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« Verdir » l’initiative la Ceinture et la Route? Qu’en est-il des droits humains?
Par Grain
Mondialisation.ca, 15 juillet 2019
grain.org 5 juin 2019
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Décorations florales colorées à l’entrée du Forum de la route de la soie pour la coopération internationale à Pékin, le 14 avril  2019. Photo : IC

Connue comme le plus grand projet d’infrastructure de tous les temps, l’initiative chinoise la Ceinture et la Route (Belt and Road Initiative ou BRI en anglais) a déjà déplacé des milliers de petits producteurs et menace d’en déplacer des centaines de milliers supplémentaires. Il causera aussi une irréversible perte de biodiversité et aggravera significativement la crise climatique mondiale. Plutôt que de répondre aux besoins des communautés affectées, le gouvernement chinois a récemment commencé le verdissage de ses investissements BRI. Qu’elles soient nationales ou internationales, les organisations de la société civile qui surveillent le développement des projets sur le terrain demandent au gouvernement chinois de rendre l’initiative la Ceinture et la Route plus transparente, d’écouter les personnes concernées et d’apporter de véritables solutions climatiques.

Le second Sommet de la Route et la Ceinture a eu lieu à Pékin, en Chine, du 25 au 27 avril 2019, deux ans après le premier sommet. Avec la participation de 38 chefs d’Etats venus des quatre coins du globe, du Secrétaire Général des Nations Unies António Guterres et de Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, le sommet de cette année fut plus imposant que le premier.

Un communiqué de presse commun paru à l’issue du sommet affirmait, entre autres choses, que l’initiative la Ceinture et la Route (BRI) vise à faire progresser les chaînes de valeur mondiales et la connectivité de la chaîne logistique. On y lisait également que la BRI s’assurerait de la protection de l’environnement, de la biodiversité et des ressources naturelles, et s’occuperait des effets négatifs des changements climatiques.

Revenons à aujourd’hui. Cela fait six ans que la BRI a été lancée et les critiques et préoccupations au sujet du programme phare du président chinois Xi Jinping sont de plus en plus nombreuses. Elles ont notamment trait aux questions liées à la dette et à la souveraineté nationales, à l’accaparement des terres, aux déplacements de populations, aux violations de droits humains dans les zones de conflit, aux impacts environnementaux, aux problèmes de santé publique et aux violations du droit du travail. Certains pays, comme la Malaisie et les Maldives, réévaluent actuellement leur participation à la BRI et aux investissements chinois.

Répondant aux critiques sur les impacts environnementaux de la BRI, le communiqué commun issu de ce deuxième sommet exposait une vision de haute qualité et durable pour la Ceinture et la Route, soulignant et faisant la promotion d’un développement vert et d’un financement vert. La Chine est en train d’élaborer des Principes d’Investissements Verts pour le Développement de la Ceinture et la Route afin d’essayer de « verdir » la BRI. Mais il n’est fait mention nulle part de l’accaparement des terres et de la perte des droits des communautés rurales et indigènes sur leurs territoires et de leurs moyens de subsistance dans le cadre d’une BRI « verte » et du développement continu des infrastructures et des corridors économiques, qui est hautement loué dans le communiqué.

À y regarder de plus près, le modèle d’une croissance économique axée sur les infrastructures tel que promu par la BRI est fondé sur l’accaparement de vastes superficies de terres et de territoires à convertir en couloirs économiques. Concernant l’agriculture, la BRI est censée stimuler les investissements chinois à l’étranger en agrobusiness ainsi que les dépenses d’infrastructure de base afin de faciliter l’augmentation du commerce agricole. Selon des officiels du Bureau de Coopération     Étrangère du Ministère chinois de l’Agriculture et des Affaires rurales, le pays compte à présent 657 projets agricoles dans différents pays de la BRI, pour une valeur d’environ 9,4 milliards de dollars, représentant une progression de 70 pour-cent par rapport à il y a seulement cinq ans. Cela implique forcément la perte de milliers d’hectares de terres agricoles qui seront nécessaires à la réalisation de ces projets, de moyens de subsistance traditionnels et de biodiversité, ainsi que de nombreux paysans déplacés. Au Pakistan, la BRI facilite l’expansion de blé hybride, qui remplace les variétés traditionnelles de blé des paysans, au profit d’entreprises chinoises d’intrants agricoles telles que Sinochem Group.

La majorité des projets agricoles développés dans le cadre de la BRI sont industriels. Le système agro-alimentaire actuel est d’ores et déjà responsable de près de la moitié des émissions globales de gaz à effets de serre. Des villageois du Myanmar rapportent que des milliers de camions entrent et sortent de l’Etat du Kachin avec des cargaisons de bananes. Cette région est ciblée comme zone d’expansion pour les plantations de bananes destinées à l’export vers la Chine, menant à l’expulsion des propriétaires indigènes qui dépendent de la terre pour se nourrir et pour vivre. L’approvisionnement en eau est également touché, vu que l’eau est polluée ou détournée des communautés pour irriguer les plantations chinoises. Certains rapports font également état d’un déclin de la qualité du sol dans les plantations chinoises, dû à des pratiques agricoles utilisant lourdement les intrants. En conséquence, les protestations contre les investissements chinois se sont multipliées au cours de l’année écoulée au Myanmar. Aux Philippines, les méga-projets financés par la Chine, tels que le projet de barrage New Centennial Water Source de Kaliwa auraient causé des accaparements de terres et des déplacements de communautés indigènes.

En outre, tandis qu’elle s’engage à diminuer l’usage du charbon sur son territoire, la Chine est en train d’ouvrir neuf nouvelles mines et de construire plusieurs grandes centrales à charbon à l’étranger, via la BRI. Rien qu’au Pakistan, les investissements chinois dans le charbon ont dépassé les 10 milliards de dollars. Pendant ce temps, l’Indonésie travaille à une nouvelle proposition pour quatre projets de centrales à charbon qui seront financés par la Chine. Les projets énergétiques de la BRI se concentrent de manière disproportionnée sur les énergies fossiles.

En tant qu’organisations de la société civile, nationales et internationales, qui surveillons activement l’implémentation du projet BRI sur le terrain, nous nous inquiétons du manque de consultation des communautés locales au sujet de ces projets. Cela conduit à une perte de terres, et montrent une incapacité des projets d’infrastructure et de connectivité de la chaîne d’approvisionnement à en faire bénéficier populations locales. À la place, nous sommes témoins d’effets négatifs sur les droits des communautés locales et sur leurs conditions de vie.

Nous appelons le gouvernement chinois à rendre l’Initiative la Ceinture et la Route plus transparente, car il n’existe aujourd’hui aucune information officielle fiable sur le montant exact des projets bilatéraux, les conditions de prêt, les normes et critères d’octroi, le financement et leurs effets généraux. Nous appelons les pays partenaires à rendre publiques toutes les informations ayant trait aux projets BRI relevant de leur juridiction. Tant la Chine que les pays partenaires devraient ouvrir les processus de consultation et demander l’avis des autres parties prenantes, afin que l’argent public ne soit pas gaspillé pour des projets indignes et destructeurs. Et aux gouvernements des pays de la BRI de conduire une étude d’impact adéquate et approfondie des projets de la BRI sur les droits humains.

Nous appelons également le gouvernement chinois et la communauté internationale impliquée dans le verdissement de l’Initiative de la Ceinture et la Route à prendre la mesure radicale qui consiste à écouter les personnes touchées par ces projets. S’ils le faisaient, ils soutiendraient les petits paysans et les communautés rurales comme urbaines avec des systèmes alimentaire, énergétique et de transport décentralisés, afin de parvenir à de véritables solutions climatiques et non à un écran de fumée verte devant l’Initiative la Ceinture et la Route.

Pour plus d’informations contactez :

Kartini Samon, GRAIN

Téléphone: +6281314761305
Publié par :
Asia Pacific Research Network (APRN)
Asia Peasant Coalition (APC)
GRAIN
Madhyam
People’s Coalition on Food Sovereignty (PCFS)
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