « the white rable », la pègre blanche des indigents, chômeurs et morts de faim enclins à des révoltes car privés de tout droit.

Mais c’étaient les esclaves afro-américains qui préoccupaient le plus les auteurs du second amendement : de leur insurrection en Caroline du Sud en 1739, à celles de Gabriel Posser en 1800 et ensuite, après le Bill of Rights, de Denmark Vessey en 1822, de Nat Turner en 1831, jusqu’à celle guidée par l’abolitionniste (blanc, NdT) John Brown[1] en 1859, elles représentaient une menace obsessive pour les esclavagistes et non-esclavagistes, surtout dans les Etats du sud où les esclaves constituaient la principale force de travail et le moteur de l’économie agricole, dans les plantations de coton et de riz.

Pour ce qui concerne la « well regulated militia » les historiens les plus autorisés, de Morrison à Findlay, à Zinn, s’accordent à relever comment à l’efficience dans la répression sanglante des insurrections afro-américaines ou de celles de la « pègre blanche » (Daniel Shays, 1781) ne correspondit pas une pareille efficience sur les champs de bataille contre les ennemis étrangers de la république. Dans la seconde guerre contre les Anglais, déclenchée substantiellement dans la tentative ratée d’annexer le Canada, la milice fondit comme neige au soleil : les six mille volontaires qui en 1814 devaient défendre Washington contre 1.500 redcoats de George III, désertèrent en masse et la capitale fût incendiée et rasée au sol.

Les Etats-Unis d’Amérique ont toujours été une grande fabrique de mythes : le second amendement est le plus éclatant et il est curieux que celui qui le défende soit précisément le premier président afro-américain de l’histoire de la république étoilée.

Lucio Manisco

Le blog de l’auteur : http://www.luciomanisco.com/

 

Reçu de l’auteur et traduit par Marie-Ange Patrizio

 

[1] A propos de John Brown, voir le très beau roman historique de Russell Banks, Pourfendeur de nuages (Cloudsplitter), traduit de l’américain par Pierre Furlan, éd. Actes Sud, 1998 (NdT)

 

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