Vendetta
Hier la Cour d’appel a confirmé la condamnation à mort de Saddam Hussein qui devra être pendu dans les trente jours. Hier aussi, le nombre des soldats étasuniens morts en Irak (2.975) a dépassé le total des victimes des attentats du 11 septembre 2001 contre les Twin Towers de New York, le Pentagone et les quatre avions détournés par les terroristes de Al Qaeda (2 .973). Aux soldats Us il faudrait encore ajouter 143 étasuniens tués comme mercenaires.
La simultanéité de ces deux informations de mort est littéralement meurtrière. Personne ne doutait que la condamnation du dictateur irakien ne fut confirmée : le moins qu’on puisse dire est qu’il n’y avait pas de grand suspense autour du verdict. La peine de mort est toujours barbare, même pour un tyran sanguinaire. Dans les guerres de l’Antiquité le souverain vaincu était souvent tué ou se suicidait. Sa mort, cependant, ne se drapait pas de nobles raisons juridiques : il mourait parce qu’il avait perdu. Les Etats-Unis par contre ressentent le besoin de revêtir une vengeance nue du manteau de la punition méritée, laissant toujours en bouche le goût amer du droit comme « arme du plus fort contre le plus faible », et non comme « protection du plus faible contre le plus fort » (qui étaient les deux termes du débat sur le droit chez les sophistes du 4ème siècle avant JC) : au procès de Nuremberg, après la deuxième guerre mondiale, les Usa expurgèrent les bombardements sur la population civile de Londres des crimes allemands, sinon ils auraient eux aussi été jugés pour Dresde, Hiroshima et Nagasaki. Depuis lors, bombarder des civils n’est plus un crime de guerre.
Avec la pendaison de Saddam Hussein, vengeance sera accomplie. Si quelque chose était à venger qui ne fut le fruit des obsessions de Dick Cheney et de Georges Bush le jeune, puisque l’Irak n’avait aucun lien avec Al Qaeda et qu’il ne possédait aucune arme de destruction massive. Mais même la supposée rationalité de la vengeance, du « le leur faire payer », s’est révélée arbitraire, dénuée de toute logique. Même si c’était une rétorsion –ce qu’elle n’est pas- elle a désormais coûté plus que ce qu’elle devait venger. En vies humaines, les étasuniens ont payé en Irak (sans compter l’Afghanistan) plus que ce que leur a coûté le 11 septembre. Et, au passage, ils ont provoqué la mort de plus de 600.000 irakiens, ils ont détruit des villes, mis à genoux une économie, privé 25 millions de personnes d’eau, d’électricité et d’essence. Ils ont désintégré un pays et ont attisé un incendie qui risque de se propager dans toute la région. Nous ne savons pas comment Al Gore aurait réagi au 11 septembre, si, en 2000, l’élection ne lui avait pas été piquée par une embrouille en Floride. Mais il est certain qu’il n’aurait pas envahi l’Irak. Il y a quelque chose de tragique et d’amer à compter les centaines de milliers de morts, à voir les anciens combattants amputés sur les trottoirs des villes étasuniennes, et à penser que cette furie homicide, aveugle, dévastatrice, a pris son origine dans une fraude électorale à 12.000 kilomètres de là.
L’ironie est encore plus cruelle si on pense que la seule solution qu’il reste aux Usa pour se démêler du désastre irakien est de trouver en vitesse un autre Saddam Hussein, un autre homme fort qui se dépêche de restaurer l’ordre et d’arrêter la dérive, inexorable aujourd’hui, vers la guerre civile.
Edition de mercredi 27 décembre 2006 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/27-Dicembre -2006/art14.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio