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YES, YOU CAN ! [Oui, vous pouvez]
Par Uri Avnery
Mondialisation.ca, 14 novembre 2008
Gush Shalom 14 novembre 2008
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YES, YOU CAN ! [Oui, vous pouvez]

EN JUILLET 2004, la convention du Parti Démocrate était sur le point de désigner John Kerry comme candidat à la présidence. Il appartenait au comité organisateur de décider qui prononcerait le discours inaugural. Dans la tradition américaine, ce discours donne le ton pour l’ensemble de la Convention.

« Peut-être devrions-nous avoir un orateur  noir cette fois-ci? » a suggéré quelqu’un.

 »Bonne idée », a répondu le président. »Mais qui? »

Ensuite, quelqu’un, d’une voix hésitante, a dit qu’il avait rencontré un jeune gars avec un drôle de nom, à Chicago. « Il est noir et excellent orateur. Peut-être pourrions-nous l’essayer ?

Je ne sais pas si une telle conversation a eu lieu. Si c’est le cas, c’est le genre de celles qui font l’histoire.

 »Donnez-moi des maréchaux qui soient chanceux ! », s’est exclamé un jour Napoléon. Il y a des gens qui ont de la chance parce qu’ils savent saisir leur chance des deux mains. C’est une question de talent. Barack Obama est ce genre de personne.

Son discours à cette convention, il y a seulement quatre ans, avait fait sensation. Il a inspiré de l’émotion à son parti et à toute l’Amérique. Il a exprimé un message édifiant, un message d’espoir, et surtout, un message unificateur. Son principal thème est :  »Réunifions l’Amérique !  »

Parmi des centaines de messages possibles, ce fut celui qui a touché le cœur déchiré de la nation américaine. Entre l’orateur et le public un contact s’est établi – le contact mystique que s’efforce d’établir chaque orateur, ce que seuls quelques-uns réussissent à faire. Il s’agit du lien avec la chose mystérieuse que le philosophe allemand a appelée le Zeitgeist, l’esprit du temps.

Obama a senti qu’il avait établi le contact  avec la psyché américaine. A partir de ce moment-là, il n’a pas laissé ce message. Il a collé à lui tout au long de la longue campagne électorale. Ce message l’a conduit à la victoire.

CE N’ETAIT PAS facile. En tant qu’individu qui a réussi plusieurs campagnes électorales infiniment plus petites, je sais combien il est difficile de fixer un thème central – et encore plus difficile de s’y tenir.

Au cours d’une campagne électorale, il existe d’innombrables tentations de se détourner du message central pour réagir à des événements divers, pour saisir des opportunités qui se présentent, pour répondre aux attaques de l’adversaire. Il est difficile de se serrer la bride et de maintenir le cap.

Cette semaine, de nombreuses personnes ont fait  l’éloge de la campagne d’Obama. Je ne suis pas sûr que tous aient bien compris à quel point ils ont raison. Il est resté calme quand il aurait pu se mettre en colère, il aurait pu réagir violemment à la diffamation et aux insultes et rendre la monnaie. Il ne l’a pas fait. John McCain, d’autre part, ne s’est pas départi de son personnage – celui d’un héros de la guerre, un type bien, symbole de décence. Plusieurs fois, il a fait cesser  la diffamation. Il s’est adjoint la vulgaire pourvoyeuse d’invectives, Sarah Palin. Au tout dernier moment, il a autorisé ses partisans, en Floride, à  publier un communiqué absurde accusant Obama d’être un ami de Fidel Castro et de conspirer pour transformer les États-Unis en un deuxième Cuba. Pour ce seul fait, il méritait de perdre, et effectivement,  il a perdu.

Obama n’a pas couru derrière la chance. C’est la chance qui l’a poursuivi. Le phénomène Palin, une sottise tout à fait extraordinaire de la part de son adversaire, lui a apporté le vote des femmes. L’effondrement économique qui s’est produit au moment le plus intense de la campagne lui a assuré la victoire. Toutes les composantes de la société américaine réclamaient un message exaltant, un message de salut.

DANS DES CENTAINES d’endroits autour du globe, de nombreuses foules en liesse  se sont répandues dans la rue pour exprimer leur joie après les résultats de l’élection. A ces moments, le contact des États-Unis avec le monde, qui avait été coupé par la main brutale de Bush, a été rétabli.

À Tel-Aviv, une telle célébration n’a pas eu lieu. Dans tout Israël, il y avait une ambiance d’appréhension. L’Israël officiel était gravement préoccupé par ce nouvel homme.

S’il y avait eu une fête sur la place centrale de Tel-Aviv, j’y aurais certainement pris part. Mais ma joie n’aurait pas été sans limite, car je n’aurais pas oublié ce qui s’est passé sur la même place quelque neuf ans plus tôt. C’est alors que notre Barak, Ehoud, a remporté les élections. Cela avait été ressenti comme un jour de délivrance. Le mandat de Benyamin Netanyahou avait été un désastre absolu, un cauchemar de corruption, de polarisation et un échec total. Barak serait notre sauveur. Une centaine de milliers de personnes en liesse affluèrent sur la place Rabin, sans attendre un appel. Ils ont dansé, chanté, se sont réjouis et écouté attentivement le discours de Barak, le Rédempteur.

Tout le monde sait ce qui s’est passé ensuite. En quelques mois, le public en est venu à haïr Barak, il a échoué à tous les égards et a enterré tout ce qui avait été construit par Yitzhak Rabin. Le public s’est détourné de lui et a passé la couronne à Ariel Sharon. L’ensemble de l’épisode a duré moins de deux ans.

Je souhaite de tout mon coeur que rien de semblable ne se produise avec le Barack américain. Mais cette semaine, de nombreuses personnes ici se souviendront de ce chapitre. Aujourd’hui, dans quelques heures, de nombreuses personnes afflueront de nouveau sur la place – la même place – afin de participer au rassemblement annuel en mémoire d’Itzhak Rabin, le Premier ministre assassiné sur cette place, qui porte désormais son nom. Le principal orateur est – vous ne pourrez le croire – Ehoud Barak.

DANS TROIS mois, des élections générales auront lieu en Israël. Nul Barack Obama de chez nous n’y sera.

Obama est un grand homme politique. Selon ma définition, un grand homme politique est un homme politique qui ne ressemble pas à un homme politique. Comme Abe Lincoln, comme le Mahatma Gandhi, comme Franklin Delano Roosevelt, comme David Ben-Gourion, tous les grands acteurs du jeu politique,  politiques de la tête aux pieds. Mais ils n’en avaient pas l’air. Je pense qu’Obama est comme ça, lui aussi. .

En Israël, l’homme qui espère gagner, Benyamin Netanyahu, est tout le contraire. Il suinte la politique sordide de tous les pores de sa peau. Durant son dernier mandat en tant que Premier ministre, il a tout raté. S’il gagne, rien ne s’améliorera.

Ehoud Barak est une autre antithèse du Barack américain. Comme Netanyahou et Tzipi Livni, il appartient à l’élite blanche ashkénaze. Il n’a aucune relation, émotionnelle ou autre avec les minorités. Il est militariste jusqu’au bout des ongles. Il a profité, par exemple, de la nuit de l’élection d’Obama alors que l’attention du monde entier était rivée là-bas, pour violer le cessez-le-feu et mener une action de provocation militaire dans la bande de Gaza.

Reste Tzipi Livni. Certaines des merveilleuses qualités d’Obama se retrouvent-elles en elle ? Difficile à dire. Elle n’est pas grande oratrice. En réalité, elle n’a pas du tout le talent oratoire dont beaucoup de gens la créditaient. Mais elle a promis une « nouvelle politique ». Elle n’a pas été mêlée à des scandales de corruption, comme le Premier ministre et tant Netanyahutout que Barak. Elle n’a pas d’aura militaire. Son mandat en tant que ministre des Affaires étrangères lui a donné une certaine crédibilité en tant que diplomate.

La seule chose qui unit presque tous les Israéliens est l’importance de maintenir de bonnes relations avec les États-Unis. Tout le monde sait que la politique israélienne actuelle n’est possible que tant qu’il existe un indéfectible soutien américain. Parmi les trois candidats, Tzipi Livni paraît celui le plus susceptible d’être en mesure de travailler avec le nouveau Président. L’élection d’Obama peut aider à sa propre élection, si elle sait l’utiliser.

LA QUESTION est : quelle politique vis-à-vis d’Israël Obama adoptera-t-il ?

Jérusalem est inquiet, mais les porte-parole se rassurent – ainsi que le public – en disant (d’après l’expression en hébreu), que « le démon n’est pas si terrible ». Le nouveau Congrès est différent du précédent en ce qui concerne l’équilibre des pouvoirs, mais sa crainte du lobby pro-Israël sera toujours aussi intense. Certes, l’influence des Évangélistes sionistes diminuera beaucoup, mais l’AIPAC est bien vivante et offensive, et ses coups de pied seront plus douloureux que jamais.

Celui qui sera le nouveau Secrétaire d’État, comme les autres ministres et le Premier ministre israélien, auront un accès direct au Bureau Ovale. Le nouveau portier, qui porte le nom à consonance israélienne d’Emmanuel Rahm (Rahm signifie élevé,  Emmanuel signifie Dieu avec nous), est le fils d’un ancien combattant clandestin de l’Irgoun. Rahm a grandi dans un foyer juif, parle l’hébreu et s’est précipité à l’aide de l’armée israélienne au cours de la première guerre du Golfe. Je ne connais pas son point de vue sur le conflit israélo-palestinien, mais certainement il ne bloquera pas l’accès au Président du Premier ministre israélien.

S’il y a un changement, il sera probablement lent et graduel. Mais cela ne signifie pas qu’il ne sera pas significatif.

Il n’y a aucune chance de progresser sur la voie de paix israélo-palestinienne sans la pression américaine sur le gouvernement israélien. Cela a été vrai pendant des décennies, et cela reste vrai aujourd’hui.

Tous les Présidents américains après Dwight Eisenhower ont eu peur d’exercer de telles pressions. Ceux qui ont essayé, comme Richard Nixon au début de son mandat, ont rapidement fait machine arrière. La seule exception a été Bush-père, ou plutôt son secrétaire d’État James Baker, mais cette pression (sur le portefeuille) n’a pas duré longtemps.

Pour être efficace, la pression américaine n’a pas besoin d’être brutale. Elle devrait être douce, mais ferme et cohérente. Il est possible que cela corresponde au tempérament d’Obama.

Si la nouvelle administration américaine décide de réévaluer les intérêts nationaux américains au Moyen-Orient et en arrive à la conclusion que la paix israélo-arabe est une condition essentielle pour la politique de l’Amérique post-Bush, alors le nouveau Président devra en informer notre nouveau Premier ministre et demander poliment mais sans équivoque un gel des colonies de peuplement et un début de nouvelles négociations – cette fois pas seulement pour gagner du temps mais pour parvenir à un accord final en 2009.

Beaucoup d’Israéliens l’en remercieront. Il est tout à fait possible que notre prochain(e) Premier ministre le remerciera aussi dans les recoins cachés de son coeur.

Le nouveau président américain agira-t-il ainsi ? Barack Obama sera-t-il en mesure d’agir ainsi ?

Il n’y a qu’une seule réponse possible. Yes, you can  ! Oui, vous pouvez !

Article original, « Yes, You Can ! » , Gush Shalom, le 8 novembre 2008.

Traduit de l’anglais pour l’AFPS: LG / SW.

 

 Uri Avnery est journaliste et cofondateur de Gush Shalom 

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