Vers la légalisation de la torture au Canada ?
La conduite du gouvernement canadien dans diverses affaires laisse voir un recours systématique à la torture, pratique qu’Ottawa continue de nier en public mais que ses avocats défendent de plus en plus effrontément devant les tribunaux.
L’un des cas les plus flagrants est celui de Maher Arar, qui a fait l’objet d’une commission d’enquête publique. Arar, un citoyen canadien d’origine syrienne, a été arrêté en 2002 aux Etats-Unis sur la base de fausses informations envoyées par les services de renseignement canadiens au FBI et à la CIA. Détenu par les autorités américaines, Arar a ensuite été déporté en Syrie où il a été détenu et torturé. Les responsables canadiens ont laissé Arar aux mains de ses bourreaux syriens durant près d’un an, leur envoyant même des questions et échangeant des informations avec eux.
Le cas de Adil Charkaoui est un autre exemple. Charkaoui est sous le coup d’un certificat de sécurité, décret ministériel qui permet d’emprisonner indéfiniment un non-citoyen (visiteur, réfugié ou immigrant reçu) soupçonné d’être une menace potentielle à la « sécurité nationale » sans qu’aucune preuve n’ait besoin d’être fournie. Le gouvernement disait avoir appris d’une source fiable que Charkaoui s’était entraîné dans un camp d’Al Qaïda en Afghanistan, mais refusait de divulguer la source en question. Celle-ci a finalement été identifiée comme étant Ahmed Ressam, arrêté aux frontières américaines en 1999 alors qu’il transportait dans sa voiture 58 kilos d’explosifs dans le but allégué de les faire exploser à l’aéroport de Los Angeles. En avril dernier, Ressam a déclaré que sa « confession » incriminant Charkaoui était fausse et avait été faite durant sa détention, dans un climat de pressions extrêmes, afin d’obtenir la clémence des autorités américaines.
Le gouvernement canadien garde également un silence complice sur l’existence des prisons américaines secrètes à travers le monde. En particulier, il ferme les yeux sur la prison américaine de Guantanamo Bay à Cuba, où pourrissent des soi-disant « combattants illégaux » soumis à la torture et soustraits à toutes les règles démocratiques et judiciaires. Le seul ressortissant occidental encore détenu à Guantanamo est un citoyen canadien du nom de Omar Khadr. Ottawa n’a pas levé le petit doigt pour venir en aide à Khadr, détenu depuis 5 ans à Guantanamo alors qu’il n’avait que 15 ans, même si ses droits les plus élémentaires, ainsi que la plus simple dignité humaine, lui sont niés.
En Afghanistan, où le Canada est engagé aux côtés des États-Unis et de l’OTAN dans une intervention militaire pour faire valoir ses intérêts géopolitiques, les forces armées canadiennes ont livré leurs détenus afghans aux autorités afghanes (et aux forces américaines qui les transféraient ensuite à l’une de leurs prisons secrètes). Ottawa a initialement soutenu que la Croix rouge surveillait le traitement des prisonniers transférés. Lorsque la Croix rouge a nié en ajoutant qu’il était impossible d’assurer une telle surveillance, le gouvernement canadien a dit qu’on pouvait faire confiance aux autorités afghanes, faisant semblant d’ignorer que la torture était pratique courante dans les prisons afghanes. Ottawa a ensuite dit avoir conclu une entente avec les autorité afghanes sur le traitement des prisonniers, ce qui s’est également avéré faux puisqu’on apprenait peu de temps après que cette « entente » n’en était qu’au stade de discussions préliminaires. Dans ce fouillis de mensonges, le gouvernement a également suggéré que les prisonniers capturés par les militaires canadiens étaient des « combattants illégaux », ce qui soustrayait le Canada à ses obligations à l’égard des prisonniers de guerre.
Les cas mentionnés plus haut ne sont que la pointe de l’iceberg, le gouvernement et ses agences de sécurité ayant encore beaucoup de choses à cacher.
Par exemple, suite aux révélations du rapport de la commission Arar, le gouvernement conservateur a été forcé de convoquer une enquête « publique » censée clarifier le rôle du Canada dans la détention et la torture au Moyen-Orient de trois autres personnes : Abdullah Almalki, Ahmed El Maati et Muayyed Nureddin. L’intention d’Ottawa n’est pas de révéler, mais d’étouffer, les circonstances entourant les sévices subis par ces trois citoyens canadiens. A la demande du gouvernement et des agences de renseignements, le juge désigné pour présider l’enquête a décidé de tenir secrète la quasi-totalité des auditions, une décision que les avocats des trois hommes contestent actuellement devant les tribunaux.
Le recours des services canadiens de sécurité à la torture comme « outil » d’enquête fait partie des mesures adoptées au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. La loi antiterroriste, adoptée en toute hâte par le gouvernement Libéral de Jean Chrétien avec l’appui de tous les partis au Parlement, est venue donner carte blanche aux pouvoirs policiers. Ces derniers peuvent employer les méthodes les plus brutales tout en jouissant de l’impunité garantie par le secret qu’imposent les diverses dispositions de la loi au nom de la « sécurité nationale ».
La loi antiterroriste autorise en effet les services de sécurité à cibler des individus soupçonnés de terrorisme sans avoir à divulguer la preuve ni sa provenance, au nom de la préservation de bonnes relations internationales. Le gouvernement peut donc demander que la source de ses allégations soit gardée secrète, maintenant ainsi de bons rapports avec les régimes tortionnaires qui pratiquent la torture par procuration, tout en masquant sa propre complicité.
Mais ayant été confrontés à plusieurs reprises par des victimes de cette pratique devant les tribunaux – pratique qu’il devient d’ailleurs plus difficile de garder secrète après des cas aussi publicisés que l’affaire Arar – les autorités gouvernementales et policières ont commencé à développer une nouvelle « théorie » légale, à savoir que la torture est un moyen légitime et indispensable de lutte au terrorisme.
Actuellement, au Canada, c’est un crime de torturer quelqu’un. Un policier ou un militaire ne peut invoquer l’obéissance à un officier supérieur, ni des circonstances exceptionnelles comme le temps de guerre, pour se défendre d’une accusation de torture. La preuve obtenue par la torture, même sans participation directe, est également illégale. Le Canada est aussi signataire depuis 1984, de la Convention contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumain ou dégradants.
Les avocats du gouvernement et des services de sécurité plaident maintenant que la torture peut être nécessaire pour sauver des vies et que la preuve obtenue sous la torture devrait être admissible devant un tribunal en autant qu’une autre preuve indépendante vienne la corroborer.
Lors de la commission Arar, l’avocate du gouvernement, Barbara McIsaac, a défendu le partage d’informations ayant pris place pendant l’incarcération de Arar entre les services de renseignement syriens et canadiens. «Nous savons maintenant qu’il ne se tramait rien », a lancé McIsaac. « Mais … si M. Arar avait en effet été un acteur principal dans quelque chose qui allait se produire? Et si les Syriens avaient appris quelque chose au cours de leurs interrogatoires avec M. Arar?»
La suite logique de ce type d’argumentation serait de cibler le droit au silence, principe séculaire mis de l’avant par la bourgeoisie révolutionnaire montante dans sa lutte contre l’oppression féodale et qui assure la protection contre la torture dans la Common Law. Les avocats gouvernementaux vont-ils également demander son retrait de la Charte canadienne des droits et libertés où il est formellement inscrit ?
La tentative de la classe dirigeante – non seulement au Canada mais dans les autres pays occidentaux et particulièrement aux Etats-Unis – de légitimer et légaliser la torture doit être comprise dans le cadre de la lutte de classe.
La politique économique de l’élite dirigeante vise à accélérer l’appauvrissement de la grande majorité de la population afin qu’une minorité accumule davantage de richesses au sommet de la hiérarchie sociale. Parallèlement à cette guerre de classe à l’intérieur, l’impérialisme canadien s’engage de plus en plus profondément dans des actes d’agression militaire de type néocolonial à l’étranger – en Afghanistan pour le moment – et aligne sa politique sur celle belliqueuse des Etats-Unis afin de sécuriser ses propres ambitions impérialistes.
Ce double tournant est profondément impopulaire parmi les masses et des conflits sociaux sans précédent sont inévitables. Si à l’heure actuelle la classe dirigeante canadienne sous-traite la torture au nom de la supposée lutte contre une relative poignée de terroristes islamiques, c’est qu’en fait elle se prépare à utiliser ces brutales méthodes à plus grande échelle contre l’opposition réelle et sérieuse que représente la classe ouvrière.
Les travailleurs doivent faire leurs propres préparatifs, ce qui requiert avant tout la construction d’un parti politique de masse qui se base sur la perspective du socialisme mondial dans la lutte contre la guerre et les inégalités sociales afin de défendre les emplois, les programmes sociaux et les droits démocratiques.