Zarif revient en politique et Soleimani à ses cartes

Il n’y a rien d’inhabituel de constater que le ministre des Affaires étrangères de l’Iran, Jawad Zarif, n’est pas le seul décideur en matière de politique étrangère, quand on sait que la République islamique est en état de guerre permanente avec les pays du Moyen-Orient qui l’entoure et l’Occident.

La décision du prince héritier de l’Arabie saoudite Mohammed Salmane de porter la bataille en Iran et l’embargo incisif des USA ont mis le pays sur un pied de guerre continuel. En outre, la constitution iranienne appelle le pays à soutenir toutes les populations et tous les groupes opprimés du monde. Ce dernier rôle incombe à une branche du Corps des gardiens de la Révolution islamique, la brigade Al-Qods, sous le commandement du brigadier général Qassem Soleimani. C’est cette brigade qui est chargée de transiger avec tous les groupes étrangers (peu importe leur croyance ou leur religion) qui partagent l’objectif de l’Iran de mettre fin à l’hégémonie et à la présence des USA au Moyen-Orient.

Par ailleurs, le commandement général du Corps des gardiens de la Révolution islamique est chargé de protéger les valeurs de la révolution et de soutenir et de compléter le rôle de l’armée et des forces de sécurité iraniennes contre tout danger éventuel à l’intérieur du pays ou provenant de l’étranger.

Aujourd’hui, les guerres en Irak, en Syrie et au Yémen, la situation instable au Bahreïn, le danger constant d’une guerre israélienne possible planant au-dessus du Liban, le niveau de tension élevé avec l’Arabie saoudite et l’embargo américain ont forcé le Corps des gardiens de la Révolution islamique à jouer un rôle de premier plan. La fonction du ministère des Affaires étrangères s’est ainsi limitée à contribuer à la formulation de la politique étrangère du pays et à représenter les intérêts du pays. La situation personnelle du ministre des Affaires étrangères Jawad Zarif est toutefois différente.

Le ministre Jawad Zarif est perçu comme l’un des piliers de la diplomatie iranienne qui défend vigoureusement l’Iran sur la scène internationale. Il est considéré comme un diplomate accompli, qui a joué un rôle important en faveur de l’Iran en parvenant à conclure l’accord sur le nucléaire pendant la présidence d’Obama et en contribuant à faire dérailler le récent sommet de Trump à Varsovie. Zarif est très proche d’Ali Akbar Velayati, le conseiller de Sayyed Ali Khamenei, et est très apprécié du leader de la révolution. Des sources en Iran croient que Zarif pourrait fort bien devenir le prochain président de l’Iran, notamment depuis que sa cote de popularité au pays a augmenté à la suite de sa démission subite.

Zarif a remis sa démission à la suite de la visite du président Assad à Téhéran. Qassem Soleimani avait pris en main cette visite en fonction des dangers qui menacent la vie d’Assad. Il a gardé le secret sur les détails s’y rapportant même au président Rouhani, qui n’en a été informé qu’à peine une heure avant l’arrivée d’Assad. Seules quelques personnes étaient au courant de la visite et il n’était pas possible de rejoindre Zarif à temps pour qu’il revienne en Iran. Pour Soleimani, la situation en Syrie relève des fonctions de la brigade Al-Qods, puisque c’est lui qui a supervisé le financement du gouvernement syrien et le soutien de la Syrie en y dépêchant des conseillers militaires et des alliés du Liban, de l’Irak, du Pakistan, de l’Afghanistan et d’autres pays pour contrecarrer le plan de changement de régime élaboré par les USA.

Le soutien financier est accordé à même le budget annuel du gouvernement iranien. Même le budget du Corps des gardiens de la révolution islamique relève de la compétence du président Rouhani. Il est déjà arrivé que Rouhani refuse d’augmenter le budget consacré au Corps, notamment quand de nouveaux événements se produisaient. Ce fut notamment le cas lorsque Rouhani a refusé d’obtempérer à une demande du Hezbollah libanais qui voulait des fonds supplémentaires pour pouvoir consolider ses forces en Syrie en raison de la situation opérationnelle sur le terrain, qui imposait d’insuffler plus de fonds, de logistique, de munitions et d’aliments, ainsi qu’une plus grosses enveloppe budgétaire pour ses militants sur une période prolongée.

Cela indique que le pouvoir décisionnel en Iran est centralisé, à quelques exceptions près, comme en Irak, au Yémen et en Syrie, où les compétences du ministre des Affaires extérieures et du commandant de la brigade Al-Qods s’enchevêtrent.

Certains en Iran croient que Zarif a franchi une limite en présentant sa démission, parce que l’Iran est pratiquement en état de guerre, ce qui fait en sorte que les décisions militaires ont souvent préséance sur le protocole. Il a oublié que Soleimani est un soldat faisant partie d’un système et qu’il n’aspire pas à devenir ministre des Affaires étrangères. Soleimani a vu en Assad un homme qui représente la résistance, avec qui il a des prises de contact régulières sans égard au protocole. Son but n’était pas d’affaiblir ou de court-circuiter Zarif qui, croit-on, y a vu une occasion de réaffirmer sa propre position.

Le geste de Zarif n’est pas seulement dû à la visite d’Assad, qui n’était que la dernière goutte ayant fait déborder le vase. Rouhani et son équipe ont été durement critiqués pour la révocation par Trump de l’accord sur le nucléaire. L’opposition iranienne soutient que l’accord n’a fait qu’apporter de nouvelles sanctions contre l’Iran en échange de l’arrêt de la production nucléaire. Elle se plaint aussi de l’absence de mesures prises par les Européens pour augmenter leurs échanges économiques avec l’Iran, parce qu’ils n’osent pas s’opposer aux sanctions américaines. L’opposition rappelle à Rouhani l’avertissement continuel de Sayed Ali Khamenei, qui est de ne jamais faire confiance aux USA et qui remonte bien avant la décision de Trump de mettre fin à l’engagement de son pays.

Ceux qui s’opposent à Rouhani croient fermement que le monde n’écoute et craint que les pays puissants et que la capacité nucléaire aurait fait de l’Iran un pays plus fort qu’il ne l’est aujourd’hui.

L’Iran va tout de même de l’avant et Zarif est rentré dans le rang après en être sorti. Assad l’a invité à Damas, où il sera reçu par son homologue Moallem et par Assad pour discuter de questions politiques. Dans l’intervalle, tous regagnent leurs postes. Soleimani se retrouvera ainsi de nouveau avec Assad pour consulter les cartes d’Idlib et de Dei Ezzor, puisque la guerre n’est pas encore terminée.

Elijah J Magnier

 

Traduction de l’anglais par Daniel G.



Articles Par : Elijah J. Magnier

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