Washington se dit prêt à négocier avec l’Iran
À la suite du discours de la main tendue et de la tentative avortée de renverser le régime de Téhéran, voilà que Washington se dit prêt maintenant à négocier avec l’Iran les orientations de son programme de développement nucléaire. C’est ce que nous apprend Madame Suzan Rice, ambassadrice américaine à l’ONU, qui déclarait à New York le 28 juin dernier: «Il s’agit «d’atteindre les objectifs les plus importants pour notre pays dont l’un est de toute évidence d’empêcher l’Iran de poursuivre le développement d’armes nucléaires, d’empêcher une course aux armements au Proche-Orient et de s’assurer que nos partenaires et alliés dans la région ainsi que les États-Unis préservent leur sécurité» (Cyberpresse.ca).
Voilà une déclaration qui en dit long sur les intentions réelles des États-Unis concernant l’avenir du Moyen-Orient. Maintenir la sécurité voire celle des intérêts des pays alliés et celle des États-Unis dans cette région. Ces propos font suite au discours prononcé au Caire par le Président Obama le 4 juin dernier annonçant un nouveau départ avec le monde musulman et «briser le cycle de la méfiance et de la discorde». Les propos de Madame Rice nous semblent apparemment en contradiction avec les intentions du Président dont le gouvernement se dit maintenant prêt à négocier avec l’Iran.
Il est bien difficile de croire en la bonne foi des Étatsuniens quand on sait que les fondements de leur politique étrangère n’ont pas changé depuis le 20 janvier dernier. La conquête et le maintien d’un accès sécuritaire aux ressources stratégiques et aux marchés sont encore au coeur des dogmes sacrés de l’Empire et ce n’est pas un changement de garde à la Maison-Blanche qui pourrait les transformer tout d’un coup. En outre, le lobby des industries de guerre est extrêmement puissant et pour elles des dizaines de milliards de dollars sont en jeu au Moyen-Orient, car elles peuvent compter là-bas sur d’excellents clients en l’Arabie saoudite, Israël et l’Égypte et elles tiennent à conserver ce marché lucratif (Defense news.com). De plus, le contrôle de cette région est primordial étant donné sa situation par rapport à l’Europe, l’Afrique et l’Asie.
I. «Empêcher l’Iran de poursuivre le développement d’armes nucléaires»
Ces propos sont lourds de conséquence, car ils indiquent qu’on ne soupçonne plus l’Iran de vouloir se doter d’armes nucléaires, mais qu’on a maintenant la conviction que ce pays est entré dans une phase avancée de production. Qu’est-ce que les États-Unis veulent apporter à l’Iran dans des négociations en vue de stopper le développement d’un prétendu volet militaire de leur programme nucléaire? La promesse de ne pas le détruire avec des armes nucléaires?
II. «Empêcher une course aux armements au Proche-Orient»
Les principaux responsables de la course mondiale aux armements sont les États-Unis d’abord, puis les membres de l’OTAN (70% des dépenses militaires mondiales) et ensuite la Russie, la Chine et l’Inde.
Il y a lieu ici de nous demander si Madame Rice a consulté les dernières statistiques concernant les exportations d’armements en provenance de son pays vers les pays du Moyen-Orient. Un coup d’oeil sur les données les plus récentes nous permettent de constater que les États-Unis ont effectué des ventes d’armements pour une valeur totale de 134.7 milliards de dollars entre 2000 et 2007 se présentant de loin comme le plus important exportateur d’armes dans le monde, la Russie montrant, au second rang, un total de 67.5 milliards de dollars. Parmi ses principaux clients on retrouve l’Arabie saoudite, Israël et l’Égypte. Pour la seule année 2007, le premier en a acheté pour la somme de 4.1 milliards de dollars, Israël pour 1.5 milliards et l’Égypte pour 1 milliard de dollars, soit une somme totale de 6.5 milliards de dollars. Comment alors affirmer que l’on a pour objectif d’empêcher une course aux armements au Proche-Orient? (Impressomilenio.com).
III. «Négocier sur leur programme nucléaire avec les cinq membres du conseil de sécurité de l’ONU»
«Nous maintenons l’offre faite à Téhéran il y a deux mois (en avril) de négocier sur leur programme nucléaire avec les cinq membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU» (États-Unis, Grande-Bretagne, Chine, France, Russie), plus l’Allemagne, a déclaré Susan Rice dans une interview à la chaîne de télévision CBS (Cyberpresse.ca).
Est-ce qu’un pays a déjà demandé de négocier avec les États-Unis ou les autres pays nucléarisés leur «programme nucléaire»? Pourquoi s’arroger un droit qui ne revient pas avant tout aux membres permanents du Conseil de sécurité? L’entreprise du désarmement s’avère un processus qui ne peut être conduit que dans un climat de coopération étroite et égalitaire entre les nations et dans la reconnaissance des prérogatives des organismes institués par l’assemblée générale en cette matière. Le désarmement ne peut être poursuivi quand ce sont les pays nucléarisés qui imposent les règles de la négociation en fonction de leurs intérêts premiers et sous la menace. Il s’agit de la forme la plus évidente d’un impérialisme implacable. Si vous collaborez avec nous nous vous permettrons de disposer d’armements nucléaires ou d’autres armes de destruction massive. Si vous ne suivez pas les consignes dictées par les plus forts vous serez sanctionnés et placés au rang des pays récalcitrants et insoumis. La négociation voudra alors dire ici l’imposition de règles fixées par les grandes puissances et leurs alliés.
Le projet de réduction relative des armes stratégiques des États-Unis et de la Russie annoncé la semaine dernière lors de la visite de B. Obama à Moscou peut sembler prometteur, mais ne correspondrait-il pas qu’à un impératif lié à l’image que les empires veulent se doter en faisant miroiter, par la signature d’un mémorandum, l’idée qu’ils ont désormais de bonnes intentions ou ne serait-il pas conçu dans le contexte de la crise économique qui les obligerait à entrer dans une certaine phase de détente? À aucun moment il n’a été question de désarmement significatif lors de cette rencontre, mouvement pouvant nous conduire à un désarmement nucléaire total. Le déploiement du système ABM des États-Unis en Europe centrale ne semble pas négociable et les grands projets de modernisation des arsenaux nucléaires de la Russie suivent leur cours. Ce désarmement annoncé pourrait ne réduire en rien dans les faits les puissances de frappe actuelle en n’étant probablement que la mise au rancart d’armements devenus obsolètes.
Conclusion
Tant que les grandes puissances continueront de maintenir une politique colonialiste au Moyen-Orient il sera difficile d’en arriver à créer un climat de confiance et de coopération. Les dommages considérables qu’elles ont causés dans la région depuis la première guerre du Golfe seront extrêmement difficiles à réparer. Soutenir les États qui collaborent à leurs projets d’expansion tout en isolant les autres ne peut que créer un environnement propice aux affrontements violents et à la guerre. Ce qu’il faudrait «négocier» c’est le retrait définitif de toutes les forces militaires étrangères du Moyen-Orient et l’instauration de régimes politiques démocratiques autonomes et indépendants.
Références
AFP. 2009. Les É.-U. prêts au dialogue avec l’Iran sur le nucléaire. Le 28 juin 2009. Cyberpresse.
En ligne:
Defensenews.com: http://www.defensenews.com/static/features/top100/charts/rank_2007.php?c=FEA&s=T1C
DUFOUR, Jules. 2006. Le désarmement nucléaire, hypocrisie et utopie. Le 13 novembre 2006.
En ligne: http://www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=DUF20061110&articleId=3795
GOUVERNEMENT DES ÉTATS-UNIS. 2009. Le discours du président Barack Obama au Caire. M. Obama préconise un nouveau départ avec les musulmans de par le monde. America.gov. Le 4 juin 2009.
En ligne:
http://www.america.gov/st/peacesec-french/2009/June/20090604162956eaifas0.5829126.html
GRIMMET, Richard F. 2008. CRS Report for Congress; Conventional Arms Transfers to Developing Nations, 2000-2007. PDF formatted document. October 23, 2008.
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LOBE, Jim. 2007. EEUU es el líder mundial en exportaciones de armas. Vendió al Sur pobre armamento por valor de 10.300 millones de dólares. El 16 de octubre de 2007. IPS. Tiré de Rebelión. Tortuga. Grupo Antimilitarista Elx- Alacant.
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http://impreso.milenio.com/node/7126715
SHAH, Anup. 2009. The Arms Trade is Big Business. Global Issue. Social, Political, Economic and Environmental Issues That Affect Us All. En ligne: http://www.globalissues.org/article/74/the-arms-trade-is-big-business
Jules Dufour, Ph.D., est président de l’Association canadienne pour les Nations Unies (ACNU) /Section Saguenay-Lac-Saint-Jean, professeur émérite à l’Université du Québec à Chicoutimi, membre du cercle universel des Ambassadeurs de la Paix, membre chevalier de l’Ordre national du Québec.