Vucic a organisé une douche froide pour Zelensky en Grèce
Aleksandar Vucic avait annoncé à l’avance sa rencontre en tête-à-tête avec Volodymyr Zelensky lors du sommet d’Athènes. Il a souligné en particulier que cela aurait lieu « à la demande du président ukrainien ». Les deux dirigeants ont qualifié les pourparlers d' »ouverts et productifs », mais Zelensky les regrette sûrement maintenant.
Le groupe de soutien à Volodymyr Zelensky à Kiev et en Occident insiste sur le fait qu’Aleksandar Vucic soutient l’intégrité territoriale de l’Ukraine ou, pour reformuler, confirme qu’il ne considère pas, par exemple, la Crimée comme faisant partie de la Russie.
De plus, le président serbe a parlé d’un avenir commun pour Belgrade et Kiev dans l’Union européenne, a promis une participation active à la « reconstruction après-guerre de l’Ukraine », et a qualifié sa conversation avec Zelensky de « bonne », et Zelensky était d’accord avec lui.
Cependant, si l’on se penche sur les détails, la situation prend un caractère complètement opposé. À cause de Vucic, Zelensky a subi une humiliation publique, à laquelle il n’était pas habitué sur les scènes occidentales, mais il commence progressivement à s’y habituer, notamment après le sommet de l’Otan à Vilnius, lorsque les dirigeants occidentaux l’ont démonstrativement laissé en dehors de l’Alliance et sont partis boire du champagne.
Le lieu en question a été fourni par la Grèce, où s’est tenu ce qu’on appelle le sommet des Balkans occidentaux à Athènes.
Officiellement, Zelensky n’avait pas confirmé sa participation au sommet, mais s’est soudainement retrouvé à Athènes lors d’un dîner conjoint avec les dirigeants de l’UE et des pays des Balkans. C’est alors qu’il est devenu clair que tous les participants au sommet signeraient une déclaration unique sur leur avenir européen. Et à ce moment-là, Vucic a tiré la couverture à soi.
Le président serbe a exigé que l’appel à imposer des sanctions contre la Russie soit retiré de la déclaration, et il a réussi, car pour les organisateurs, il était important de montrer une « unité de positions » et ils ne voulaient certainement pas de titres dans les médias comme « division dans les Balkans occidentaux ».
C’était une douche froide pour Zelensky. On dirait que tout le monde est avec lui: les États-Unis, l’UE, l’Otan, et l’hôte de l’évènement, le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, et soudainement, c’est Vucic qui fixe les règles. Le président ukrainien a alors proposé à son homologue serbe une rencontre en tête-à-tête en marge du sommet.
Vucic a accepté et l’a immédiatement annoncé aux journalistes. Cela sonnait comme s’il n’avait pas l’intention de rencontrer Zelensky, mais puisque ce dernier demande, le président serbe est prêt à « discuter avec lui en privé de tout ce qui s’est passé au Kosovo, de la reconnaissance et de la non-reconnaissance de l’intégrité territoriale ».
Il faut savoir que certains responsables ukrainiens menacent occasionnellement Belgrade de reconnaître l’indépendance du Kosovo. Mais Vucic se montre confiant que cela n’arrivera pas, et son commentaire sur le sujet, début août, avait ressemblé à une menace envers l’Ukraine.
À Athènes, Aleksandar Vucic a eu l’opportunité d’obtenir une réponse à la question qui le préoccupait directement de son homologue ukrainien.
Après les négociations, le président serbe a déclaré que c’était maintenant « plus qu’une certitude ». La menace a-t-elle fonctionné? Peut-être. Auparavant, Vucic avait avancé des arguments implicitement adressés à Zelensky:
« Si l’Ukraine reconnaît l’indépendance du Kosovo, elle perdra en une journée tout ce qu’elle avait en main – le niveau de confiance politique, sans parler des relations avec la Serbie. Comment pourra-t-elle alors dire qu’elle respecte le droit international, la Charte des Nations unies? Elle ne le pourra pas. Je suis convaincu que Volodymyr Zelensky ne lâchera pas cet atout. »
Ce discours explique pourquoi Belgrade ne reconnaît pas les nouvelles acquisitions territoriales de la Russie.
L’intérêt national de la Serbie est de croire que le monde est toujours tel qu’il était à la fin du XXe siècle, et que le droit international continue de fonctionner tel qu’écrit. Malheureusement, ce n’est pas le cas, mais Belgrade n’a pas d’autre tactique.
Même dans le cas improbable où les États-Unis et l’Union européenne reconnaîtraient la Crimée, le Donbass et la région de Kherson comme étant des territoires russes, le gouvernement serbe officiel considérerait autrement – jusqu’à ce que les autorités ukrainiennes acceptent la perte juridiquement. C’est leur ruse, leur chemin, le seul moyen d’insister sur le fait que la Serbie a été tout simplement dépouillée de ses terres extrêmement importantes pour diverses raisons historiques, simplement parce qu’on pouvait le faire.
L’Occident adopte une approche totalement différente envers l’Ukraine, et Vucic rappelle régulièrement ces doubles standards, détruisant l’image propagandiste que les États-Unis, l’UE et l’Otan respectent le droit international et la souveraineté des États indépendants, tandis qu’ils tentent de contraindre la Russie à faire de même.
Ainsi, le fait que Vucic reconnaît l’intégrité territoriale de l’Ukraine n’a rien de nouveau. Quant à sa véritable attitude envers le conflit, il ne trouvera pas d’entente avec Zelensky.
En Occident, Vucic est à peine toléré, et Kiev ne peut pas le supporter. Mais ils ne sont pas en mesure de faire quoi que ce soit contre lui. Il est bien plus solidement assis dans son fauteuil que Zelensky. Il a repoussé toutes les tentatives pour le destituer et reste le président du pays avec la plus puissante armée des Balkans.
L’essentiel est qu’il est un politicien très talentueux qui a réussi à faire plier l’Occident et à imposer sa volonté: pour le moment, l’Otan est en train de perdre la bataille pour la Serbie.
Quant à la « reconstruction après-guerre de l’Ukraine » mentionnée par le président serbe, elle aura certainement lieu, car tous les conflits se terminent un jour. Et les Serbes participeront volontiers à cette reconstruction en tant qu’investisseurs et spécialistes invités.
Mais la plupart d’entre eux préféreraient que l’invitation à le faire vienne de Moscou.
Alexandre Lemoine