Washington, l’OTAN et la tourmente des politiques mondiales en cours

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Sur le plan de la sécurité mondiale, ces dernières semaines ont été riches en événements, et les USA ainsi que le président américain ont joué un rôle clé dans divers incidents. Tous ces événements ont été commentés sous forme de rumeurs, de ragots, de réflexions analytiques et de suppositions. On attendait de voir les résultats du sommet de l’OTAN à Bruxelles, et de la rencontre entre les présidents Poutine et Trump à Helsinki. Ces deux rencontres ont également été source d’un flot de déclarations et de discussions. Essayons de faire le point sur les moments les plus importants de cette période.

Prenons un exemple avec la déclaration de Bruxelles du 11 juillet sur la sécurité transatlantique et les sujets de solidarité ; cette déclaration stipule que l’OTAN ne constitue une menace pour aucun pays. Si tel est le cas, comment faut-il interpréter les bombardements de l’OTAN sur la Yougoslavie en 1999, et l’opération Odyssey Dawn contre la Libye en 2011 ? Les gouvernements de ces pays ne s’étaient-ils pas vus adresser des avertissements agressifs ? Ou, si l’OTAN ne menaçait pas les pays eux-mêmes, il saute aux yeux que ces menaces étaient adressées aux nations, aux États, aux gouvernements, comme le démontrent ces deux exemples concrets. Et une menace n’implique pas forcément l’usage de la force ; une manifestation de force – ou une déclaration d’intention (comme annoncer l’admission à l’OTAN de la Macédoine, de la Géorgie, de la Moldavie et de la Serbie) – remplit tout à fait les critères qui qualifient une manœuvre de grave intimidation.

Nous connaissons tous les retombées des campagnes de l’OTAN – la Serbie est encore en train de traiter les problèmes de fragments de munitions contenant de l’uranium appauvri, et la désintégration de la Libye a déversé un flot de migrants, mélangeant réfugiés réels et extrémistes radicaux en provenance du pays, mais également de ses voisins. Sous Kadhafi, en effet, la Libye tenait un rôle de dissuasion en la matière, qui assurait la sécurité non seulement de l’Afrique du Nord, mais également d’autres pays énumérés ci-après. Oh, et puisqu’on parle de sécurité – dans ses remarques de conclusion, Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, a déclaré : « Notre alliance garantit notre sécurité, notre liberté, et les valeurs que nous partageons. » Mais les nombreuses attaques terroristes survenues en Europe ces dernières années viennent jeter le doute sur cette affirmation. En plus de ces attaques, on peut également parler de l’incapacité à traiter les désastres naturels – comme illustré par les derniers incendies en Grèce, qui ont fait de nombreux morts. Un défenseur de l’OTAN pourrait venir objecter ici que ce genre de sujet ne rentre pas dans les hautes priorités de l’Alliance, mais le sujet de la sécurité en Europe, en tant que tout, englobe tout à fait la protection et les soins apportés à ses habitants, peu importe la menace qui pèse sur eux – qu’il s’agisse de groupes extrémistes ou de forces naturelles. Mais l’OTAN préfère se concentrer sur la menace inexistante et mythique émanant soi-disant de la Russie.

Principales attaques du terrorisme islamiste en Europe et en Turquie

Mais le point le plus bizarre est cette déclaration de Stoltenberg : « Parce que l’OTAN est bonne pour l’Europe. Et l’OTAN est bonne pour l’Amérique du nord… En résumé, l’OTAN constitue un multiplicateur de force pour les USA. »

D’un côté, on peut voir cela comme un appel du pied vers les USA – « s’il vous plaît, ne nous abandonnez pas, nous resterons à votre service ». Mais d’un autre côté, cette déclaration énonce clairement la fonction de l’OTAN comme outil de la politique de Washington. Mais alors, quel est l’intérêt de ce multiplicateur de force stationné en Europe ? Il s’agit d’un artefact issu de la guerre froide. Bien que pouvant se montrer un peu décevant (comme l’ont démontré les derniers exercices de l’Alliance, qui ont démontré que dans le cadre hypothétique d’une guerre contre la Russie, les pays de l’OTAN sont voués à la défaite en raison de problèmes logistiques, d’une gestion bureaucratique, des particularités de la structure de l’alliance, et de ses méthodes de guerre), l’Alliance est encore en train de justifier les raisons de son existence. Sauf que les réalités sous-jacentes ont changé depuis longtemps.

L’OTAN se montre tout simplement incapable de lâcher son sujet préféré. Carl Bildt, ancien Premier ministre suédois et agent de la CIA, écrivait dans un article ce 21 juillet, titré « La fin de l’OTAN », que « [le] problème est que les capacités militaires de l’OTAN s’améliorent, tandis que les capacités de décisions politiques de l’alliance se dégradent. Imaginez ce qui arriverait si un état membre de l’OTAN levait une alerte suite à une opération militaire secrète menée à ses frontières par la Russie, comme en Crimée. Et imaginez que les agences de renseignement américaines confirment qu’un tel acte d’agression est bien en cours, malgré les dénégations de Poutine ».

« Et enfin, imaginez la réponse de Trump. Est-ce qu’il appellerait Poutine pour lui demander ce qui se passe ? Est-ce que Poutine formulerait une autre ‘proposition incroyable’ pour aider les enquêteurs américains à enquêter sur le fond des choses ? Encore mieux : est-ce que Trump invoquerait rapidement le principe de défense collective selon l’article 5 du traité de l’OTAN ? Ou bien est-ce qu’il hésiterait, poserait des questions à ses services de renseignements, rabaisserait les alliés des USA, et validerait les dénégations de Poutine ? ». Comme nombre de politiciens occidentaux, Carl Bildt oublie le référendum organisé en Crimée, par lequel les résidents de la péninsule ont décidé de leur destin.

Ce type de figure publique présente souvent des opinions très prédictibles, puisqu’ils ne font que rester sur la ligne qu’ils avaient empruntée jusque là.

Après la rencontre d’Helsinki, nous avons assisté à une réaction intéressante à l’attitude de Donald Trump, qui l’a forcé à revenir sur ses propres propos après son retour aux États-Unis. On peut interpréter ceci comme une conséquence de pressions qu’il aura subies de la part de ses opposants et de radicaux au sein du Parti républicain, mais aussi comme autant de fruits de ses qualités personnelles, parmi lesquelles on compte l’imprévisibilité, couplée à l’incompétence du président américain. Si Donald Trump ne tient pas sa parole, toute confiance en lui est sapée. Et comme il est président des États-Unis d’Amérique, c’est toute la crédibilité du pays et de son peuple qui se voit mise en question. Pour ces raisons, les attaques agressives lancées par les Démocrates, même si elles ne visaient qu’à discréditer Donald Trump, finiront par revenir hanter leurs auteurs, quand on finira par leur reprocher d’avoir dégradé les sentiments de sympathie envers les Démocrates et les USA de la part des alliés et partenaires du pays – pour ne rien dire de ses rivaux.

Francis P. Sempa, professeur adjoint en sciences politiques à l’université de Wilkes et auteur de plusieurs ouvrages géopolitiques, prenait acte d’un autre coup de théâtre lors de la rencontre d’Helsinki, qu’il a simplement appelé « retour de la géopolitique nixonienne ». Il écrit que « [les] États-Unis devraient mélanger engagement et endiguement afin de garder avec la Russie et la Chine des relations plus proches qu’elles ne pourraient en avoir entre elles. Oui, Poutine est un dictateur impitoyable, mais il n’est pas plus impitoyable (et il est beaucoup moins meurtrier) que ne l’était Mao Zedong quand Nixon a lancé l’ouverture vers la Chine. Au moment de l’ouverture vers la Chine, Nixon avait été critiqué aussi bien à gauche qu’à droite pour avoir mené une politique étrangère amorale ». C’est pourquoi Trump doit réparer les erreurs de Bush et d’Obama, qui avaient amené la Russie et la Chine à lancer diverses initiatives, comme les Routes de la soie, et qui avaient également amené la Chine à se montrer plus active en mer de Chine du sud. Même s’il ne mentionne pas explicitement l’union économique eurasiatique, Francis P. Sempa l’a manifestement à l’esprit. Mais Nixon avait Kissinger, et Trump affublé de Pompeo ne semble pas à niveau pour cette tâche.

Quelques-uns des tweets récents de Trump, sources d’un tollé général, sont dignes d’intérêt. Le premier concerne le Monténégro qui, selon Trump, est capable de démarrer une troisième guerre mondiale, à cause de la nature agressive des Monténégrins. Ceci, de nouveau, ouvre la voie aux spéculations quant à l’existence de l’OTAN, la répartition des responsabilités inhérentes à la défense au sein de l’alliance, ainsi que le pourcentage du PIB qui devrait être alloué à la défense. Et son deuxième tweet a ramené la lumière des projecteurs sur l’Iran. Trump a publié ce message sur la plateforme Tweeter :

« Au Président iranien Rouhani : NE MENACEZ PLUS JAMAIS, AU GRAND JAMAIS LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE OU VOUS SUBIREZ DES CONSÉQUENCES QUE PEU ONT CONNUES JUSQU’À CE JOUR DANS L’HISTOIRE. NOTRE PAYS NE SUBIRA PLUS VOS DÉLIRES DÉMENTIELS PLEINS DE VIOLENCE ET DE MORT. FAITES ATTENTION ! »

Trump a-t-il écouté avec attention les déclarations des dirigeants de la République islamique d’Iran ? Pourquoi n’exprime-t-il pas d’indignation quant aux proclamations émises par le dirigeant suprême de l’Iran, l’Ayatollah Ali Khamenei ? Il a des critiques nettement plus sévères envers Washington, qui est appelée en Iran « Le grand Satan ».

Les promesses faites à Israël, le déménagement de l’ambassade à Jérusalem, et les liens qu’il maintient avec le lobby israélien au travers de son gendre, Jared Kushner, tout cela éclaire la cohérence de la politique sous-jacente à ses proclamations envers l’Iran. Dans ce contexte, devrait-on les considérer comme sérieuses ? Après tout, Rouhani n’a pas une seule fois émis de menace à l’encontre des USA. Ou alors c’est sa déclaration mentionnant la possibilité de renaissance du projet nucléaire iranien qui a autant énervé Trump ? Mais d’un point de vue géopolitique, l’Iran ne représente pas une menace existentielle à l’égard des USA – cela saute aux yeux dès lors qu’on considère les aspects géographiques ou que l’on compare les puissances militaires de chacun des deux pays.

On n’a pas trop entendu, dans cette avalanche d’information, d’évocations des menaces chinoises ou nord-coréennes, mais personne n’a oublié la Russie. Les pirates russes, tellement présents dans les commentaires des porte-parole de certaines mouvances politiques américaines et dans les médias (mais toujours sans la moindre preuve de ce qui est avancé) sont de nouveau soi-disant à l’œuvre comme les vilains hooligans qu’ils sont – cette fois-ci il parait qu’ils s’en prennent aux réseaux électriques. En même temps, de sérieux débats sont en cours quant au niveau de préparation des systèmes de votes et de divers pans entiers de l’économie américaine, connectés d’une manière ou d’une autre à Internet. Partout, les experts déclarent que les caisses sont vides. Ces « coïncidences » amèneront par elles-mêmes le lecteur aux conclusions qui s’imposent.

Leonid Savin

Article original en anglais :

Washington In The Maelstrom Of Current Global Politics

Oriental Review, 30 juillet 2018

Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker francophone



Articles Par : Leonid Savin

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