Violence faite aux femmes : 25 ans après Polytechnique, où en sommes-nous?

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Le 6 décembre 1989, un homme s’est donné le droit de remettre publiquement les femmes à leur place en utilisant une violence extrême. Pour certaines féministes, il s’agit de la première manifestation du ressac devant les progrès réalisés dans la décennie précédente pour mettre au jour la violence envers les femmes. En effet, dans les années 80, sous l’impulsion des féministes, le gouvernement canadien modifiait le Code criminel, faisant des agressions sexuelles, non plus des infractions contre les bonnes moeurs, mais des crimes violents contre la personne ; les règles de preuve étaient aussi modifiées, on n’exigeait plus la corroboration, ni la plainte spontanée, on reconnaissait le viol conjugal en permettant à une femme mariée de témoigner contre son conjoint.

Au Québec, les centres d’aide aux victimes d’agressions sexuelles et les maisons pour femmes victimes de violence conjugale étaient reconnus et un premier plan de financement était adopté. En 1986, des directives enjoignaient aux policiers et aux procureurs de traiter les agressions commises en contexte conjugal comme des actes criminels. Une première campagne contre la violence conjugale était présentée au petit écran et le message «La violence conjugale est inacceptable» entrait ainsi dans tous les foyers. Malgré le choc de 1989 causé par Polytechnique, les actions se sont poursuivies. En effet, depuis 1995, trois plans d’action gouvernementaux contre la violence conjugale ont été mis en oeuvre et deux contre les agressions à caractère sexuel. Au fil des ans, des lois ont été notamment changées pour mieux protéger les victimes et certaines ressources pour les femmes ont été mieux financées.

Mais comment alors expliquer la nécessité d’une campagne comme Vivre la violence conjugale, lancée par notre réseau la semaine dernière, pour permettre aux femmes victimes de violence conjugale de mettre des mots sur la violence qu’elles subissent ? Comment expliquer la déferlante qui a suivi la création d’#AgressionNonDénoncée ? Comment expliquer que seulement 10 % des victimes d’agressions sexuelles les rapportent ?

Pour qui travaille dans ce milieu depuis plus de 20 ans, il est possible de constater que des progrès ont été faits, incontestablement. Mais cette vague de dénonciations nous engage à procéder à un examen sérieux des ressources consenties à la lutte contre la violence envers les femmes. Pour réussir cet exercice, il faut avoir en tête que cette violence menace la moitié de la population et entraîne des coûts sociaux importants. Ainsi, selon l’Organisation mondiale de la santé, la violence conjugale est la cause principale de mort et d’atteinte à la santé des femmes de 16 à 44 ans, plus importante que le cancer, la malaria ou encore les accidents de la route.

Pour les Québécoises, comme pour bien d’autres femmes dans le monde, exercer leur droit à la vie, à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de leur personne, stipulé à l’article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne, veut dire être protégées des agressions psychologiques, sexuelles, physiques d’un homme qu’elles connaissent, un conjoint, un parent, un collègue… C’est à partir de ce fait qu’il faut penser la prévention. C’est pourquoi les groupes de femmes revendiquent depuis des années des cours d’éducation sexuelle qui dépassent la technique, afin de transmettre les valeurs d’égalité entre les garçons et les filles. Les garçons doivent apprendre que ce n’est ni « cool » ni de l’amour de forcer une fille à faire ce qu’elle ne veut pas faire. Les filles doivent apprendre que leur valeur ne réside pas que dans le regard de l’autre, dans leur apparence physique. À ce travail avec les jeunes doivent aussi s’ajouter des campagnes publiques pour changer les mentalités.

Les témoignages actuels mettent en lumière la nécessité de donner accès aux victimes à des mécanismes fonctionnels pour dénoncer leur agresseur. Il ne suffit pas de dire « appelez la police ». Les victimes craignent qu’on banalise ce qu’elles ont vécu, qu’on ne les croie pas et d’y perdre plus qu’elles n’y gagneraient. Attendre deux, trois ou quatre ans avant qu’un procès ait lieu ou encore répéter à chaque étape ce qu’on a vécu est perçu par bien des victimes comme une épreuve très pénible. On ne peut certainement pas diminuer les exigences d’établir une preuve hors de tout doute, mais il serait possible d’améliorer le processus judiciaire, de diminuer les délais pour de telles causes où l’intimité des victimes est dévoilée. On pourrait également évaluer si certaines façons de faire amènent davantage d’agresseurs à reconnaître leur culpabilité, permettant ainsi une issue plus rapide aux procédures. L’aide et l’accompagnement offerts aux victimes de violence exercée par une personne de confiance commandent non seulement de la sollicitude, mais aussi une lecture précise des impacts de cette victimisation particulière, en lien avec les autres discriminations que vivent chaque jour les femmes.

La semaine dernière, l’Assemblée nationale a chargé la Commission des relations avec les citoyens de procéder à des consultations à la suite du dépôt du rapport sur la mise en oeuvre du Plan d’action gouvernemental 2008-2013 en matière d’agressions sexuelles. La Commission saura-t-elle dépasser le strict libellé de ce rapport pour bien saisir le problème dans toute son ampleur et sa complexité ? Ses membres auront-ils la clairvoyance de proposer des mesures porteuses de changement et d’espoir pour les victimes ? Porteuses d’un changement profond de mentalités sur le droit des femmes de jouir de toute la liberté que leur promet notre société moderne et démocratique ? C’est le souhait que nous formulons, en ce jour de 25e anniversaire de Polytechnique. Et nous serons au rendez-vous pour parler de la violence vécue en contexte conjugal.

Sylvie Langlais

Sylvie Langlais – Présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale



Articles Par : Sylvie Langlais

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