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Vers une militarisation croissante du Canada
Par Prof. Jules Dufour
Mondialisation.ca, 02 octobre 2006
2 octobre 2006
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/vers-une-militarisation-croissante-du-canada/3368

La semaine de la Défense célébrée par le gouvernement Harper au cours des derniers jours de juin 2006 et des milliards pour l’armée y compris 2.1 milliards pour l’achat de trois navires de ravitaillement. Quelle tristesse ! Quel gaspillage des fonds publics ! Alors que les provinces réclament des transferts fédéraux pour leur permettre de mieux répondre aux besoins en santé et en éducation Ottawa leur répond que le fédéral n’a pas d’argent. Vraiment, il y a lieu de se demander si le pays est encore gouverné par et pour les Canadiens.

Dans les faits, l’on assiste à un processus de militarisation qui se poursuit et s’intensifie. Sous la gouverne du gouvernement Harper le Canada se soumet fidèlement aux commandes de Washington. C’est la souveraineté elle-même du pays qui est maintenant en jeu.

Avec une participation active à la guerre en Afghanistan et une augmentation considérable des dépenses militaires le Canada n’aura plus désormais la crédibilité requise pour rétablir, maintenir ou construire la paix. Il sera de plus en plus perçu dans le monde comme un allié inconditionnel des USA dans la prise de contrôle des ressources planétaires et de la population mondiale.

Cette nouvelle réalité imposée que la population canadienne doit maintenant affronter se traduit par des changements significatifs à l’intérieur de la politique étrangère du Canada et dans les décisions prises sur la plan de la Défense nationale. Le Canada « d’abord » se prépare au combat.

Le modèle américain s’impose

En matière de politique étrangère et de coopération le Canada s’achemine progressivement vers le modèle américain. Avec son adhésion à la doctrine de l’intervention armée préventive (c’est ce que qu’il a prétendu en ce qui concerne son intervention en Afghanistan) et avec le développement d’une aide publique au développement de plus en plus liée le Canada entre dans les rangs des pays qui, en particulier ceux de l’Occident, n’hésitent pas à recourir à la violence armée pour atteindre leurs fins et à classer les pays en fonction de leur taux de fidélité envers leur drapeau.

Pour mettre en œuvre cette politique il faut une armée plus nombreuse, mieux équipée et surtout il faut un budget considérablement plus élevé. Ces conditions, exigées d’ailleurs par les Américains, ont été mises en place au cours des deux dernières années grâce à un lobby de haut rang agissant dans toutes les sphères de la société.

Selon E. Regehr et P. Whelan, en 2004, « le Canada disposait d’un budget de 16.4 milliards de dollars pour assurer la sécurité du pays. De ce budget, 12,4 milliards de dollars étaient dépensés par la défense militaire (contre 3.1 milliards pour le développement international). Sur les 22 pays membres de l’OCDE le Canada occupait le 12e rang en termes de dépenses militaires. Selon ces mêmes auteurs, le Canada appartient au 10% des pays qui dépensent le plus dans le monde pour son armée » (http://www.ploughshares.ca/). Selon le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute) le Canada occuperait le 15e rang sur 160 pays en ce qui concerne le budget militaire (http://www.sipri.org).

Le Canada, la forteresse de Bush et ses retombées

En 2006, selon le Polaris Institute, le Canada se voit forcé de participer à l’établissement d’un système commun de sécurité pour le continent nord-américain. La doctrine Bush, depuis les événements du 11 septembre 2001, veut faire de l’Amérique du Nord, « une forteresse » et le Canada doit contribuer à la bâtir. Donc, il se doit de répondre sans mot dire à cette entreprise et de consacrer les ressources nécessaires exigées. Cette attitude d’un valet à genoux le récompenserait sur le plan strictement économique avec le règlement partiel du contentieux sur le bois d’œuvre entre les deux pays, un nombre plus élevé de contrats lucratifs pour l’industrie de la défense et un appui international dans le non-respect des dispositions du Protocole de Kyoto. L’administration Harper se collerait ainsi de plus en plus à celle de Bush.

Concernant les contrats militaires le gouvernement fédéral et aussi ceux des provinces (hélas !) apportent un soutien logistique et financier aux entreprises qui voudraient obtenir des contrats aux États-Unis dans le marché de l’aérospatiale et de la défense. C’est notamment, ce marché merveilleux et prometteur que l’on retrouve en particulier en Arizona qui est promu par Développement économique, Innovation et Exportation Québec sur son site Internet (http://www.mdeie.gouv.qc.ca/page/web/portail/exportation/nav/marches_vises/fiches_marches/43909.html?page=details.jsp&iddoc=70376 ).

Les contrats militaires se multiplient pour les grands producteurs d’armements ou d’équipements militaires tels que CAE, Bombardier ou Bell Helicopter. Le premier budget du gouvernement Harper nous indique nettement que le Canada s’en va-t-en guerre avec l’ajout, au cours des cinq prochaines années, de 5.3 milliards de dollars à la défense, dans le but d’augmenter de 13 000 « membres » les forces régulières et 10 000 autres les « forces » de réserve. Pour la forteresse de Bush, la liste des engagements financiers est longue. Le bouclier anti-missile nord-américain serait, lui aussi, bien desservi.

Des engagements faisant presque l’unanimité

Ces engagements pour ces dépenses inutiles ne feront qu’engendrer la peur et l’insécurité dans le pays en faisant une ponction importante dans les ressources nécessaires à l’économie et à la société. Le budget des conservateurs, sur ce plan, ne semble pas, sauf quelques exceptions, inquiéter outre mesure les formations politiques de l’opposition à Ottawa. Cette attitude généralisée des Partis devrait nous préoccuper au plus haut point. En effet, les Libéraux soutiennent qu’il faut « respecter l’investissement de 13 milliards de dollars en nouveaux crédits, accroître de 8000 membres l’effectif des forces canadiennes, s’assurer de la capacité de l’armée de répondre aux désastres et aux attaques terroristes qui pourraient toucher le Canada et militer auprès de la communauté internationale pour faire interdire de façon permanente la militarisation de l’espace ». Le NPD est d’accord avec « l’acquisition d’hélicoptères militaires sécuritaires » et il recommande d’accroître les ressources canadiennes pour les opérations de maintien de la paix et de hausser les salaires et les conditions de vie des militaires et de leur famille ». Il s’oppose cependant au projet de bouclier anti-missile américain. Quant au Bloc québécois il « exige que le gouvernement fédéral dépose pour étude au Comité permanent de la défense toute proposition d’achat d’équipement militaire de plus de 100 millions de dollars avant d’aller de l’avant ».

Appliquons la Loi antiterroriste

En matière de sécurité ce n’est guère plus rassurant. La position des Partis est « d’appliquer la Loi antiterroriste dans l’optique que la sécurité du Canada est indissociable de celle des États-Unis » (Libéraux) et « de travailler à une frontière plus sûre avec les États-Unis » (NPD).

Une industrie de la défense prospère, une meilleure préparation à la guerre et une armée plus puissante

En bref, le gouvernement actuel, les Partis de l’opposition et les gouvernements provinciaux, préconisent une aide générale accrue à l’industrie de la défense, une meilleure préparation à la guerre avec un accroissement des forces armées régulières, des investissements massifs dans le domaine de la défense « afin d’assurer à nos forces un niveau de puissance appropriée…le tout dans le but de développer une politique de défense raisonnable ».

Les gouvernements sont d’accord pour accentuer la lutte contre le terrorisme et augmenter les budgets de la sécurité en conséquence.

L’Empire et le triomphe du militarisme

En fait, nous sommes bien loin des éléments définis par le concept de la sécurité coopérative et de l’interdépendance constructive. Ce sont plutôt les règles du militarisme qui triomphent comme celles qui ont marqué la guerre froide pendant des décennies. De nos jours, ce n’est plus cette guerre qui justifie les dépenses militaires mais c’est un système politique et économique dominant et fortement militarisé et contrôlé, une sorte d’empire global placé sous la férule des USA. Ce système s’est développé pour protéger les intérêts des corporations multinationales et ceux des mieux nantis. On compterait 8,7 millions de millionnaires dans le monde en 2005 dont la fortune cumulée pourrait atteindre 33 300 milliards de dollars au total selon une étude publiée le 20 juin dernier par Merrill Lynch et de Capgemini (Le Devoir, le 21 juin, p. B3). Ce système veille à ce que toutes les contraintes à l’enrichissement accéléré (croissance de 6,5% en 2005) ou instantané des plus riches soient éliminées ou du moins neutralisées le plus possible. Pour ce faire, il importe que la gouvernance des appareils étatiques soit placée sous le contrôle de serviteurs fidèles à ce système qui n’est, à nos yeux, qu’une imposture globale et implacable.

Préconiser une politique de paix « sans armes »

Que faut-il faire devant cette situation qui semble échapper à tout contrôle démocratique, du moins pour l’instant ? Est-il possible de stopper le processus de militarisation en cours qui contraint les Canadiens et les Québécois, à sacrifier leur pouvoir de décision et partant leur autonomie ? Est-il possible de faire en sorte que le Canada renonce à la guerre et à sa préparation ?

Oui, il est possible de résister à ce mouvement infernal en rejetant, « le partenariat militaire avec les États-Unis » et en répondant ainsi aux appels lancés, en septembre 2005, à la société québécoise et canadienne par le Collectif Échec à la guerre et, notamment, ceux-ci:

– Le rejet de toute participation canadienne aux guerres d’agression des  » États-Unis, de même qu’aux tâches constabulaires de « stabilisation » et au partage du butin de la « reconstruction » qui s’ensuivent ;

– Le gel immédiat des dépenses militaires et un véritable débat public sur le rôle des forces armées canadiennes ;

– Le rejet catégorique de la logique de la surveillance totalitaire comme voie de sécurité et le gel immédiat des dépenses « sécuritaires ».

Le Collectif termine ainsi son plaidoyer en faveur de la paix :

« Pour la paix et la sécurité véritables sur toute la planète nous exigeons l’abolition totale des armes nucléaires et le démantèlement des complexes militaro-industriels partout dans le monde ».

Jules Dufour, Ph.D., est Président de l’Association canadienne pour les Nations Unies (ACNU) /Section Saguenay-Lac-Saint-Jean, membre du Cercle universel des Ambassadeurs de la Paix, membre du Conseil national de Développement & Paix.

RÉFÉRENCES

CANADA. Budget 2006. Message du ministre de la Défense nationale. 2006. http://www.forces.gc.ca/site/Reports/budget06/message_f.asp

CANADA. 2006. La Défense et le Budget 2006. Faits saillants. http://www.forces.gc.ca/site/Reports/budget06/summ06_f.asp

COLLECTIF ÉCHEC À LA GUERRE. 2005. Rejetons le partenariat militaire avec les États-Unis. Montréal, septembre 2005. 4 pages.

PARTI CONSERVATEUR DU Canada. 2006. Programme du Parti conservateur : http://www.conservative.ca/FR/2326/

PARTI CONSERVATEUR DU CANADA. 2006. Énoncé de politique. Défense nationale et sécurité. http://www.conservative.ca/FR/2692/41693

PARTI CONSERVATEUR DU Canada. 2006. Le budget 2006. http://www.conservative.ca/FR/2972/

Center for Global Research on Globalization : http://www.globalresearch.ca

Centre de recherche sur la mondialisation : http://www.mondialisation.ca/

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