Vladimir Poutine à Munich : un discours marqué par la franchise
On disait par avance du discours de Vladimir Poutine à la 43e conférence sur la sécurité de Munich qu’il serait « programmatique ». Le fait même que le président russe ait, pour la première fois, pris part à cette réunion dont on dit qu’elle est le « Davos de la sécurité » (et qui a lieu depuis 1962) ne pouvait passer inaperçu. Les attentes n’ont pas été vaines : le chef de l’Etat russe, qui a commencé par promettre d’éviter les « formules diplomatiques aux angles arrondis mais vides », a exposé franchement, carrément par endroits, la position de Moscou sur des questions comme le programme nucléaire de l’Iran, l’élargissement de l’OTAN et la réforme de l’ONU. Et, bien que Vladimir Poutine ait spécialement noté que la Russie et les Etats-Unis ne seraient jamais ennemis, sa franchise ne peut qu’être considérée comme une sorte de réponse au récent « aveu sincère » du chef du Pentagone, Robert Gates, qui a publiquement rangé la Russie parmi les voyous et les ennemis de l’Amérique.
Pour commencer, le président de la Russie a constaté l’état de crise dans lequel se trouve le système des relations juridiques internationales : « Personne ne se sent plus en sécurité, a-t-il estimé, personne ne peut se réfugier derrière le droit international comme derrière une muraille de pierre ».
La raison en est que le droit revêt de moins en moins d’importance dans les relations internationales, que la force est employée au mépris de la Charte de l’ONU. « Il ne faut pas remplacer l’ONU, ni l’OTAN, ni l’Union européenne, a souligné Vladimir Poutine… Quand l’ONU unira réellement les forces de la communauté internationale, … quand nous cesserons de négliger le droit international, la situation pourra évoluer. » L’élargissement de l’OTAN, a-t-il dit, « n’a aucun rapport… avec la garantie de la sécurité en Europe ». Au contraire, il abaisse « le niveau de la confiance mutuelle » « Et nous avons le droit légitime de poser ouvertement la question : qui est visé par cette élargissement ? » Aux dires du président, le rapprochement des infrastructures militaires de l’OTAN des frontières de la Russie n’est nullement lié « à la riposte aux menaces globales », à celle du terrorisme en premier lieu. Comme il l’a rappelé, après la dissolution du Traité de Varsovie, le secrétaire général de l’OTAN avait donné des garanties de sécurité à l’URSS, déclarant que les troupes de l’Alliance ne seraient pas déployées hors de la RFA. « Où sont ces garanties ? », a demandé Vladimir Poutine. Il a mentionné également que, dans les années 80, l’URSS et les Etats-Unis avaient signé un traité sur l’élimination de toute une classe de missiles de moyenne et de plus courte portée (traité FNI signé le 8 décembre 1987. – La Russie a accusé les Etats-Unis de violer ce traité en utilisant des missiles Hera pour tester leur système ABM – NdlR). « Aucun caractère universel n’a été conféré à ce document » et c’est pourquoi, aujourd’hui, « toute une série de pays – la RDPC, la République de Corée, l’Inde, l’Iran, le Pakistan et Israël – possèdent ce type de missiles. »
Vladimir Poutine a également évoqué le sort du traité russo-américain sur la réduction des potentiels offensifs stratégiques (ce document n’a pas été nommément cité mais le sous-entendu était clair). Selon lui, la Russie a l’intention de remplir scrupuleusement ses engagements et de réduire, d’ici à 2012, le nombre de ses charges nucléaires à 1 700 (au lieu de 2 200). « J’espère, a-t-il dit, que nos partenaires agiront également dans la transparence et ne mettront pas de côté, à tout hasard, pour les mauvais jours, les quelque deux cents charges nucléaires excédentaires. Si le nouveau ministre américain de la Défense annonce, aujourd’hui, que les Etats-Unis ne vont pas planquer les charges excédentaires ni dans les arsenaux, ni sous l’oreiller, ni sous une couverture, je vous propose de vous lever et de l’applaudir debout. Ce serait très important. » Ce n’est pas un hasard si le président Poutine a parlé de « couverture » : en vertu de la nouvelle politique nucléaire des Etats-Unis (2002), le nombre des charges sera réduit non par destruction, mais en recyclant des vecteurs stratégiques pour des missions non nucléaires. En d’autres termes, la possibilité demeure de déployer à nouveau les charges « réduites ».
Vladimir Poutine a mentionné encore un autre problème lié, lui aussi, à la politique des Etats-Unis, le problème de la militarisation de l’Espace. Les conséquences de cette militarisation peuvent, dit-il, ne pas être « moindres que celles du début de l’ère nucléaire ». Comme il l’a annoncé, la Russie a préparé un projet de traité international sur la prévention du déploiement d’armes dans l’espace, qui sera prochainement « adressé aux partenaires en qualité de proposition officielle ». La question est de savoir si cette proposition retiendra l’attention des « partenaires » : Washington a jusque là bloqué tous les efforts déployés en vue de parvenir à un accord international sur la démilitarisation de l’Espace. D’ailleurs, le projet de budget des Etats-Unis pour 2008, que le Congrès est en train d’examiner, prévoit d’accroître de 25 % le financement du programme militaro-spatial, qui passerait de 4,8 milliards de dollars cette année à 6 milliards en 2008.
Le président Poutine a aussi évoqué indirectement le traité de 1972 sur la limitation des systèmes ABM, aujourd’hui défunt. Selon lui, la Russie est prête à donner « une réponse asymétrique » au déploiement d’une ABM en Europe de l’Est. Après avoir annoncé que « nous avons une arme qui peut la (l’ABM) surpasser », il a précisé que cette réponse de la Russie n’était en aucune façon dirigée contre les Etats-Unis dans la mesure, il est vrai, où ce « système ABM n’est pas dirigé contre nous ». (Il convient de rappeler que les Etats-Unis sont sortis du traité ABM en 2002 et qu’il s’agit aujourd’hui, pour eux, de déployer des missiles intercepteurs en Pologne et en République tchèque. Même si Washington affirme que cette mesure vise à conjurer une probable menace émanant de pays voyous, il ne fait aucun doute, pour les experts, que l’implantation de bases ABM dans ces pays est une mesure purement anti-russe.) D’ailleurs, de l’avis du chef de l’Etat, la création d’un système ABM constitue une menace non seulement pour la Russie mais encore pour le monde entier : « nous nous plaçons dans l’hypothèse où, à un certain moment, la menace pouvant émaner de nos forces nucléaires sera totalement neutralisée. Cela signifie que l’équilibre sera rompu et que l’une des parties aura le sentiment de sa pleine sécurité ce qui, par conséquent, lui déliera les mains dans des conflits non seulement locaux mais aussi, peut-être, globaux. »
Vladimir Poutine n’a pas éludé la question de la prolifération des technologies nucléaires qui inquiète aujourd’hui le monde entier. Soulignant que « l’attrait que présente, pour toute une série de pays, la possession d’armes de destruction massive » est nourri pas la domination du facteur « force » qui s’est imposé dans les relations internationales, le chef de l’Etat a appelé à une solution raisonnable du problème nucléaire iranien. Selon lui, « si la communauté internationale n’élabore pas une solution raisonnable pour résoudre ce conflit, le monde continuera d’être secoué par des crises semblables, déstabilisantes. » Rappelons que la Russie avait proposé, il y a quelque temps, d’ouvrir des centres internationaux pour l’enrichissement de l’uranium. Les Etats-Unis ont eux aussi avancé une proposition analogue.
Pour ce qui est du programme de missiles de l’Iran, Vladimir Poutine a affirmé que la Russie n’avait pas fourni de technologies balistiques à l’Iran mais que, par contre, « d’autres pays (d’Europe et d’Asie) s’y étaient montrés très actifs. Il a rappelé que, dans les années 90, la Russie avait cessé, à la demande des Etats-Unis, de former les spécialistes iraniens qui étudiaient ces technologies, alors que des partenaires étrangers, notamment en Europe, n’avaient pas réagi de façon similaire. « Qui plus est, a ajouté le chef de l’Etat, aujourd’hui encore du matériel de guerre et des équipements spéciaux en provenance des Etats-Unis lui sont fournis (à l’Iran). Des pièces de rechange pour les avions F-14 sont toujours livrées », en dépit des enquêtes effectuées aux Etats-Unis.
Quant à la coopération militaro-technologique entre la Russie et l’Iran, elle est « minimale », affirme Vladimir Poutine : « La Russie a fourni bien moins d’armes que les Etats-Unis et d’autres pays ». Elle a livré à Téhéran des missiles sol-air de moyenne portée (30-50 kilomètres), a précisé le président. « Nous l’avons fait, a-t-il encore indiqué, pour que l’Iran ne se sente pas acculé, qu’il n’ait pas le sentiment d’être dans un environnement hostile, pour qu’il comprenne qu’une communication est possible, qu’il a des amis à qui il peut faire confiance. » Vladimir Poutine a également fourni certains éclaircissements concernant la politique énergétique de son pays qui est souvent examinée, ces derniers temps, dans le cadre des discussions sur la sécurité. Premièrement, il a une nouvelle fois déclaré que le Charte énergétique « ne satisfait pas vraiment » Moscou, qui n’a donc pas l’intention de la ratifier. Deuxièmement, il a répété que « les tarifs de l’énergie doivent être fixés par le marché et non faire l’objet de spéculations politiques, de pressions économiques ou de chantage ». Enfin, a-t-il indiqué, la Russie est ouverte à la coopération dans le secteur de l’énergie et des entreprises étrangères participent aux grands projets énergétiques du pays. « Selon diverses estimations, a-t-il noté, jusqu’à 26 % du pétrole extrait en Russie… revient à des capitaux étrangers. Citez-moi donc des exemples d’une présence aussi importante du monde russe des affaires dans les secteurs économiques clefs des Etats occidentaux. Ces exemples n’existent pas. »
Après avoir donné un exemple visible de « la stabilité et (de) l’ouverture » de l’économie russe, le président Poutine est passé à la politique intérieure, vu que, aujourd’hui, de nombreux pays voient dans le niveau de démocratie atteint par tel ou tel pays un prétexte à intervenir dans ces affaires intérieures (ce qui constitue déjà une question de sécurité, objet de la conférence de Munich). Après avoir rejeté les assertions sur « l’unilatéralité du gouvernement russe », il a relevé que la Russie cherchait à établir un système pluraliste et que les modifications de la législation électorale allaient dans ce sens.
Dans le même temps, la pluralité interne est étroitement liée à la pluri-polarité dans l’arène internationale. « Les démocraties ne cessent de donner des leçons à la Russie, a déclaré Vladimir Poutine. Mais, on ne sait trop pourquoi, les donneurs de leçons ne sont pas eux-mêmes très pressés d’apprendre. » C’est encore cette idée que l’on perçoit lorsqu’il affirme que la Russie aimerait bien travailler avec « des partenaires responsables et indépendants » à « l’édification d’une organisation du monde juste et démocratique, garantissant la sécurité et l’épanouissement de tous et non des seuls élus. » « La Russie a une histoire de plus de mille ans, a résumé Vladimir Poutine. Et elle a pratiquement toujours usé du privilège de mener une politique extérieure indépendante. Nous n’avons toujours pas, aujourd’hui encore, l’intention de modifier cette tradition. »