Vers un changement de la politique américaine au Proche-Orient ?

George W. Bush et les néoconservateurs ont perdu les élections de mi-mandat. L’enlisement en Irak, l’absence de victoire sur le front de « l’anti-terrorisme », ont contribué à cette défaite. Les recommandations du rapport de la commission bipartisane sur l’Irak dirigée par James Baker et Lee Hamilton, qui prône une totale réorientation de la diplomatie américaine dans la région, ont-elles quelque chance de mise en oeuvre ? On en doute alors que Washington s’apprête à renforcer ses troupes en Irak. Alors que le débat fait rage sur la stratégie à adopter visà- vis de la Syrie et de l’Iran, le dossier israélo-palestinien, lui, ne semble guère faire dissensus. Et Tel-Aviv pourrait bien continuer à bénéficier du même soutien inconditionnel, qui lui a permis de ne pas être condamné, au conseil de sécurité des Nations unies, après le carnage de Beit-Hanoun, pour poursuivre sa politique.

George W. Bush prend son temps. Il ne devrait annoncer les éventuelles réorientations de sa politique en Irak qu’en 2007. Ce 7 novembre, pourtant, les néo-conservateurs américains ont subi une grave défaite lors des élections de mi-mandat américaines, au profit des démocrates désormais majoritaires à la Chambre et au Sénat. En jeu, en premier lieu, la pertinence de la poursuite de la guerre en Irak. Publiée en décembre, une enquête d’opinion réalisée pour la chaîne CBS confirme que soixante-deux pour cent des Américains la considèrent comme une erreur. Cinquante- trois pour cent estiment que les Etats-Unis sont sur le point de la perdre, ce qui est nouveau. Selon un autre sondage, publié par le quotidien USA Today, trois quarts des Américains souhaitent le retour aux Etats-Unis de la plupart des soldats avant 2008. En fait, et cette évolution de l’opinion américaine en résulte pour une grande part, ces derniers mois ont surtout vu le retour des cercueils. Et la guerre coûte cher. C’est du reste principalement contre les coupes sombres dans le budget social, contre la remise en cause du système de protection sociale, contre la privatisation rampante du système des retraites et contre l’augmentation du nombre des travailleurs pauvres que l’AFL-CIO, le puissant syndicat américain, s’est pleinement engagé dans la campagne, appelant à voter démocrate. George W. Bush a très vite sacrifié son secrétaire à la Défense. Promoteur de la guerre en Afghanistan et en Irak, symbole de la politique de guerre dite « préventive  » des Etats-Unis « contre le terrorisme  », Donald Rumsfeld a démissionné au lendemain même des élections, remplacé par Robert Gates. Fort d’une longue carrière, à la tête de la CIA notamment, ce dernier n’a pas hésité à annoncer que les Etats-Unis n’étaient pas en voie de gagner la guerre en Irak. John Bolton, l’ambassadeur des Etats-Unis aux Nations unies, symbole pour sa part de l’unilatéralisme américain, a lui aussi été remercié. De même que Stephen Cambone, un proche de Donald Rumsfeld, qui était à la tête du Renseignement au Pentagone. Un petit mois plus tard, le 6 décembre, l’ancien secrétaire d’Etat James Baker et le démocrate Lee Hamilton, longtemps à la tête de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre, rendaient, après huit mois de travail d’une commission bipartisane (composée de républicains et de démocrates), un rapport critique sur la politique américaine au Proche et au Moyen-Orient, appelant à sa réorientation tant en Irak que concernant le dialogue avec les Etats de la région, et formulant aussi plusieurs recommandations pour sortir le conflit israélopalestinien de l’impasse. Les résultats des élections américaines, tandis que les Etats-Unis s’embourbent en Irak, préludent-elles à une véritable réorientation stratégique de Washington dans cette région du « Grand Moyen- Orient » à laquelle George W. Bush promettait un avenir de démocratie grâce aux chars américains ? Peut-être vont-elles-au moins- ouvrir la voie à une remise en cause de la politique de violations des droits humains au nom de la sécurité. Quelles sont les recommandations de la commission Baker-Hamilton et ont-elles quelque chance d’être prises en considération ? Qu’en est-il des risques de guerre contre l’Iran ou contre la Syrie ? Quelle marge de manoeuvre les Etats-Unis sont-ils prêts à laisser ou non à Tel-Aviv sur ce dossier  ? Peut-on attendre de la victoire électorale démocrate une politique différente de celle des républicains concernant le conflit israélo-palestinien ?

Rapport Baker-Hamilton :quitter l’Irak

Remis le 6 décembre à la Maison Blanche, le rapport de la commission bipartisane dément les rodomontades présidentielles sur une victoire prochaine des Etats-Unis en Irak et sur les perspectives de « Grand Moyen-Orient » remodelé à leur mesure. Dénonçant la minimisation des chiffres et des faits, il ne formule pas moins de 79 recommandations. Il préconise en premier lieu une conclusion « raisonnable » à l’occupation de l’Irak, qualifiée de « longue et coûteuse ». Pour les rapporteurs, non seulement la situation est grave, mais elle se détériore. Ils prônent donc le retrait des troupes américaines, d’ici le premier trimestre 2008, « si les conditions le permettent » et en accroissant considérablement sur le terrain le nombre des « conseillers » américains. Tandis que la guerre et l’occupation génèrent et accélèrent un conflit entre chi’ites-majoritaires et politiquement réprimés par le régime de Saddam Hussein – et sunnites, dont les ondes de choc se font sentir jusqu’au Liban, et tandis que les Etats arabes voisins, en particulier l’Arabie saoudite -sunnite- font part de leur inquiétude, James Baker et Lee Hamilton suggèrent également un dialogue en Irak avec l’ayatollah al- Sistani comme avec l’organisation chi’ite de Moqtada al-Sadr. Plus généralement, ils plaident en faveur d’une réorientation diplomatique régionale, associant l’Europe, la Russie et la Chine, et favorisant le dialogue au détriment du bâton. Ainsi prônent-ils notamment le dialogue avec la Syrie et l’Iran.

Dissensions sur la Syrie et l’Iran

C’est principalement sur ce dossier que le bât blesse le plus douloureusement, et que Baker et Hamilton essuient les critiques les plus violentes, tant des républicains que d’une part des démocrates. En fait, les démocrates apparaissent divisés. En outre, si George W. Bush a promis de consulter démocrates et républicains, il garde par ailleurs constitutionnellement la main sur la diplomatie américaine. Concernant la Syrie, le dialogue ne semble pas à l’ordre du jour. Pour l’instant. « Octroyer le moindre soupçon de légitimité à ce gouvernement (syrien) sape la cause de la démocratie dans la région », a déclaré le porte-parole de la Maison Blanche Tony Snow midécembre à l’issue de la visite du sénateur Bill Nelson à Damas. « Les Syriens ne doivent pas avoir le moindre doute quant au fait que la position du gouvernement américain reste la même : ils savent ce qu’ils ont à faire, ils doivent cesser de donner refuge à des terroristes, ils doivent cesser de soutenir le terrorisme en Irak, au Liban et ailleurs, ils doivent cesser de servir de quartier général pour des organisations terroristes et ils doivent faire preuve de bonne volonté », a-t-il ajouté. Le président syrien Bachar al-Assad, de son côté, appelle les gouvernements israélien et américain à négocier avec Damas, mais ajoute craindre une attaque d’Israël [1]. Même si l’absence de dialogue, ou l’expression de conditions préalables, ne signifient pas la guerre.

La question des relations avec Téhéran semble plus délicate. D’un côté, Washington craint le développement du nucléaire iranien. De l’autre cependant, le rôle de Téhéran n’est pas neutre en Irak, et Washington ne bouderait pas un peu de répit. Les faucons, tels Dick Cheney, ne sont pas défavorables aux frappes dites elles aussi « préventives ». Joshua Muravchik, de l’American Enterprise Institute (think-tank néo-conservateur), avance : « Nous n’avons que deux options : accepter un Iran doté de l’arme nucléaire, ou bien user de la force pour l’empêcher(…) » [2]. Robert Gates se veut plus prudent. Déjà, un groupe de travail du « Council of Foreign Office » qu’il animait alors avec Zibgniew Bzrezinski (ancien conseiller à la sécurité du Président Jimmy Carter) prônait en juillet 2004 un dialogue politique avec Damas et Téhéran. L’insuccès de l’occupation de l’Irak plaidra-til pour la diplomatie vis-à-vis de l’Iran ? Offrant ses bons offices au Président irakien, espérant la reconnaissance d’un rôle régional, Mahmoud Ahmaninejad ne s’est pas montré opposé à un « donnant- donnant » ; George W. Bush ne ferme pas définitivement la porte au dialogue, mais le conditionne au préalable de l’arrêt des activités d’enrichissement nucléaire. Tel-Aviv de son côté ne souhaite nullement une normalisation avec Téhéran. C’était même le principal sujet à l’ordre du jour de la première visite d’Ehud Olmert à Washington le 13 novembre, après la défaite républicaine. Reste à savoir de quelles marges de manoeuvre américaines Tel-Aviv disposerait s’il décidait de frappes contre les sites iraniens.

Pas de réel changement en vue sur le dossier palestinien

Ehud Olmert, pourtant, s’est dit confiant à son retour de Washington. Mais il évoquait essentiellement le conflit israélopalestinien. Selon lui, George W. Bush lui a donné des assurances quant à la poursuite des mêmes principes guidant la politique américaine : « lutte contre le terrorisme » et « défense de la sécurité israélienne ». Le rapport Baker-Hamilton développe une autre optique. D’abord parce que l’impasse politique israélo-palestinienne n’est pas sans rejaillir sur l’impasse irakienne. Ensuite parce que la radicalisation qu’elle génère comme l’audience de la résistance islamique inquiètent les Etats arabes alliés des Etats-Unis. « Les Etats-Unis ne pourront atteindre leurs objectifs au Moyen-Orient s’ils ne traitent pas le problème du conflit israélopalestinien et celui de l’instabilité régionale. Les Etats-Unis doivent s’engager à nouveau et de manière ferme dans la voie d’une paix entre Arabes et Israéliens sur tous les fronts : Liban, Syrie et, en ce qui concerne Israël et la Palestine, respecter l’engagement pris en 2002 par le président Bush en faveur de la solution de deux Etats » [3]. Les auteurs en appellent là aussi au dialogue, « avec ceux qui reconnaissent Israël ». Quant à la négociation israélo-palestinienne, qu’ils souhaitent sans étape préalable, elle doit porter, annoncent-ils, sur les dossiers centraux du conflit : les frontières, les colonies, Jérusalem, et également le droit au retour. On se doute que de telles préconisations, en particulier en ce qui concerne les réfugiés, ont reçu un écho très défavorable à Tel-Aviv. Mais pas seulement. Car les démocrates n’ont jamais caché leur soutien, majoritaire, à la politique israélienne. Le sénateur Joseph Biden avance qu’il ne saurait être question de donner le sentiment de sacrifier les intérêts d’Israël au nom de l’Irak. Probable future présidente de la chambre, Nancy Pelosi va beaucoup plus loin. Interrogée l’an passé par l’« association » AIPAC (« American Israel Public Affairs Committee »), néo-conservatrice, inconditionnellement favorable à la politique israélienne et très lobbyiste, elle assurait que ceux qui lisent le conflit israélo-palestinien à l’aune de l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza se trompent, celui-ci portant en fait sur le droit fondamental d’Israël à l’existence [4].

Il est peu probable que les démocrates plaident une politique très différente de celle de George W. Bush sur le dossier israélo-palestinien. Mais l’onde de choc de la persistance du conflit et de son impasse, elle, pourrait amener à revoir partiellement la copie. En attendant, et alors que Washington prévoit l’envoi de nouvelles troupes en Irak, la responsabilité européenne est, une fois encore, d’autant plus engagée.

Isabelle Avran est journaliste.

Notes

[1] Entretien publié le 15 décembre dans La Repubblica.

[2] Cité par Libération des 25 et 26 novembre 2006.

[3] Cité par Le Monde, 7 décembre 2006.

[4] Cité par George S. Hishmeh, « Need for wiser Democrats », www.amin.org, 16 novembre 2006.

 



Articles Par : Isabelle Avran

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