Venezuela : Maduro ne s’en va nulle part, une médiation internationale se met en place

C’est totalement admis et officiel : noir sur blanc, dans les propos sans équivoque de John Bolton, les USA cherchent à renverser Maduro pour s’emparer du pétrole vénézuélien, parce qu’il « ferait une grande différence pour l’économie des USA ».
Mais l’opération de pillage démarrée par Washington va-t-elle être si facile à mener à terme ?
La Russie a fait ce qu’il fallait en passant de sa récente rhétorique anti-américaine enflammée à une attitude de conciliation axée sur l’apaisement des tensions au Venezuela. La Chine avait préconisé cette approche dès le début, lorsque la crise a éclaté la semaine dernière.
Dès le premier jour de l’impasse américano-vénézuélienne, le 24 janvier dernier, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a appelé « toutes les parties concernées à rester rationnelles et calmes et à rechercher une solution politique à la question du Venezuela à travers un dialogue pacifique respectueux de la Constitution du Venezuela ».
A cela s’ajoutait le soutien plein et entier de Pékin aux efforts du gouvernement vénézuélien du président Nicolas Maduro « pour défendre la souveraineté, l’indépendance et la stabilité nationale » ainsi qu’une opposition sans équivoque de la Chine à « l’ingérence étrangère dans les affaires du Venezuela ».
Il va de soi que Moscou aussi a commencé à adoucir sa rhétorique et à s’harmoniser avec la position chinoise. Le cœur du problème est que la crise vénézuélienne risque de porter un coup fatal au cœur du système international, dans un ordre mondial déjà instable et porteur de chaos potentiel, ce qui n’est évidemment dans l’intérêt d’aucune des trois grandes puissances qui en sont des « parties prenantes » – les États-Unis, la Russie et la Chine.
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre les remarques du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov aux médias, mercredi à Moscou, qui proposait la médiation de la Russie entre le gouvernement et l’opposition au Venezuela. Lavrov a souligné le rôle de la Chine et de la Russie en tant que « principaux partenaires » du Venezuela dans le domaine économique. Il a ensuite rappelé les différentes idées émises par différents milieux – l’Union européenne, la Communauté des Caraïbes, l’Uruguay et le Mexique – pour apporter une plate-forme de médiation. Et Lavrov a ajouté : « Le Mouvement des pays non alignés devrait probablement avoir son mot à dire, d’autant plus que le Venezuela le préside en ce moment. » Lavrov a regretté que jusqu’à présent, toutes ces initiatives destinées à entamer un dialogue aient été « carrément rejetées » par l’opposition à l’instigation de ses « sponsors occidentaux ».
Lavrov a déclaré que Moscou s’efforce de « créer les conditions nécessaires à l’ouverture du dialogue » et en discute avec le gouvernement vénézuélien, la Chine, les pays d’Amérique latine et l’UE. Il a souligné la volonté de la Russie de « participer aux efforts internationaux dans les formats qui conviendront aux parties vénézuéliennes » – c’est-à-dire que « toutes les initiatives de médiation doivent être impartiales et leur format futur doit être équilibré » ; la médiation « doit représenter un large éventail d’acteurs internationaux qui peuvent influencer le gouvernement et l’opposition » et « il faut établir dès le début quel objectif est poursuivi par un format de médiation potentiel ».
De façon significative, Lavrov a mis l’accent sur les contacts en cours entre Moscou et Bruxelles concernant la proposition de l’UE d’établir un groupe de contact pour la médiation, malgré l’ultimatum posé à Caracas « par certains pays de l’UE, y compris des pays influents » (lisez le Royaume-Uni, la France, l’Espagne et l’Allemagne). Il a dit que le tableau sera bientôt clair quant à « qui parle de quoi » (à Bruxelles), mais l’essentiel est que « de telles opportunités existent et je crois que ladite initiative peut être utile si elle est impartiale ».
Lavrov s’est félicité de la volonté de Maduro d’accepter la médiation internationale et a exhorté l’opposition « à faire preuve d’une approche constructive similaire, à renoncer aux ultimatums et à agir de manière indépendante, en se fondant essentiellement sur les intérêts du peuple vénézuélien ».
En effet, il est loin d’être clair si, dans les conditions actuelles de la nouvelle Guerre froide, un tel dénouement par la médiation d’un groupe de contact international incluant la Russie conviendra à Washington, qui vient de déclarer une nouvelle guerre économique au Venezuela. De toute évidence, l’administration Trump met en œuvre le programme de Wall Street pour un changement de régime au Venezuela et le projet est déjà assez bien avancé. L’intention est de paralyser la compagnie pétrolière publique vénézuélienne par des sanctions et d’obliger Maduro à se soumettre aux volontés des Américains. Selon les estimations américaines, l’industrie pétrolière vénézuélienne ne peut pas se redresser sans un réinvestissement important, qui ne peut venir que des États-Unis ou de la Chine.
D’un autre côté, un point positif est qu’il n’y a pas encore de signes indiquant que le Pentagone soit sur un quelconque pied de guerre. Dans une situation comme celle-ci, le département d’État américain aurait déjà dû demander l’intervention du Pentagone, mais rien de tel ne s’est produit jusqu’à présent.
Sachons seulement qu’une longue et âpre passe d’armes diplomatique commence, avec d’un côté les États-Unis et certains de leurs alliés, et la Russie et la Chine de l’autre. Cela étant, l’éviction de Maduro, dans ces circonstances, semble très improbable – et peut même être exclue – tant qu’il jouit d’un soutien suffisant parmi les militaires vénézuéliens, et que la base sociale et politique du parti au pouvoir reste aussi importante qu’à l’heure actuelle [En lien : selon un récent sondage, 86% des Vénézuéliens s’opposent à toute intervention armée destinée à renverser Maduro, et 81% s’opposent aux sanctions des USA, NdT]. Il est fort probable que Maduro survivra à la tempête et que les pressions diplomatiques et économiques exercées par les États-Unis ne pourront pas le déloger du pouvoir.
M.K. Bhadrakumar
La transcription des propos de Lavrov adressés aux médias est ici (en anglais).
Traduction et note d’introduction Entelekheia
illustration : l’œil du cyclone, la ceinture pétrolière du Venezuela